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22/06/2021 | FRANCE | N°19NC02015

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3eme chambre - formation a 3, 22 juin 2021, 19NC02015


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne d'annuler les décisions implicites de rejet de ses réclamations indemnitaires préalables et de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 150 000 euros à titre d'indemnisation.

Par un jugement n° 1701322 du 23 avril 2019, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 juin 2019 et 29

septembre et 11 novembre 2020, Mme E... D..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne d'annuler les décisions implicites de rejet de ses réclamations indemnitaires préalables et de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 150 000 euros à titre d'indemnisation.

Par un jugement n° 1701322 du 23 avril 2019, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 juin 2019 et 29 septembre et 11 novembre 2020, Mme E... D..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ou, subsidiairement, réformer le jugement n° 1701322 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 avril 2019 ;

2°) d'annuler les décisions litigieuses ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros, augmentée des intérêts de retard à compter de sa réclamation préalable ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- la principale du collège lui a fait subir, entre le 18 avril et le 30 juin 2016, des agissements répétés de harcèlement moral qui lui ont causé divers préjudices dont la réparation doit être mise à la charge de l'Etat et fixée à la somme de 60 000 euros ;

- le rectorat a, dans la gestion de la situation de harcèlement moral dont elle a été la victime, commis de nombreuses fautes qui lui ont causé divers préjudices dont la réparation doit être mise à la charge de l'Etat et fixée à la somme de 90 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

Par ordonnance du 12 novembre 2020, l'instruction a été close le 10 décembre 2020.

Le 28 mai 2021, Mme D... a déposé un mémoire, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B..., ,

- les conclusions de Mme Seibt, rapporteure publique,

- et les observations de Me C... pour Mme D....

Une note en délibéré, présentée par Me A... pour Mme D..., a été enregistrée le 18 juin 2021.

Une note en délibéré, présentée par Mme D..., a été enregistrée le 21 juin 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., professeure certifiée de documentation, a été affectée, à compter du 1er septembre 2015, en qualité de documentaliste au collège de Grandpré-Buzancy. Le 6 mars 2017, Mme D... a présenté à la rectrice de l'académie de Reims deux réclamations indemnitaires, la première au titre des agissements répétés de harcèlement moral dont elle estime avoir été la victime de la part de la principale du collège entre le 18 avril et le 30 juin 2016, la seconde au titre des fautes commises par l'administration dans la prise en charge de cette situation. Mme D... relève appel du jugement du 23 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions implicites de rejet nées du silence gardé par la rectrice sur ces réclamations et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 150 000 euros à titre d'indemnisation.

Sur la régularité du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'instruction de la demande :

2. Mme D... soutient que le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal n'a pris aucune mesure d'instruction afin de vérifier les faits par elle allégués, en particulier l'existence du compte-rendu du conseil pédagogique du 16 juin 2016 et le défaut d'authenticité d'un rapport d'incident du 23 juin 2016. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces vérifications présentaient une quelconque utilité, alors que le tribunal, qui ne s'est fondé sur aucun de ces deux éléments, disposait par ailleurs d'éléments amplement suffisants pour lui permettre de statuer. Par conséquent, le moyen ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

En ce qui concerne la motivation du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

4. En premier lieu, Mme D... soutient que le tribunal n'a pas suffisamment motivé son jugement en ce qu'il n'a pas répondu à l'intégralité de son argumentation sur l'existence de la situation de harcèlement moral qu'elle allègue. Toutefois, les premiers juges ont analysé chacune des rubriques de l'argumentation de la requérante et ont indiqué, d'une manière suffisamment précise et circonstanciée pour permettre de les comprendre et de les discuter utilement, les raisons pour lesquelles ils ont considéré qu'aucun des éléments qu'elle a invoqués devant eux ne permettait de caractériser une situation de harcèlement moral. Ayant ainsi énoncé, outre les considérations de droit, les considérations de fait sur lesquelles il s'est fondé, le tribunal, qui n'était nullement tenu de répondre de manière exhaustive à l'ensemble des très nombreux arguments longuement développés par la requérante dans ses écritures et dans les pièces auxquelles ces dernières renvoient, a régulièrement motivé son jugement sur ce point.

