La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/05/2021 | FRANCE | N°19NC03651

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 06 mai 2021, 19NC03651


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Paulo et Célia a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2014, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1802223 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Ch

ampagne a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Paulo et Célia a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2014, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1802223 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2019, la société Paulo et Célia, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 novembre 2019 ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2014, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2015, ainsi que des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société ayant satisfait aux obligations fiscales applicables au lieu de son siège social au Portugal, l'administration aurait dû la mettre en demeure de déposer des déclarations fiscales en France à raison de l'existence supposée de son établissement stable en France ; à défaut, la procédure de taxation d'office est irrégulière ;

- l'administration n'a pas établi l'existence d'un établissement stable en France ;

- l'ensemble des déclarations tant en matière d'impôt sur les sociétés que de taxe sur la valeur ajoutée ayant été souscrit au Portugal et les impôts et taxes correspondant y ayant été acquittés, elle se trouve dans une situation de double imposition du fait de la mise en recouvrement, la procédure amiable de résolution des conflits prévue par l'article 26 de la convention franco-portugaise ayant été mise en oeuvre ;

- si la taxe sur la valeur ajoutée avait été déclarée en France, le Trésor public n'en aurait obtenu aucun gain financier car la taxe sur la valeur ajoutée aurait été déduite par le preneur ; les rappels de taxe sur la valeur ajoutée litigieux entraînent une double imposition, en méconnaissance du principe de neutralité de la taxe ;

- son activité ne pouvant être qualifiée d'occulte dès lors que l'ensemble des déclarations a bien été effectué au Portugal et que les associés ont déclaré leurs revenus en France, le délai de reprise ne pouvait légalement être porté à 10 ans ;

- la majoration de 80% n'est pas fondée en l'espèce ; l'administration n'a pas tenu compte du droit à l'erreur lorsque le contribuable a satisfait l'ensemble de ses obligations déclaratives dans un pays à fiscalité normale avec lequel la France a conclu une convention d'assistance administrative et n'a pas cherché à dissimuler son activité ;

- le juge pénal ayant relaxé la société pour les faits de blanchiment de fraude fiscale, la bonne foi des dirigeants est établie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Paulo et Célia ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Paulo et Célia, de droit portugais, qui a pour activité le transport routier et le fret, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er février 2005 au 30 septembre 2015. A l'issue du contrôle, l'administration a considéré que la société exerçait une activité occulte par l'intermédiaire d'un établissement stable situé en France. Par proposition de rectification du 30 septembre 2016, l'administration lui a notifié dans le cadre de la procédure de taxation d'office des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 2006 à 2014, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2015 ainsi que des pénalités correspondantes. La société Paulo et Célia relève appel du jugement du 7 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et pénalités correspondantes.

Sur le principe de l'imposition en France :

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

2. D'une part, aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. ". D'autre part, en vertu des stipulations des articles 5 et 7 de la convention fiscale entre la France et le Portugal du 14 janvier 1971, les bénéfices d'une entreprise ne sont imposables que dans l'Etat sur le territoire duquel se trouve un établissement stable, entendu comme une installation fixe d'affaires dans laquelle l'entreprise exerce tout ou partie de son activité, une personne agissant dans un des Etats pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat n'étant considéré comme tel dans le premier Etat que s'il dispose de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, à moins que l'activité de cette personne ne soit limitée à l'achat de marchandises pour l'entreprise.

3. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 30 septembre 2016 que les associés de la société Paulo et Célia, M. et Mme C..., sont domiciliés en Haute-Marne. Dans le cadre de l'exercice de son droit de communication exercé auprès de la société d'exploitation forestière de l'Est, un des deux principaux clients, l'administration a constaté que les factures émises par la société Paulo et Célia sur la période en litige portaient un tampon mentionnant l'adresse du domicile des associés et leurs coordonnées téléphoniques en France. En consultant la comptabilité de la SAS Chaumont Poids lourds, fournisseur de la société requérante, le vérificateur a eu connaissance du règlement de factures de travaux d'entretien des tracteurs et remorques appartenant à la société Paulo et Célia à partir d'un compte bancaire ouvert en 2006 par M. et Mme C... au nom de la société dans une agence de la Société générale à Chaumont et dont les relevés bancaires sont adressés au domicile des associés. Dans le cadre d'un droit de communication auprès de la SAS Bassigny Poids lourds, le vérificateur a constaté dans la comptabilité de cette société des contrats de location-vente de véhicules correspondants à ceux ayant fait l'objet de réparation auprès de la SAS Chaumont poids lourds. Dans ces contrats, le locataire a déclaré que les véhicules étaient rattachés au centre d'exploitation de Chaumont et certains étaient accompagnés d'attestation d'assurance au nom de M. C.... La société requérante n'apporte aucun élément qui justifierait que son gérant assure la direction de l'entreprise depuis le siège de la société au Portugal. Eu égard à ces éléments, l'administration a établi que le gérant de la société en assure la direction et la gestion financière depuis son domicile personnel situé en Haute-Marne et que le matériel de transport de la société est entreposé dans un local à Chaumont. Par suite, la société requérante doit être regardée comme ayant disposé au cours des années en cause, dans les locaux situés au domicile personnel de son gérant, d'une installation fixe d'affaires dans laquelle elle a exercé son activité et doit par suite être regardée comme ayant exploité une entreprise en France au sens des dispositions de l'article 209 du code général des impôts. La circonstance que la société requérante aurait satisfait à ses obligations fiscales et comptables au Portugal, ce qu'elle n'établit pas au demeurant, est ici sans incidence sur la réalité d'un établissement stable en France. Il s'ensuit également qu'elle doit être regardée comme y ayant disposé d'un établissement stable au sens des stipulations de l'article 7 de la convention fiscale entre la France et le Portugal du 14 janvier 1971. C'est dès lors à bon droit que l'administration fiscale l'a assujettie en France à l'impôt sur les sociétés en application combinée de ces dispositions et stipulations.

En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :

S'agissant de la période du 1er octobre 2006 au 31 décembre 2009 :

4. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. (...) ". Aux termes de l'article 259 du même code, dans sa version applicable à la période d'imposition litigieuse : " Le lieu des prestations de services est réputé se situer en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité ou un établissement stable à partir duquel le service est rendu ou, à défaut, son domicile ou sa résidence habituelle. ".

5. Pour l'application de ces dispositions, qui résultent de la transposition en droit interne de l'article 9 de la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, il convient, comme la Cour de justice des Communautés européennes l'a jugé notamment dans ses arrêts Berkholz du 4 juillet 1985 (C-168/84, points 17 et 18) et ARO Lease BV du 17 juillet 1997 (C-190/95, points 15 et 16), de déterminer le point de rattachement des services rendus afin d'établir le lieu des prestations de services. L'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique apparaît comme un point de rattachement prioritaire, la prise en considération d'un autre établissement à partir duquel la prestation de services est rendue ne présentant un intérêt que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle du point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre Etat membre. Un établissement ne peut être utilement regardé, par dérogation au critère prioritaire du siège, comme lieu des prestations de services d'un assujetti, que s'il présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées.

6. Ainsi, jusqu'au 31 décembre 2009, le rattachement de prestations de services soit à un établissement satisfaisant aux critères énoncés au point précédent dont le prestataire dispose en France, soit au siège de son activité économique situé sur le territoire d'un autre Etat membre, détermine si la taxe sur la valeur ajoutée grevant ces prestations est due en France ou dans l'autre Etat membre.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le rattachement au siège portugais de la société de son activité de transport, à partir duquel cette activité économique n'est pas exercée, conduit à une solution qui n'est pas rationnelle du point de vue fiscal. En revanche, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la société Paulo et Célia a un établissement stable en France à partir duquel ses services ont été rendus au sens des dispositions précitées de l'article 259 du code général des impôts dès lors que cet établissement présentait un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de transport considérées. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a estimé qu'au regard des principes régissant la territorialité de la taxe sur la valeur ajoutée, la société requérante disposait d'un établissement stable en France et qu'il y avait lieu d'y rattacher les prestations de services en cause.

S'agissant de la période du 1er janvier 2010 au 30 septembre 2015 :

8. Aux termes de l'article 259 du code général des impôts, dans sa version applicable à la période d'imposition litigieuse : " Le lieu des prestations de services est situé en France : 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; (...) 2° Lorsque le preneur est une personne non assujettie, si le prestataire : a) A établi en France le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France à partir duquel les services sont fournis ; b) Ou dispose d'un établissement stable en France à partir duquel les services sont fournis ; (...) ".

