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15/04/2021 | FRANCE | N°20NC00006

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 15 avril 2021, 20NC00006


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 7 août 2019 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination et, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification d

u jugement à intervenir, à titre subsidiaire, de procéder à un réexamen de sa s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 7 août 2019 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination et, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, à titre subsidiaire, de procéder à un réexamen de sa situation dans le même délai et, entretemps, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Par un jugement n° 1906953 du 5 décembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 7 août 2019 et enjoint au préfet de réexaminer la demande de M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 20NC00006 le 2 janvier 2020, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour d'annuler les articles 1 et 3 du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 5 décembre 2019.

Il soutient que son arrêté du 7 août 2019 ne méconnaît pas le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mai 2020, M. B... C..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, et à la condamnation de l'Etat à verser à son conseil une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le préfet du Haut-Rhin ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 16 juillet 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 13 août 2020.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 14 mai 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Favret, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., ressortissant kosovar né le 2 avril 2001, est entré irrégulièrement en France le 28 juin 2016, accompagné de ses parents, pour y solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en date du 29 juin 2018, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile en date du 18 janvier 2019. Le 24 avril 2019, M. C... a sollicité son admission au séjour en raison de son état de santé. Par arrêté du 7 août 2019, le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet du Haut-Rhin fait appel du jugement du 5 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé son arrêté du 7 août 2019, lui a enjoint de réexaminer la demande de M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me A... en application des dispositions des article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre. ". Aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11 de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) " Aux termes de l'article R. 313-23 du même code : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. (...). Il transmet son rapport médical au collège de médecins. / (...) / Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. ". Enfin, l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 prévoit, d'une part, que l'avis émis par le collège des médecins " mentionne les éléments de procédure " et, d'autre part, qu'il est émis " conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté ".

3. Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions du 11° de l'article L. 313-11, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Elle doit alors, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. C... souffre d'ostéogenèse imparfaite sévère (maladie dite " des os de verre "), pour laquelle il fait l'objet d'une prise en charge pluridisciplinaire associant séances de rééducation dans le cadre d'un suivi au sein du service de Médecine Physique et de Réadaptation, suivis orthopédique, dentaire, audiométrique, pneumologique et cardiaque, prise d'antalgiques, de supplémentation phospho-calcique et, enfin, des cures de bisphosphonates. Pour refuser à l'intéressé le titre de séjour qu'il avait sollicité pour des raisons de santé, le préfet du Haut-Rhin s'est fondé notamment sur un avis émis le 25 juin 2019 par le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui a estimé que l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'un traitement approprié était disponible dans le pays d'origine et que M. C... pouvait voyager sans risque.

5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la pathologie de M. C... a entraîné pour lui diverses fractures ayant donné lieu à des hospitalisations, notamment en octobre 2016 pour une fracture du fémur gauche et en janvier 2017 pour une facture du humérus droit, des douleurs multiples et invalidantes lors de la mobilisation, une impotence fonctionnelle majeure rendant la marche impossible, une déformation des membres inférieurs et du thorax, ainsi qu'une insuffisance respiratoire restrictive. Si le préfet du Haut-Rhin se prévaut du rapport MedCOI de 2016 pour soutenir que les soins requis par l'état de santé du requérant sont disponibles et accessibles au Kosovo, ce document, dont le préfet ne produit que des extraits en langue anglaise sans les accompagner d'une traduction, mentionne notamment, en page 12, que les servies de radiologie et de laboratoire sont très peu développés au premier niveau du service de soins et, en page 14, que les patients doivent souvent fournir eux-mêmes le matériel médical, les médicaments ou les frais de nourriture pendant l'hospitalisation, en raison du manque de moyens des hôpitaux. En outre, l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) souligne les carences du système de santé kosovar, y compris dans la capitale Pristina, dans un rapport rédigé en 2017. De plus, si le préfet soutient que l'intéressé souffre de sa pathologie depuis l'âge de trois mois et qu'il a pu se faire soigner au Kosovo jusqu'à son arrivée en France à l'âge de quinze ans, il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux établis le 3 novembre 2017 par le Dr Magnus et le 29 janvier 2018 par le Dr François, que le diagnostic de la maladie du requérant n'a pas été fait au Kosovo, mais en Allemagne en 2015, et que les fractures dont M. C... a été victime dans son pays d'origine y ont toujours été soignées de façon symptomatique, sans aucune prise en charge spécifique de la maladie alors non diagnostiquée . Dès lors, dans les circonstances très particulières de l'espèce, et nonobstant la circonstance que le collège des médecins de l'OFII a estimé qu'un traitement approprié était disponible dans le pays d'origine, le requérant est fondé à soutenir que le préfet du Haut-Rhin a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour pour raisons de santé.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Haut-Rhin n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé son arrêté du 7 août 2019 et lui a enjoint de réexaminer la demande de M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Sur les conclusions d'appel incident de M. C... :

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de délivrer au requérant une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de quinze jours à compter du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me A... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet du Haut-Rhin est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me A... la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.

2

N° 20NC00006


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00006
Date de la décision : 15/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GROSSRIEDER
Rapporteur ?: M. Jean-Marc FAVRET
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : BOHNER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-04-15;20nc00006 ?
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