5. En second lieu, contrairement à ce que soutient Mme D..., le tribunal s'est expressément prononcé, au point 11 du jugement, sur les fautes distinctes qu'elle reproche au rectorat d'avoir commises dans la prise en charge de sa situation, en les écartant au motif que le harcèlement moral allégué n'était pas établi. Le motif ainsi retenu suffisant par lui-même à expliquer le rejet des conclusions indemnitaires de l'intéressée au titre des fautes commises dans la prise en charge de sa situation, le tribunal, qui a analysé ces fautes dans les visas de son jugement, n'a pas entaché ce dernier d'un défaut de motivation en ne se prononçant pas, en outre, sur chacune de ces fautes, ni à plus forte raison sur l'intégralité de son argumentation.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat au titre du harcèlement moral :

6. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".

7. Il Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements, dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui.

8. Il est constant qu'à partir du 18 avril 2016, les relations entre Mme D... et la nouvelle principale du collège, entrée en fonctions le 14 mars précédent, ont pris une tournure conflictuelle qui s'est rapidement exacerbée au point que, le 30 juin 2016, à la suite d'une altercation entre sa secrétaire et Mme D..., la principale a décidé de lui interdire l'accès à l'établissement jusqu'au 31 août 2016.

9. Mme D... soutient que, pendant cette période du 18 avril au 30 juin 2016, la principale du collège l'a privée de ses moyens matériels et fonctionnels en entravant sa participation au conseil pédagogique du 16 juin 2016, en restreignant son accès au registre de santé et de sécurité au travail à compter du 17 juin 2016, en faisant supprimer les affiches des horaires et de l'emploi du temps hebdomadaire du centre de documentation et en verrouillant son panneau d'affichage le 22 juin 2016 alors qu'elle se trouvait en congé de maladie, en lui refusant l'utilisation d'un téléphone les 15, 27, 28 et 30 juin pour alerter le rectorat sur sa situation, en refusant de lui communiquer le solde du budget du centre de documentation et en refusant d'insérer le bilan d'activité du centre de documentation dans le rapport pédagogique général du collège. Elle reproche également à la principale d'avoir dégradé leur relation professionnelle en la menaçant verbalement à plusieurs reprises, les 26 et 27 avril après qu'elle a signalé une température anormalement basse dans la salle du centre de documentation, le 12 mai au sujet d'une journée de grève, les 14 et 16 juin à la suite d'une demande d'explication de sa part et à l'occasion de la réunion du conseil pédagogique, en refusant de répondre à 13 de ses courriers électroniques entre le 18 mai et le 30 juin, de donner suite à sa demande de sanction contre un élève le 19 mai, d'avoir avec elle une discussion rationnelle, contradictoire et professionnelle le 31 mai, d'écouter une information concernant son emploi du temps le 10 juin, de rectifier une erreur dans sa déclaration des personnels grévistes le 14 juin, de motiver une convocation dans son bureau le 14 juin, de lui fournir des explications à propos d'un changement d'emploi du temps le 14 juin, de l'informer des doléances exprimées par ses collègues le 16 juin, de lui fournir des formulaires d'accident de service, de préciser et de clarifier une douzaine de reproches, et d'avoir avec elle un dialogue franc et constructif tel que le pratiquait la précédente principale. En outre, la principale se serait livrée à des manoeuvres visant à lui imputer, à tort, un comportement répréhensible en rédigeant et transmettant au rectorat, à son insu, trois notes d'information et deux rapports défavorables, mensongers, diffamatoires et calomnieux, en mentionnant son opinion syndicale à propos de la réforme du collège dans deux de ces notes, en montant contre elle une cabale diffamatoire de onze personnes du collège, et en prenant à son encontre des mesures vexatoires et constitutives de voies de fait, consistant à refuser de mentionner, dans une feuille d'émargement de non-grévistes, le centre de documentation comme une salle de travail d'enseignante, à verrouiller le panneau d'affichage du centre de documentation et à y supprimer les emplois du temps de ce local, à refuser de discuter de points professionnels en présence de la secrétaire et d'autres adultes, à faire état, le 3 juin, devant une mère d'élève, de son insuffisance professionnelle, à refuser de faire cesser les remarques agressives et moqueuses de ses collègues lors de la réunion du conseil pédagogique du 16 juin et à l'humilier publiquement en l'obligeant illégalement à quitter l'établissement le 30 juin. La principale aurait, par ailleurs, réduit ou entravé ses responsabilités pédagogiques en refusant de retenir ses corrections pour la liste des oeuvres de l'histoire des arts le 13 mai, ses propositions de remplacement de cours pour les 20 et 21 juin, le remplacement d'une heure de cours en 6ème supprimée sans explication le 20 juin, en supprimant sans explication sa participation à l'oral d'histoire des arts le 20 mai, une heure de cours en 5ème le 27 juin et ses heures de cours de l'après-midi du 30 juin, en refusant de présenter au conseil d'administration du 27 juin son bilan d'activité, de tenir compte de ses propositions pédagogiques pour l'année 2016-2017, et de lui communiquer son emploi du

