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08/07/2021 | FRANCE | N°20NC00466

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 08 juillet 2021, 20NC00466


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... se disant M. D... B... (ci-après M. B...) a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2020 par lequel le préfet du Doubs l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2000251 du 5 février 2020 la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 27 j

anvier 2020 et a enjoint au préfet du Doubs de réexaminer la situation de M. B... dans un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... se disant M. D... B... (ci-après M. B...) a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2020 par lequel le préfet du Doubs l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2000251 du 5 février 2020 la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 27 janvier 2020 et a enjoint au préfet du Doubs de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'à ce qu'il ait statué sur son cas.

Procédure devant la Cour :

Par une requête n° 20NC00466 enregistrée le 21 février 2020, le préfet du Doubs demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000251 du 5 février 2020 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. B... dans toutes ses conclusions.

Le préfet du Doubs soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a estimé qu'il avait méconnu l'article 41-2 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- au surplus, sous la fausse identité de M. E... C..., l'intéressé avait déjà été interpellé le 14 septembre 2018 pour " faits de port sans motif légitime d'arme blanche ou d'incapacité de catégorie B, menace de mort réitérée et conduite en état d'ivresse " et avait fait l'objet le même jour d'une obligation de quitter sans délai le territoire français, avec interdiction de retour de deux ans dont la légalité a été confirmée par un jugement n° 180519-9 du tribunal administratif de Strasbourg du 21 septembre 2018.

La requête a été communiquée à M. B..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. F... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant tunisien, entré en France, selon ses déclarations, en 2011, a été placé en garde à vue le 25 janvier 2020 pour faits de violences volontaires commises en réunion et en état d'ivresse " et " comportement constituant une menace pour l'ordre public. Le 27 janvier 2020, le préfet du Doubs a pris à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un arrêté du même jour, M. B... a été placé en rétention administrative. Par un jugement du 5 février 2020, la magistrate désignée par le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du préfet du Doubs du 27 janvier 2020 et a enjoint à ce dernier de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'à ce qu'il ait statué sur son cas. Le préfet du Doubs relève appel de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

2. Si aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne C-383/13 PPU du 10 septembre 2013, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision. Enfin, le droit d'être entendu n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

3. Il ressort du procès-verbal de l'audition menée le 26 janvier 2020 par les services du commissariat de police central de Besançon dans le cadre de l'interpellation de M. B... que celui-ci, interrogé sur la date de son entrée en France, sa situation familiale, notamment l'âge et le lieu de résidence de ses enfants, les étapes de son parcours, le document sous couvert duquel il était autorisé à séjourner ou circuler en France, ses moyens de subsistance ainsi que le motif de son départ de Tunisie, son pays d'origine, a été mis en mesure de présenter ses observations sur les conditions de son séjour en France et la perspective d'un retour dans son pays d'origine. Au demeurant, l'intéressé ne fait état d'aucun élément pertinent, susceptible d'influer sur le contenu de la décision du préfet, qu'il n'aurait eu la possibilité de présenter. Le préfet du Doubs est donc fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé son arrêté du 27 janvier 2020 comme intervenu en méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy.

Sur les autres moyens soulevés par M. B... en première instance :

En ce qui concerne l'arrêté dans son ensemble :

5. Par un arrêté du 15 janvier 2020, publié le même jour au recueil des actes administratifs du département, le préfet du Doubs a donné délégation à M. Jean-Philippe Setbon, secrétaire général de la préfecture du Doubs, pour signer tous actes entrant dans les attributions de l'Etat, au nombre desquels figure la police des étrangers. Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté manque en fait et doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

6. En premier lieu, les conditions de notification d'une décision sont sans incidence sur la légalité de celle-ci. Par suite, le requérant ne peut utilement soutenir que la décision contestée lui aurait été notifiée sans interprète.

7. En second lieu, B... soutient, sans l'établir, être entré en France en 2011, à l'âge de 27 ans. Il ressort des pièces du dossier qu'il s'est soustrait à une mesure d'éloignement prononcée le 14 septembre 2018 à l'encontre de M. E... C..., fausse identité sous laquelle il s'était présenté. S'il fait état de la relation qu'il entretiendrait depuis trois ans en France avec une ressortissante française, qu'il projette d'épouser et déclare en outre être le père de trois enfants nés d'une précédente union, il n'établit ni l'existence d'une communauté de vie avec cette ressortissante française, dont il est constant qu'il vit séparé, ni la réalité des liens entretenus avec ses enfants, qu'il a indiqué de plus avoir vus depuis longtemps et dont il ne justifie pas contribuer, à hauteur de ses moyens, à l'entretien et à l'éducation. L'intéressé n'est en outre pas dépourvu de liens dans son pays d'origine, où résident ses frères et soeurs. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la durée et des conditions du séjour en France de l'intéressé, et en dépit des allégations vagues de ce dernier sur les activités professionnelles qu'il aurait exercé en France, le préfet du Doubs n'a pas porté au droit de celui-ci au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision contestée a été prise. Il n'a pas, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

8. Il résulte ce qui précède que M. B... n'a pas établi l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi doit être annulée par voie de conséquence doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :

9. En premier lieu, Il résulte ce qui précède que M. B... n'a pas établi l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans doit être annulée par voie de conséquence doit être écarté.

10. En deuxième lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour.(...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III (...) sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

11. Pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 6, il y a lieu d'écarter le moyen tiré par le requérant de ce qu'il justifierait de circonstances humanitaires susceptible de justifier que l'autorité administrative s'abstienne de prononcer à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français. Eu égard à son entrée et son maintien irréguliers sur le territoire français, de sa situation familiale et à la menace à l'ordre public que représente son comportement, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en fixant à deux ans la durée de cette interdiction.

12. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que M. B... ne justifie pas de la réalité des liens entretenus avec les trois enfants nés d'une précédente union, non plus que de sa contribution, à hauteur de ses moyens, à l'éducation et l'entretien de ces mêmes enfants. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Doubs est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé son arrêté du 27 janvier 2020 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'à ce qu'il ait statué sur son cas.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement rendu par la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy du 5 février 2020 est annulé.

Article 2 : La demande de M. B... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00466
Date de la décision : 08/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme PETON

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-07-08;20nc00466 ?
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