La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/07/2021 | FRANCE | N°20NC00860

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 12 juillet 2021, 20NC00860


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 17 juillet 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office.

Par un jugement n° 1907623 du 4 décembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une

requête, enregistrée le 2 avril 2020, M. D..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 17 juillet 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office.

Par un jugement n° 1907623 du 4 décembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 avril 2020, M. D..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 4 décembre 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Bas-Rhin du 17 juillet 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour mention vie privée et familiale dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat les sommes de 1 500 euros au titre des frais d'instance exposés en première instance et 2 200 euros pour la procédure d'appel, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :

- elle est entachée d'un vice de procédure en ce qu'il appartient au préfet de justifier que le médecin instructeur de son dossier n'a pas siégé au sein du collège, en l'absence de mention du nom du médecin instructeur sur l'avis, le préfet n'a pas pu s'assurer de la régularité de la composition du collège, l'avis du collège de médecin de l'OFII ne lui a pas été transmis et cet avis n'est pas issu d'une délibération du collège des médecins ;

- les médecins de l'OFII n'ont pas coché le point 4 de l'avis alors qu'il souffre de troubles psychiatriques importants qui nécessitent un traitement à vie ;

- le préfet s'est estimé lié par l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII ;

- la décision ne mentionne pas que sa demande est motivée par une aggravation de son état de santé ;

- elle est entachée d'une erreur de fait et méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il n'aura pas accès aux soins médicamenteux nécessités par son état de santé en Arménie et que compte tenu de sa pathologie psychiatrique, un retour dans ce pays pourrait aggraver sérieusement son état de santé ; les médicaments qui lui sont prescrits par son psychiatre en France ne sont pas substituables ; le préfet n'apporte pas la preuve que les médicaments qu'il prend en France sont disponibles en Arménie ;

- il appartenait au préfet et aux premiers juges de se prononcer sur son état de santé après s'être assurés que les orientations générales fixées par à l'article 3 et le C de l'annexe II de l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les conditions générales pour l'exercice par les médecins de l'OFII, de leurs missions, prévues à l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avaient bien été respectées par le collège des médecins de l'OFII alors que le médecin psychiatre qui le suit en France a expressément indiqué qu'il existe un risque suicidaire s'il retourne en Arménie et que le lien thérapeutique qu'il entretient avec ce dernier est primordial ;

- en ne faisant pas droit à sa demande de sursis à statuer " pour enjoindre à l'OFII de communiquer les éléments d'appréciation sur lesquels il s'est fondé ", le tribunal administratif a violé ses droits ;

- la décision attaquée méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle sera annulée par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'illégalité dès lors qu'il peut prétendre de plein droit à un titre de séjour au titre de sa vie privée et familiale ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- elle sera annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour.

La requête a été communiquée au préfet du Bas-Rhin qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 avril 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... D..., ressortissant arménien né le 16 décembre 1982, est entré régulièrement en France le 4 novembre 2014 muni d'un visa de court séjour délivré par les autorités consulaires lituaniennes à Saint-Pétersbourg valable du 27 octobre 2014 au 25 novembre 2014 pour y solliciter l'asile. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 14 avril 2015 puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 12 novembre 2015. Suite à une première demande d'admission au séjour pour raison de santé, il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prononcée à son encontre par le préfet du Bas-Rhin le 29 février 2016 dont la légalité a été confirmée par un jugement du 28 septembre 2016 du tribunal administratif de Strasbourg. Il a formulé une nouvelle demande de titre de séjour le 15 mai 2018 sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, le 22 juin 2018, une demande de titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du même code. Par un arrêté du 17 juillet 2019, le préfet du Bas-Rhin, après avoir examiné chacune de ces demandes dans les motifs de l'arrêté, a rejeté " la demande de titre de séjour présentée le 22 juin 2018 ", l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. D... relève appel du jugement du 4 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".

3. Il ressort de l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 11 mars 2019 que l'état de santé de M. D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, son état de santé pouvant en outre lui permettre de voyager sans risques vers son pays d'origine.

4. Il est constant que M. D... souffre d'un trouble schizo-affectif sévère persistant qui nécessite un traitement médicamenteux anxiolytique, hypnotique et antidépresseur qui comprend du brintellix 20 mg, du veratran 10 mg, du seresta 50 mg et de l'abilify. En l'absence de défense du préfet du Bas-Rhin, malgré une mise en demeure en ce sens, il n'est pas contesté que, comme l'attestent les différentes réponses des laboratoires pharmaceutiques consultés par le conseil du requérant, les médicaments abilify, veratran et brintellix 20 mg ne sont pas commercialisés en Arménie. Par ailleurs, si le préfet se prévalait en première instance d'une note verbale adressée à l'ambassade de France par le ministère des affaires étrangères de la République d'Arménie du 2 octobre 2015 selon laquelle des molécules génériques sont disponibles en Arménie pour le traitement des pathologies psychiatriques, les documents produits par le conseil du requérant, plus récents que la note précitée, établissent toutefois qu'aucun équivalent générique n'existe en Arménie pour le seresta 50 mg, le vertran 10 mg ou le brintellix 20 mg, dont il n'est d'ailleurs pas précisé par le préfet s'ils sont substituables. En outre, il ressort des pièces du dossier que dans un certificat médical du 18 juillet 2019, établi par le Dr Giami, médecin psychiatre qui suit le requérant depuis 2014 dans le cadre actuel d'une psychothérapie hebdomadaire, il est indiqué d'une part, que les conclusions établies par le collège de médecins de l'OFII ne sont pas conformes aux observations transmises dans le certificat médical établi par le même médecin, qui indiquaient que " l'état de santé de son patient n'est pas du tout stabilisé ou stable mais au contraire gravement évolutif, que le pronostic est éminemment péjoratif et que l'objectif du traitement est de stabiliser la situation clinique et d'éviter un passage à l'acte suicidaire ". Il est également mentionné dans ce certificat médical du 18 juillet 2019 que le requérant ne pourra pas bénéficier du traitement nécessité par son état de santé en cas de retour en Arménie en raison de sa perte d'autonomie et enfin que l'impossibilité " pour ce patient de poursuivre ses soins en France l'exposerait à court terme à des complications funestes ". Dans ces conditions, ces documents sont de nature à remettre en cause l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration précité. Dès lors, dans les circonstances très particulières de l'espèce, en se fondant sur cet avis et en mentionnant qu'aucun élément n'est de nature à le remettre en cause, le préfet du Bas-Rhin a méconnu les dispositions du 11°) de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a entaché d'illégalité le refus de titre de séjour pour raisons de santé opposé à M. D.... L'intéressé est par suite fondé à soutenir que la décision portant refus de titre de séjour prise à son encontre est entachée d'illégalité ainsi que, par voie de conséquence, les décisions subséquentes portant obligation de quitter le territoire français, fixant le délai de départ volontaire et le pays de destination.

5. Il résulte de tout ce qui précède et, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés dans la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Il y a lieu, compte tenu de ce qui précède, d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de délivrer à M. D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

7. Il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

8. Il y a lieu, en application des dispositions précitées, de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 1 500 euros à verser à Me B..., avocate de M. D..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1907623 du 4 décembre 2019 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 17 juillet 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé à M. D... la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Bas-Rhin de délivrer à M. D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me B..., avocate de M. D..., une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

N° 20NC00860 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00860
Date de la décision : 12/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Laurence STENGER
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER
Avocat(s) : MENGUS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-07-12;20nc00860 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award