temps 2016-2017, en l'excluant délibérément d'une réunion de validation des " Enseignements Pratiques Interdisciplinaires " (EPI) le 1er juillet et en supprimant trois EPI à la rentrée 2016. Enfin, l'interdiction d'accès prononcée à son encontre par la principale, selon elle illégale tant du fait de son défaut de motivation et du défaut d'information du préfet des Ardennes, du maire de Grandpré, du président du conseil départemental des Ardennes et du conseil d'administration du collège, que du fait de l'erreur manifeste d'appréciation et du détournement de pouvoir qui l'entachent, constituerait une sanction déguisée démontrant le harcèlement moral qu'elle invoque. Selon Mme D..., ces différents agissements révèlent l'intention de nuire de la principale, que vient confirmer la " sournoiserie des procédés de contrôle " de cette dernière et sa manipulation de ses subordonnés et subordonnées.

10. Toutefois, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de la mission d'enquête académique du 14 octobre 2016, qui écarte tout harcèlement moral de la part de la principale, que ces très nombreux faits dénoncés par la requérante ont toujours été consécutifs à des agissements excessifs ou à des demandes répétées ou comminatoires de sa part. Les constats et conclusions de ce rapport, établi après audition des personnels enseignants et administratifs de l'établissement, sont corroborés notamment par les nombreux témoignages écrits, particulièrement précis et circonstanciés, de ces mêmes personnels, sans que le défaut d'impartialité des auteurs du rapport ou le caractère mensonger de ces témoignages ne soient démontrés. Au demeurant, une partie des pièces écrites de la requérante, eu égard à leur teneur défiante et conflictuelle vis-à-vis de sa hiérarchie, et en particulier de la principale du collège, sont également de nature à étayer ces éléments. Enfin, aucune des autres pièces versées au dossier de l'instruction ne vient efficacement ou utilement les remettre en cause. En particulier, si Mme D... se prévaut de ses notations administratives depuis le début de sa carrière et de témoignages favorables d'anciens collègues et élèves, et présente comme soudaines et extrêmes les difficultés rencontrées dans l'exercice de ses fonctions à Grandpré, elle avait déjà fait l'objet, en 1995 et en 2013, d'un abaissement de sa note administrative et d'une mise en garde en raison d'agissements similaires et, à compter de l'année scolaire 2018-2019, dans le cadre de son affectation au collège de Suippes, elle a réitéré le comportement qu'elle a eu au collège de Grandpré. En outre, Mme D... s'est à chaque fois plainte d'être la victime de harcèlement moral, alors que ces comportements se sont reproduits dans des établissements distincts dirigés par des personnes différentes.

