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01/07/2021 | FRANCE | N°20NC02190

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 01 juillet 2021, 20NC02190


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2019 par lequel le préfet de l'Aube a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1902717 du 25 février 2020, le tribunal administratif de Châlonsen-Champagne a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés

les 30 juillet et 24 août 2020, Mme E... A..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2019 par lequel le préfet de l'Aube a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1902717 du 25 février 2020, le tribunal administratif de Châlonsen-Champagne a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 juillet et 24 août 2020, Mme E... A..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 février 2020 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 21 octobre 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour " vie privée et familiale " ou à défaut une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

Sur le refus de séjour :

- la décision méconnait le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur de fait ;

- la décision méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

- il est excipé de l'illégalité de la décision lui refusant le séjour ;

- la décision méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnait les dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2020, le préfet de l'Aube conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., née en 1980 et de nationalité ivoirienne, est entrée régulièrement en France le 29 novembre 2016 sous couvert d'un visa court séjour. Le 15 mars 2017, Mme A... a déposé une demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Par arrêté du 23 avril 2018, dont la légalité a été confirmée par décision de la cour administrative d'appel de Nancy du 18 janvier 2019, le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme A... a renouvelé sa demande de titre de séjour le 13 mai 2019. Par arrêté du 21 octobre 2019, le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme A... relève appel du jugement du 25 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 21 octobre 2019.

Sur la légalité de la décision portant refus de séjour :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; (...) ".

3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec, même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application de ces principes. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. Pour refuser de délivrer à Mme A... un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de l'Aube a suspecté que la reconnaissance de paternité de sa fille Lowey Melaine née à Abidjan le 10 octobre 2010 et reconnue par M. B... le 19 mai 2012 à Orléans était frauduleuse dans le but de permettre la délivrance d'un titre de séjour.

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a donné naissance le 10 octobre 2010 en Côte d'Ivoire à sa fille Lowey Melaine, qui a été reconnue par M. B..., ressortissant français, le 19 mai 2012 à Orléans, près de quatre ans et demi avant l'entrée en France de Mme A.... Comme l'a déclaré Mme A... le 23 décembre 2017, cette circonstance atteste que Mme A... a eu une relation avec M. B... en Côte d'Ivoire bien avant son arrivée en France. L'intéressée a eu une seconde fille, Mélaine Grace née le 9 mars 2018, qui a été reconnue de manière anticipée par M. B... le 1er décembre 2017 à Troyes. M. B..., vivant à Orléans avec son épouse et rendant épisodiquement visite à Mme A... dans l'Aube, a également reconnu cinq autres enfants nés de trois mères différentes. Le préfet, qui se prévaut de cette dernière circonstance, n'indique cependant pas si ces mères ont sollicité, grâce à la reconnaissance de paternité du même ressortissant français, un droit au séjour en leur seule qualité de parent d'enfant français. En effet, le courriel électronique du référent fraude de la direction des migrations de la préfecture des Yvelines du 28 août 2017 produit en défense, qui détaille les cinq autres reconnaissances paternité, ne donne pas de précisions quant à la situation administrative des mères. Le préfet a par ailleurs sollicité, au cours de l'instruction de la première demande de séjour de Mme A..., une enquête administrative. Lors de son audition dans le cadre de cette enquête le 23 décembre 2017, Mme A... n'a pas été en mesure de donner des indications sur la personne de M. B..., dont certaines peuvent cependant ne pas être connues dans le cadre d'une relation adultère. Dans ces conditions, ces seules circonstances retenues par le préfet ne permettent pas, par elles-mêmes, d'établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité en cause et de considérer qu'elle n'aurait été souscrite que dans le but de faciliter l'obtention d'un titre de séjour à la requérante, en l'absence, notamment, de tout indice de rétribution ou d'une déclaration discordante de l'un ou l'autre parent ou encore d'un tiers quant à la filiation biologique réelle de l'enfant. Il s'ensuit que le préfet ne peut être regardé comme ayant soumis d'éléments précis et concordants de nature à établir que M. B... ne serait pas le père biologique de l'enfant de Mme A....

6. Au surplus, pour la première fois en appel, la requérante produit des tests de paternité du 20 août 2020 réalisés par un laboratoire anglais concernant ses deux filles qui concluent à la paternité de M. A... à 99,99 %. Cet élément, qui ne saurait être écarté dans la présente instance du seul fait que les articles 16-10 et suivants du code civil n'autorisent l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne qu'à des fins médicales ou scientifiques, tend à démontrer que la reconnaissance de paternité n'a pas été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour.

7. Il s'ensuit que le préfet de l'Aube ne pouvait refuser de délivrer un titre de séjour à Mme A... sans méconnaître les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En conséquence, le refus de titre de séjour en litige, l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination qui l'accompagnent sont entachés d'illégalité et doivent, pour ce motif, être annulés.

8. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Eu égard au motif qui fonde l'annulation des décisions en litige et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un changement dans la situation de droit ou de fait de la requérante y fasse obstacle, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de l'Aube délivre à Mme A... la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " prévue au 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

D E C I D E:

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 25 février 2020 et l'arrêté du préfet de l'Aube du 21 octobre 2019 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Aube de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me C... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de l'Aube.

2

N° 20NC02190


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC02190
Date de la décision : 01/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Stéphanie LAMBING
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER
Avocat(s) : OURIRI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-07-01;20nc02190 ?
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