9. Il résulte de ces dispositions, issues de la transposition en droit interne des articles 44, 192 bis, 193, 194 et 196 de la directive du 28 novembre 2006 dans leur version en vigueur à compter du 1er janvier 2010, éclairées notamment par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne GST Sarviz AG Germania du 23 avril 2015 (C-111/14, points 20 à 25), ainsi que de l'article 53 du règlement n° 282/2011 du Conseil du 15 mars 2011 portant mesures d'exécution de la même directive, que lorsque le lieu des prestations de services se trouve en France parce qu'elles sont fournies à des assujettis remplissant les conditions définies à l'article 259 du code général des impôts, le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée afférente est le prestataire qui les fournit s'il est lui-même établi en France. Doit être regardé comme tel le prestataire qui a en France un établissement stable depuis lequel les prestations sont fournies et qui satisfait aux critères énoncés au point 8, lesquels demeurent pertinents sous l'empire des nouvelles dispositions, ainsi qu'il ressort notamment de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne Welmory du 16 octobre 2014 (C-605/12, points 53 à 58). Dès lors que les prestations peuvent être rattachées à un tel établissement, il n'y a pas lieu de rechercher si ce rattachement est fiscalement plus rationnel qu'un rattachement au siège de l'activité économique du prestataire.

10. Il résulte de l'instruction et notamment de la proposition de rectification du 30 septembre 2016, que l'administration a reconstitué le montant de la taxe sur la valeur ajoutée collectée à partir des seules prestations de transport facturées à la société d'exploitation forestière de l'Est, domiciliée en France. Il s'ensuit, qu'eu égard à ce qui a été dit au point 3 et dès lors que le preneur était situé en France, c'est à bon droit que la société requérante a été assujettie en sa qualité de prestataire à la taxe sur la valeur ajoutée correspondante au titre de son établissement stable en France en application des dispositions précitées de l'article 259 du code général des impôts.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : / (...) 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 ; / 3° aux taxes sur le chiffre d'affaires, les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes (...) ". Aux termes de l'article L. 68 du même livre, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure. / Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : (...) 3° Si le contribuable s'est livré à une activité occulte, au sens du troisième alinéa de l'article L. 169 ; (...) ".

12. La société requérante, dont les opérations de vérification ont permis d'établir l'existence d'un établissement stable en France de la société, n'a pas déposé de déclaration d'existence de son activité, ni respecté ses obligations déclaratives tant en matière de taxe sur la valeur ajoutée que d'impôt sur les sociétés. Contrairement à ce que fait valoir la société requérante, l'administration n'est pas tenue d'adresser une mise en demeure prévue au premier alinéa de l'article L. 68 du livre des procédures fiscales à un contribuable qui ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce. Si la société requérante entend invoquer le droit à l'erreur, elle n'établit aucune circonstance particulière qui justifierait qu'elle ne se soit acquittée d'aucune de ses obligations déclaratives en France. Par suite, l'administration a pu mettre en oeuvre la procédure de taxation d'office sans procéder à l'envoi préalable d'une mise en demeure conformément aux dispositions précitées du 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales et de l'article L. 68 du même livre.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

En ce qui concerne le délai de reprise de l'administration :

13. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable au litige en vertu du IX de l'article 18 de la loi n°2009-1674 du 30 décembre 2009 : " Pour (...) l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite (...) ". L'article L. 176 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable au litige en vertu du IX de l'article 18 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, prévoit que le droit de reprise de l'administration s'exerce en matière de taxes sur le chiffre d'affaires dans les mêmes délais que ceux prévus à l'article L. 169 précité, le point de départ du délai étant l'année au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts.

14. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la société Paulo et Célia a disposé au cours des années en litige d'un établissement stable en France à partir duquel ses services ont été rendus et que ses bénéfices en France doivent être soumis à l'impôt sur les sociétés. Eu égard à ce qui a été dit aux points 4 à 10, la société requérante doit être regardée comme devant être assujettie en sa qualité de prestataire à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de cet établissement stable. Il est constant que la société requérante n'a pas déposé au titre des exercices litigieux des déclarations qu'elle était tenue de souscrire en matière d'impôt sur les sociétés du fait de son activité imposable en France à raison de son établissement stable et en matière de taxe sur la valeur ajoutée à raison des prestations réalisées à partir de cet établissement. Par ailleurs, la société Paulo et Célia n'a pas fait connaître l'exercice de son activité par l'intermédiaire d'un établissement stable en France.

15. D'autre part, il résulte des dispositions citées au point 11 que dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, son activité est réputée occulte s'il n'est pas en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives. S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un Etat autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment du niveau d'imposition dans cet autre Etat et des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux Etats.

16. Il résulte de l'instruction que la société Paulo et Célia a exercé au moins depuis 2006 une activité de transport en France, pour laquelle elle n'a déposé aucune déclaration d'activité auprès d'un centre de formalités des entreprises ou d'un greffe de tribunal de grande instance, ni aucune déclaration en matière de bénéfices professionnels ou de taxe sur la valeur ajoutée auprès de l'administration fiscale. Par ailleurs, il n'est pas contesté qu'il existait sur les années en litige une importante différence de niveau d'imposition entre la France et la Portugal, le taux de l'impôt sur les sociétés au Portugal étant de 25 % puis de 23 % à compter du 1er janvier 2014. Or, sur la même période, il était de 33 1/3 % en France dans la limite d'un plafond de 38 120 euros de bénéfice. La circonstance que le Portugal n'est pas un Etat à régime fiscal privilégié est sans incidence ici quant à la comparaison du niveau d'imposition entre cet Etat et la France. Quant aux modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux Etats, l'administration a obtenu dans le cadre de l'assistance administrative internationale les bilans et comptes de résultats déposés au Portugal par la société Paulo et Célia sur les seules années 2012 à 2016. Le chiffre d'affaires ayant été globalisé, l'administration n'a pas été mise en mesure de vérifier que la part d'activité réalisée en France avait été effectivement déclarée à l'administration fiscale portugaise. En outre, la société Paulo et Célia produit pour les besoins de la cause la balance générale de son exercice clos en 2016 qui serait issue de sa comptabilité tenue au Portugal et qui mentionne notamment son client français, la société d'exploitation forestière. Toutefois, ce document comptable, qui est dépourvu de toute date certaine, ne suffit pas à démontrer que la société requérante a repris ces éléments dans sa déclaration de résultat qu'elle aurait déposée au Portugal. Par suite, il n'est pas établi que la société requérante ait satisfait à toutes ses obligations déclaratives au Portugal et qu'elle s'est méprise sur le caractère imposable en France de son activité déployée en France. Enfin, en se bornant à invoquer les origines portugaises des associés et la délivrance de son autorisation administrative de transport par le Portugal pour expliquer l'absence de déclaration des recettes générées en France et de la taxe sur la valeur ajoutée auprès de l'administration fiscale française, la société requérante n'établit pas avoir commis une erreur justifiant qu'elle ne se soit acquittée d'aucune de ses obligations déclaratives.

17. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que l'administration a exercé son droit de reprise dans le délai de dix années prévu par les dispositions précitées de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales et de l'article L. 176 du livre des procédures fiscales.

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

18. La société Paulo et Célia soutient que son installation au Portugal a été consécutive à la délivrance d'une autorisation administrative de transport par cet Etat et que ses résultats ont fait l'objet de déclarations auprès de l'administration portugaise, de sorte que les suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie en France entraînent une double imposition. Il résulte de l'instruction que, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3, la société doit être regardée comme disposant en France d'un établissement fixe d'affaires au sens des stipulations des articles 4 et 5 de la convention fiscale franco-portugaise, et par suite, d'un établissement stable au sens de ladite convention. Par suite, conformément aux stipulations de l'article 7 de la convention fiscale franco-portugaise, les revenus de la société Paulo et Célia tirés de l'activité de son établissement stable en France doivent être imposés en France au titre de l'impôt sur les sociétés. La société Paulo et Célia ne peut donc utilement se prévaloir ni de la délivrance d'une autorisation administrative de transport par le Portugal ni de sa liberté d'établissement dans tout Etat de l'Union européenne pour contester le bien-fondé des impositions en litige. En se bornant à produire la balance générale de ses comptes au Portugal en décembre 2016, la société requérante ne justifie pas que l'ensemble de ses résultats ont été déclarés par elle et imposés au Portugal. Comme le fait valoir le ministre en défense, il lui appartiendrait dans ce cas, si elle s'y croit fondée, de demander la décharge des impositions mises à sa charge au Portugal à raison des bénéfices générés par l'établissement stable en France, imposables en France par application de la convention fiscale franco-portugaise. En outre, elle n'apporte aucun élément relatif à la procédure qu'elle aurait mise en oeuvre en application de l'article 25 de la convention fiscale franco-portugaise précité en vue de faire constater l'existence éventuelle d'une double imposition. La société requérante n'est par suite pas fondée à soutenir qu'elle doit être, pour ce motif, déchargée des suppléments d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre de l'ensemble de la période en litige.