11. Au collège de Grandpré, le comportement inapproprié de Mme D... s'est manifesté en particulier dans ses relations conflictuelles avec la principale, dont elle a, à plusieurs reprises, bravé l'autorité notamment en refusant d'appliquer ses consignes, en forçant le passage dans son bureau alors qu'elle était en entretien, en refusant de se rendre à ses convocations dans ce même bureau, en lui adressant des courriers électroniques critiquant sa manière de travailler, en exigeant d'elle des actions ou des explications ou, encore, en s'emportant publiquement contre elle lors de la réunion du conseil pédagogique du 16 juin 2016. Il s'est également manifesté vis-à-vis de ses collègues, notamment à l'occasion de cette même réunion et lors d'une réunion école-collège du 28 juin 2016 où elle a pris à partie l'un d'entre eux devant des tiers, ainsi que vis-à-vis du personnel administratif de l'établissement, en particulier lors de son altercation avec une secrétaire le 30 juin, à la suite de laquelle la principale a décidé de lui interdire l'accès à l'établissement.

12. Quant aux agissements de la principale, ni l'existence de manoeuvres visant à imputer à tort à Mme D... un comportement répréhensible, ni celle d'une cabale diffamatoire organisée contre cette dernière ou du caractère vexatoire des mesures prises à son encontre, ni, plus généralement, la réalité de l'intention de nuire que lui prête la requérante ne sont établies. En admettant, à cet égard, que les allégations de Mme D... relatives au harcèlement moral que la principale aurait fait subir à deux autres agents puissent être rattachées à sa situation personnelle, le témoignage de l'ancien secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail académique (CHSCT) dont elle se prévaut ne mentionne aucun fait de harcèlement et elle n'apporte aucun autre élément concret permettant d'en établir la réalité, notamment aucun émanant des personnes concernées. Par ailleurs, le rapport du 9 juin 2017 de la deuxième mission d'enquête académique diligentée par la rectrice, à la suite d'un signalement de danger grave et imminent par Mme D..., fait état d'une situation difficile dans l'établissement, sans toutefois relever le moindre agissement répréhensible de la part de la principale et s'il indique en outre que Mme D... " a des motifs raisonnables de penser que le danger, tel qu'elle le perçoit, est toujours présent ", cette appréciation ne peut, eu égard à l'objet de ce rapport, et dès lors que le harcèlement moral ne saurait résulter de la perception subjective de la personne qui s'en dit la victime mais doit être objectivement établi, être utilement invoquée par l'intéressée.

13. Au contraire de ce que soutient Mme D..., il résulte de l'instruction qu'en dépit de quelques maladresses ponctuelles, relevées par la mission d'enquête académiques et devant être regardées comme résultant du climat particulièrement tendu créé et entretenu par l'intéressée, le comportement et les décisions de la principale en réaction aux agissements de cette dernière ont, dans leur ensemble, y compris la décision du 30 juin 2016 par laquelle elle lui a interdit l'accès à l'établissement, été mesurés et justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement, et n'ont pas excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

14. Le harcèlement moral allégué n'étant ainsi pas établi, Mme D... n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat à ce titre.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat au titre de la gestion de la situation :

15. Mme D... soutient que les services du rectorat ont commis plusieurs fautes dans la prise en charge de la situation de harcèlement moral après qu'elle la leur a signalée. Elle fait ainsi valoir : l'ignorance de la directrice des ressources humaines du rectorat au sujet des textes législatifs et réglementaires relatifs à la protection de la santé physique et mentale des fonctionnaires et à la prévention des risques professionnels et psychosociaux, notamment le harcèlement moral ; l'inaction de la chargée de mission en documentation, du conseiller de prévention académique, du chef de service D.P.E. 2, de l'agente comptable et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, de l'ancienne médecin de prévention et médecin conseillère technique du rectorat, de l'inspecteur " santé et sécurité au travail ", de l'inspecteur pédagogique régional " Etablissements, vie scolaire et documentation ", de la directrice des ressources humaines et de la rectrice, qui n'ont pas, ou pas assez rapidement réagi à sa situation ou à ses signalements, tenu compte de, ou donné suite à ses demandes et réclamations ; la gestion irrégulière de son dossier individuel, dont le classement comporte des incohérences, où figure irrégulièrement une mise en garde, et dont sont absentes de nombreuses pièces ; des agissements tendancieux ou vexatoires, constitués par le silence opposé à ses réfutations circonstanciées et ses plaintes motivées, le refus de répondre à ses courriers et questions précises et la rétention de documents expressément demandés ; la partialité de la directrice des ressources humaines, du secrétaire général du rectorat et de la rectrice ; la partialité des membres de la première mission d'enquête académique et le caractère calomnieux de son rapport du 14 octobre 2016 ; l'entrave de la rectrice au fonctionnement du CHSCT ; l'illégalité de l'ouverture de l'enquête administrative du 8 septembre 2016 et de la clôture de cette enquête le 7 novembre 2016, du rejet de son recours hiérarchique contre la décision du 30 juin 2016 lui interdisant l'accès à son établissement, du rejet de sa première demande de protection fonctionnelle, et de sa suspension de fonction du 10 novembre 2016. Mme D... indique également qu'elle s'interroge sur une intention de lui nuire de la part des services du rectorat.

