Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 10 novembre 2016 par laquelle la rectrice de l'académie de Reims l'a suspendue de ses fonctions.
Par un jugement n° 1700085 du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 février 2019, 28 septembre et 11 novembre 2020, Mme D... C..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ou, subsidiairement, réformer le jugement n° 1700085 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 13 décembre 2018 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- la décision contestée est entachée d'incompétence, dès lors que seul le ministre pouvait prononcer sa suspension ;
- la rectrice ne pouvait pas faire usage de sa délégation du fait de la situation de conflit d'intérêts dans laquelle elle se trouvait ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un vice de procédure ;
- les faits qui lui sont reprochés ne sont ni vraisemblables, ni suffisamment graves ;
- la décision a été prise en méconnaissance de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, et elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, de détournement de pouvoir et de détournement de procédure, dès lors qu'elle a été victime d'agissements de harcèlement moral.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Par ordonnance du 12 novembre 2020, l'instruction a été close le 10 décembre 2020.
Le 28 mai 2021, Mme C... a déposé un mémoire, qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- l'arrêté du 9 août 2004 portant délégation de pouvoirs du ministre chargé de l'éducation aux recteurs d'académie en matière de gestion des personnels enseignants, d'éducation, d'information et d'orientation de l'enseignement du second degré ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, président assesseur,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteure publique,
- et les observations de Me B... pour Mme C....
Une note en délibéré, présentée par Me A... pour Mme C..., a été enregistrée le 18 juin 2021.
Une note en délibéré, présentée par Mme C..., a été enregistrée le 21 juin 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 10 novembre 2016, la rectrice de l'académie de Reims a suspendu de ses fonctions Mme C..., professeure certifiée de documentation alors affectée au collège de Grandpré-Buzancy. Mme C... relève appel du jugement du 13 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il ressort des énonciations du jugement attaqué, en particulier de son point 7, où il se réfère non seulement au trois rapports établis par la principale du collège, mais également aux témoignages joints à ces rapports, aux déclarations publiques de Mme C... dans la presse locale, à l'interdiction d'accès à l'établissement dont elle a fait l'objet et aux conclusions de l'enquête administrative diligentée à la suite de son dépôt de plainte et de son exercice de son droit de retrait, que le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par l'intéressée, a suffisamment précisé les raisons pour lesquelles il a estimé que les faits relevés à son encontre présentaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation du jugement ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / (...) Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. (...) ". Aux termes de l'article 67 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination (...). / (...) Le pouvoir de prononcer les sanctions du premier et du deuxième groupe peut être délégué indépendamment du pouvoir de nomination. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 9 août 2004 susvisé : " Délégation permanente de pouvoirs du ministre chargé de l'éducation est donnée aux recteurs d'académie : / I.- Pour prononcer à l'égard des personnels enseignants, d'éducation, d'information et d'orientation de l'enseignement du second degré (...) les décisions relatives : (...) / 23. Les sanctions disciplinaires des premier et deuxième groupes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 (...) ".
5. Si les dispositions de l'article 67 de la loi du 11 janvier 1984 prévoient la possibilité d'une délégation du pouvoir de prononcer les sanctions du premier et du deuxième des quatre groupes prévus par l'article 66 de la même loi, il ressort des termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 que cette délégation d'une partie du pouvoir disciplinaire entraîne nécessairement qu'aussi bien l'autorité délégataire que l'autorité délégante détiennent le pouvoir de suspendre les agents concernés. Ainsi, s'agissant des membres du corps des professeurs certifiés, personnels enseignants du second degré, et en vertu des dispositions de l'arrêté du 9 août 2004 précité, une mesure de suspension peut être prononcée aussi bien par le ministre chargé de l'éducation nationale, que par les recteurs d'académie. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la rectrice de l'académie de Reims ne disposait pas d'une habilitation aux fins de prendre la décision contestée.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 25 bis de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " I.- Le fonctionnaire veille à faire cesser immédiatement ou à prévenir les situations de conflit d'intérêts dans lesquelles il se trouve ou pourrait se trouver. / Au sens de la présente loi, constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions. / II.- A cette fin, le fonctionnaire qui estime se trouver dans une situation de conflit d'intérêts : / 1° Lorsqu'il est placé dans une position hiérarchique, saisit son supérieur hiérarchique ; ce dernier, à la suite de la saisine ou de sa propre initiative, confie, le cas échéant, le traitement du dossier ou l'élaboration de la décision à une autre personne ; / 2° Lorsqu'il a reçu une délégation de signature, s'abstient d'en user ; / 3° Lorsqu'il appartient à une instance collégiale, s'abstient d'y siéger ou, le cas échéant, de délibérer ; / 4° Lorsqu'il exerce des fonctions juridictionnelles, est suppléé selon les règles propres à sa juridiction ; / 5° Lorsqu'il exerce des compétences qui lui ont été dévolues en propre, est suppléé par tout délégataire, auquel il s'abstient d'adresser des instructions ".