En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :

19. Aux termes de l'article 283 du code général des impôts : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables. ".

20. La société requérante soutient que le Trésor n'a pas été lésé dès lors que les rappels entraînent nécessairement un droit à déduction du même montant et que la taxe a d'ores et déjà été autoliquidée.

21. Pour reconstituer le chiffre d'affaires taxable à la taxe sur la valeur ajoutée au titre des années litigieuses, l'administration fiscale a pris en compte les encaissements réalisés par la société au cours des années 2006 à 2014 sur le compte bancaire qu'elle possédait en France. Le vérificateur a également pris en compte les informations obtenues dans le cadre de l'exercice du droit de communication auprès du principal client et des fournisseurs de la société.

22. D'une part, eu égard à ce qui a été dit précédemment, l'activité exercée par la société Paulo et Célia depuis son établissement stable en France doit être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. En application de l'article 283 du code général des impôts, la société requérante était redevable de la taxe correspondant aux prestations de services réalisées depuis son établissement stable en France. D'autre part, la société n'établit pas que les clients assujettis auraient procédé à l'autoliquidation de la taxe sur leurs déclarations. Par suite, c'est à bon droit que l'administration lui a notifié les rappels en litige. Enfin, la société Paulo et Célia ne peut utilement se prévaloir de l'article 132 de loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 codifié à l'article L. 247 du livre des procédures fiscales, qui ne s'applique qu'aux contrôles pour lesquels les impositions supplémentaires correspondantes n'ont pas été mises en recouvrement avant le 1er janvier 2019.

En ce qui concerne les pénalités :

23. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte ".

24. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la société Paulo et Célia n'a pas satisfait à ses obligations déclaratives en France et ne s'est pas fait connaître auprès de l'administration fiscale. Par suite, et dès lors que la société requérante n'établit pas l'existence d'une erreur justifiant qu'elle ne se soit acquittée de bonne foi d'aucune de ses obligations déclaratives, c'est à bon droit que les rehaussements en litige ont été assortis de la pénalité de 80 % prévue par le c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts en cas de découverte d'une activité occulte. Enfin, comme il a dit précédemment, la circonstance que le dirigeant de la société requérante ait été relaxé des faits de blanchiment de fraude fiscale est sans incidence sur l'appréciation de sa bonne foi.

25. En dernier lieu, l'autorité de la chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux décisions des juridictions de jugement qui statuent sur le fond de l'action publique. Tel n'est pas le cas des ordonnances de non-lieu que rendent les juridictions d'instruction quelles que soient les constatations sur lesquelles elles sont fondées. Par suite, à supposer même que la société requérante ait entendu soulever sur ce point un moyen, la circonstance que l'instruction de la plainte relative aux faits en litige ait été clôturée par un arrêt de la cour d'appel de Dijon du 28 juin 2019 prononçant la relaxe de son dirigeant des faits de blanchiment de fraude fiscale est sans incidence tant sur le bien-fondé des impositions en litige que sur l'appréciation de sa bonne foi.

26. Il résulte de tout ce qui précède que la société Paulo et Célia n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Paulo et Célia est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Paulo et Célia et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

2

N° 19NC03651


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC03651
Date de la décision : 06/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée.


Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Stéphanie LAMBING
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER
Avocat(s) : MICHELOT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-05-06;19nc03651 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award