16. En premier lieu, à les supposer établies l'ignorance alléguée de la directrice des ressources humaines du rectorat et l'irrégularité de la gestion du dossier individuel de Mme D... ne sauraient, par elles-mêmes, constituer des fautes de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

17. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que dès le 4 juillet 2016, à la suite du signalement qu'elle lui avait transmis le 2 juillet au sujet de la situation de harcèlement moral dont elle se disait la victime, la directrice des ressources humaines du rectorat a invité Mme D... à venir s'en entretenir avec elle le 13 juillet suivant. Les 8 et 12 septembre 2016, immédiatement après que Mme D..., le 4 septembre, a exercé son droit de retrait et signalé une situation de danger grave et imminent, la rectrice a diligenté une enquête administrative afin de rassembler des éléments objectifs permettant de confirmer ou d'infirmer ses accusations. Cette enquête s'est déroulée entre le 14 septembre et le 6 octobre 2016 et a donné lieu à l'audition des personnels enseignants et administratifs de l'établissement. Les conclusions du rapport, rappelées au point 10, expliquent que la rectrice n'ait pas donné suite aux sanctions réclamées par Mme D... à l'encontre de la principale. La rectrice n'en a pas moins diligenté une seconde enquête administrative, dès le 17 mars 2017, immédiatement après un nouveau signalement d'une situation de danger grave et imminent effectué par Mme D... le 10 mars précédent. Au vu du rapport de cette enquête, remis le 9 juin 2017 et retenant l'existence d'un danger pour l'intéressée et d'autres agents du collège si elle devait y reprendre ses fonctions, la rectrice a, dès le 12 juin, proposé à Mme D... un entretien le 23 juin pour discuter de son avenir professionnel. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les services du rectorat ont fautivement tardé à prendre en charge la situation qu'elle a dénoncée.

18. Au surplus, alors que l'administration a ainsi réagi promptement aux signalements de Mme D..., cette dernière a refusé à de nombreuses reprises de se rendre à des entretiens pour en discuter, notamment pendant l'été 2016, les 13 juillet et 31 août, lorsque la directrice des ressources humaines le lui avait fort opportunément proposé immédiatement après son signalement du 2 juillet, mais également lors de la première enquête administrative, le 21 septembre 2016, à son issue, le 10 novembre 2016, et les 7 et 13 juillet 2017 à la suite de la seconde enquête administrative. Mme D... a, en outre, justifié ces refus par des prétextes peu sérieux, notamment la réception tardive de ces invitations ou convocations du fait de leur envoi à une adresse différente de celle où elle se trouvait, alors qu'elles lui ont été toutes envoyées à l'adresse qu'elle-même avait fournie aux services du rectorat.