7. Il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier du procès-verbal de la réunion du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail académique du 19 décembre 2016 dont la requérante se prévaut à l'appui de ses affirmations, que la rectrice aurait orienté dans un sens défavorable à cette dernière les conclusions de l'enquête administrative qu'elle a diligentée le 8 septembre 2016, et au vu desquelles elle a pris la décision contestée. Par ailleurs, si la requérante fait valoir que la rectrice était visée par ses accusations depuis le 21 octobre 2016, cette circonstance ne saurait, par elle-même, caractériser une situation de conflit d'intérêts au sens des dispositions précitées. Dès lors, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions faisaient obstacle à ce que la rectrice use légalement de sa délégation de pouvoir pour prendre la décision contestée à son encontre.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision contestée, même si elle n'a pas été suivie de l'engagement d'une procédure disciplinaire, n'a pas été prise dans le but de sanctionner Mme C..., mais dans le but exclusif de mettre fin aux perturbations causées par son comportement inapproprié vis-à-vis de ses collègues et de sa hiérarchie et de certains élèves, et de restaurer, dans l'intérêt de l'ensemble du personnel de l'établissement et des élèves, la sérénité nécessaire au bon fonctionnement du service public. Ainsi prise dans l'intérêt du service, cette mesure, qui présente un caractère conservatoire, ne constitue pas une sanction disciplinaire. Par conséquent, elle n'est pas au nombre des décisions qui doivent être motivées par application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, ni par suite au nombre de celles qui sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable par application de l'article L. 121-1 du même code, ni enfin au nombre de celles pour lesquelles le fonctionnaire concerné doit être mis à même de consulter son dossier par application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905. Dès lors, les moyens de la requérante tirés du défaut de motivation de la décision contestée, de l'absence de procédure contradictoire et de communication préalables de son dossier ne peuvent qu'être écartés comme inopérants.
9. Par ailleurs, la circonstance que la rectrice n'a ni saisi le conseil de discipline, ni engagé de poursuites disciplinaires à la suite de la décision contestée est sans incidence sur la légalité de cette dernière, qui s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise.
10. En quatrième lieu, la mesure de suspension à titre conservatoire prévue par les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 précité peut être légalement prononcée dès lors que les faits imputés au fonctionnaire présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.
11. La décision contestée a été prise notamment au vu des rapports de la principale du collège de Grandpré des 31 mai, 15 juin et 30 juin 2016 relatifs au comportement de Mme C... et du rapport de la mission d'enquête académique diligentée par la rectrice le 8 septembre 2016, établi le 14 octobre 2016, qui font état de nombreux incidents, sur plusieurs mois à partir d'avril 2016, impliquant l'intéressée, et mettent en évidence le comportement particulièrement inapproprié de cette dernière vis-à-vis de sa hiérarchie et de ses collègues. Ces constats sont corroborés par les témoignages circonstanciés et concordants annexés aux rapports de la principale, ainsi que par ceux, non moins circonstanciés, et concordants avec les premiers, que la mission d'enquête a recueillis lors des auditions des personnels enseignants et administratifs du collège menées entre le 22 septembre et le 6 octobre 2016. Mme C... a également, ainsi que le relève le rapport d'enquête, manqué de discernement dans sa communication, notamment en faisant état, dans la presse locale du 5 octobre 2016, du dépôt de plaintes pour harcèlement moral contre la principale du collège, et pour diffamation contre onze de ses collègues ayant apporté leurs témoignages à cette dernière à l'appui de son rapport du 30 mai 2016, et en mettant en cause sa hiérarchie et en se plaignant de sa situation auprès de parents d'élèves membres du conseil d'administration de l'établissement. Par ailleurs, ces différents éléments mettent en évidence les conséquences délétères du comportement de Mme C... sur la sérénité des équipes de l'établissement et le fonctionnement de ce dernier. Du reste, l'intéressée a fait l'objet, le 30 juin 2016, à la suite d'une violente altercation avec la secrétaire de la cheffe d'établissement, d'une mesure d'interdiction d'accéder à l'établissement jusqu'au 31 août suivant. Enfin, si le rapport d'enquête relève des maladresses ponctuelles de la principale du collège vis-à-vis de Mme C... entre le 18 avril et le 30 juin 2016, il ne retient pas le harcèlement moral dont cette dernière se plaint, soulignant plutôt que ces agissements ont toujours été consécutifs aux propres agissements excessifs de l'intéressée, et au climat tendu que ces derniers ont créé et entretenu.
12. Au vu de ces différents éléments circonstanciés et solidement étayés, que ne suffisaient pas à remettre en cause les multiples réfutations émises par Mme C..., notamment à l'adresse de la rectrice, cette dernière a pu légalement, à la date de la décision contestée, estimer que les faits imputés à l'intéressée présentaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.
13. Les circonstances postérieures que fait valoir la requérante, notamment l'absence d'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre et l'apparition de nouveaux éléments selon elle de nature à contredire certains des faits relevés à son encontre, sont sans incidence sur la légalité de cette décision, qui s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise, et qui, en outre, n'est pas subordonnée à l'existence de faits matériellement établis, mais seulement au caractère suffisamment vraisemblable, à cette date, des faits retenus.
14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du
13 juillet 1983 susvisée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) ".
15. Si Mme C... soutient que la rectrice avait connaissance de ses multiples dénonciations de la situation de harcèlement moral dont elle dit avoir été la victime, cette circonstance ne saurait, par elle-même, suffire à rendre illégale la décision contestée au regard des dispositions précitées. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit aux points 8, 11 et 12, la décision contestée a été prise au vu d'éléments circonstanciés et étayés permettant, d'une part, de conférer un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité au comportement de Mme C... et à ses conséquences délétères sur la sérénité des équipes de l'établissement et le fonctionnement de ce dernier, et d'autre part, d'écarter le harcèlement moral allégué par l'intéressée. Dans ces conditions, la rectrice ne peut pas être regardée comme s'étant fondée, même en partie, sur des considérations prohibées par les dispositions précitées.
16. En sixième lieu, pour les mêmes raisons que celles indiquées aux points 8, 11, 12 et 15, ni le détournement de procédure, ni le détournement de pouvoir, ni l'erreur manifeste d'appréciation allégués ne sont établis.
17. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation et de réformation de Mme C..., ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1 : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
N° 19NC00570 6