19. En troisième lieu, Mme D... a, en l'espace de quelques mois, adressé plusieurs dizaines de courriers électroniques ou postaux à de nombreux agents du rectorat pour les alerter sur sa situation, les prendre à témoin, solliciter ou exiger des actions, des explications ou des éléments, réfuter des faits, ou encore se plaindre de leur inaction ou de l'attitude d'autres agents du rectorat à son égard. A lui seul, l'inspecteur pédagogique régional " Etablissements, vie scolaire et documentation " a ainsi reçu pas moins de 19 courriers électroniques entre le 18 mai 2016 et le 23 février 2017, la plupart au demeurant rédigés dans des termes vindicatifs et suspicieux. Compte tenu de la quantité considérable de ces sollicitations en un laps de temps réduit, et de la circonstance qu'elles ont parfois été adressées simultanément à plusieurs personnes, ou à des agents qui n'étaient nullement en charge de la situation de l'intéressée, l'administration, qui au demeurant a donné suite à certaines d'entre elles, ne saurait avoir commis une faute en ne répondant pas à chacune d'entre elles. Par ailleurs, si Mme D... reproche à l'administration ne lui avoir pas communiqué certains documents qu'elle lui aurait expressément demandés, elle n'indique pas en quoi ces refus sont illégaux, et ne met ainsi pas la cour à même d'apprécier leur caractère fautif.

20. En quatrième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la rectrice et la directrice des ressources humaines aient manqué d'impartialité vis-à-vis de Mme D..., alors que les signalements de cette dernière ont été immédiatement pris en compte, que des enquêtes administratives ont été diligentées pour en vérifier le bien-fondé et que les décisions prises à la suite de ces enquêtes, y compris celles portant sur l'examen de l'intéressée par un médecin, ne sont nullement en contradiction avec leurs conclusions. Ainsi qu'il a été dit au point 10, le défaut d'impartialité des membres de la première mission d'enquête académique vis-à-vis de Mme D... n'est pas non plus établi. En particulier, la requérante ne peut pas sérieusement leur reprocher de n'avoir pas postulé sa bonne foi et la véracité de ses accusations, alors qu'il leur incombait de la vérifier, ni de l'avoir longuement interrogée, compte tenu de la gravité de ces accusations. En outre, si Mme D... soutient que les enquêteurs auraient délibérément omis d'auditionner certains agents dont les témoignages auraient pu étayer ses accusations, elle ne l'établit pas et ne produit d'ailleurs aucun de ces témoignages. Enfin, le caractère mensonger ou insincère du rapport du 14 octobre 2016 n'est pas démontré, alors, notamment, que ses constats et conclusions sont parfaitement cohérents avec les nombreux témoignages écrits et circonstanciés qui y sont annexés.

21. En cinquième lieu, il ne résulte pas de l'instruction, en particulier du compte-rendu du CHSCT du 19 décembre 2016, que la rectrice ait fait entrave au fonctionnement de ce dernier. Celui-ci s'est d'ailleurs, à cette date, prononcé sur le rapport d'enquête du 14 octobre 2016, et l'un de ses membres a participé à la seconde mission d'enquête académique diligentée le 17 mars 2017.

22. En sixième lieu, alors que les décisions des 8 septembre et 7 novembre 2016 relatives à l'ouverture et à la clôture de l'enquête administrative de la mission d'enquête académique constituent de simples mesures d'ordre intérieur, il ne résulte pas de l'instruction que la rectrice a commis une illégalité fautive en ne mentionnant pas dans la première certains éléments de fait et de droit qui, selon la requérante, auraient dû y figurer, ou en prenant la seconde alors que les conclusions de l'enquête lui étaient défavorables, et en la lui communiquant tardivement de son point de vue. Par ailleurs, les décisions de rejet du recours hiérarchique formé par Mme D... contre la décision du 30 juin 2016 lui interdisant l'accès à son établissement, et de rejet de sa première demande de protection fonctionnelle ne sauraient, eu égard à leur caractère implicite, être illégales du seul fait de leur défaut de motivation. Enfin, alors que la suspension de Mme D... a été prononcée le 10 novembre 2016 au vu du rapport de l'enquête administrative ayant constaté les perturbations causées au fonctionnement du collège par son comportement inapproprié, il ne résulte pas de l'instruction que cette mesure conservatoire a été prise dans un but autre que de mettre fin, dans l'intérêt du service, à ces perturbations, ce qui interdit de la regarder comme une sanction illégale.

23. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires et à fin d'annulation de Mme D..., ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1 : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

N° 19NC02015 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 19NC02015
Date de la décision : 22/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-02 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité pour faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : LERAT

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-06-22;19nc02015 ?
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