Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... D... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les arrêtés du 16 juillet 2019 par lesquels le préfet de l'Aube a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et leur a fait interdiction de retour sur le territoire.
Par des jugements numéros 1902340 et 1903241 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé les décisions faisant obligation à Mme et M. D... de quitter le territoire à destination du pays dont ils ont la nationalité et leur faisant interdiction de retour sur le territoire et a enjoint au préfet de l'Aube de réexaminer leur situation dans un délai de deux mois à compter du jugement sous couvert d'une autorisation provisoire de séjour.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2020, sous le numéro 20NC00230, le préfet de l'Aube, représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 de ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de Mme D... présentées devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Il soutient que :
- la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif était tardive dès lors qu'il n'est pas justifié qu'elle a été introduite dans le délai de trente jours à compter de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que la mesure d'éloignement aurait pour effet de séparer les enfants placés auprès de l'aide sociale à l'enfance de leurs parents alors qu'il n'existe aucune justification des relations existant entre eux et alors qu'il n'est pas contesté que le placement a pour origine les actes de maltraitance de l'intéressée à l'égard de ses enfants.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 mai 2020, Mme F... D..., représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire : repose sur un refus de titre de séjour illégal par violation du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et des articles 3-1 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et les articles 3-1 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et repose sur une appréciation manifestement erronée de sa situation ;
- la décision fixant le pays de destination : viole l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu des risques pour sa vie en cas de retour en Albanie ;
- l'interdiction de retour sur le territoire : viole le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu des circonstances humanitaires dont elle justifie.
II. Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2020, sous le numéro 20NC00231, le préfet de l'Aube, représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 de ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de M. D... présentées devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Il soutient que :
- la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif était tardive dès lors qu'il n'est pas justifié qu'elle a été introduite dans le délai de trente jours à compter de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que la mesure d'éloignement aurait pour effet de séparer les enfants placés auprès de l'aide sociale à l'enfance de leurs parents alors qu'il n'existe aucune justification des relations existant entre eux et alors qu'il n'est pas contesté que le placement a pour origine les actes de maltraitance de l'intéressé à l'égard de ses enfants.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 mai 2020, M. B... D..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire : repose sur un refus de titre de séjour illégal par violation des 7° et 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et des articles 3-1 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et les articles 3-1 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et repose sur une appréciation manifestement erronée de sa situation ;
- la décision fixant le pays de destination : viole l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu des risques pour sa vie en cas de retour en Albanie et de l'absence de traitement disponible pour sa maladie ;
- l'interdiction de retour sur le territoire : viole le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu des circonstances humanitaires dont il justifie.
M. et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du 9 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D..., ressortissants albanais, sont entrés irrégulièrement en France au cours de l'année 2014 et y ont présenté des demandes d'asile. A la suite du rejet de ces demandes d'asile, le préfet de l'Aube leur a fait obligation de quitter le territoire par arrêtés du 18 juillet 2014, ces décisions ayant été confirmées par arrêt de la cour du 2 février 2016. Les intéressés ont présenté des demandes de titre de séjour en faisant valoir l'état de santé de M. D.... Ces demandes ont fait l'objet le 23 mai 2016 d'arrêtés de refus assortis d'obligations de quitter le territoire, lesquels ont été annulés par arrêt de la cour du 22 mars 2018. Après réexamen de la situation des intéressés, leurs demandes de titres de séjour ont été rejetées par arrêtés du 16 juillet 2019 assortis d'obligations de quitter le territoire et d'interdiction de retour sur le territoire. Par les jugements ci-dessus visés du 19 décembre 2019 le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé les décisions d'obligation de quitter le territoire et d'interdiction de retour sur le territoire, fait injonction au préfet de l'Aube de réexaminer la situation des intéressés et mis à la charge de l'Etat la somme de 600 euros au titre des frais de litige. Par les deux requêtes ci-dessus visées, qu'il y a lieu de joindre afin de statuer par un seul jugement, le préfet de l'Aube relève appel de ces jugements.
Sur la recevabilité des demandes devant le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : "I. _ L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants :/3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré (...) II. _ L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : "I. _ L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sur le fondement des 3°, 5°, 7° ou 8° du I de l'article L. 511-1 ou sur le fondement de l'article L. 511-3-1 et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 511-1 ou au sixième alinéa de l'article L. 511-3-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant./L'étranger peut demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle au plus tard lors de l'introduction de sa requête en annulation ". Aux termes de l'article 38 du décret ci-dessus visé du 19 décembre 1991 : " Lorsqu'une action en justice doit être intentée avant l'expiration d'un délai devant la juridiction du premier degré, devant le premier président de la cour d'appel en application des articles 149-1 et 149-2 du code de procédure pénale ou devant la Commission nationale de réparation des détentions provisoires, l'action est réputée avoir été intentée dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice est introduite dans un nouveau délai de même durée à compter : / (...) - soit de la date à laquelle la décision d'admission ou de rejet est devenue définitive ;/- soit, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné ". Aux termes de l'article 50 du même décret : " Copie de la décision du bureau, de la section du bureau ou de leur président est notifiée à l'intéressé par le secrétaire du bureau ou de la section du bureau, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. /La notification indique les modalités selon lesquelles l'intéressé peut soit former un recours contre la décision rendue par le bureau, la section du bureau ou leur président, soit demander une nouvelle délibération ".
3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'une demande d'aide juridictionnelle interrompt le délai de recours contentieux et qu'un nouveau délai de même durée recommence à courir à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice au titre de l'aide juridictionnelle. Il en va ainsi quel que soit le sens de la décision se prononçant sur la demande d'aide juridictionnelle, qu'elle en ait refusé le bénéfice, qu'elle ait prononcé une admission partielle ou qu'elle ait admis le demandeur au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, quand bien même dans ce dernier cas le ministère public ou le bâtonnier ont, en vertu de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991, seuls vocation à contester une telle décision.
4. Il ressort des pièces des dossiers de premières instance que si M. et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par décisions du bureau d'aide juridictionnelle du 21 août 2019 désignant Me C..., la date de notification de ces décisions n'est pas établie de sorte qu'elles ne peuvent être regardées comme définitives. Par suite, les demandes de M. et Mme D... enregistrées au greffe du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne le 23 septembre 2019 ne sauraient être regardées comme tardives contrairement à ce que soutient le préfet de l'Aube.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
5. Aux termes du paragraphe 1er de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme D... ont délaissé trois de leurs cinq enfants auprès des services du département de l'Aube. Par un jugement du 28 mai 2014, les quatre enfants mineurs des intéressés ont été placés auprès des services de l'aide sociale à l'enfance compte tenu des actes de maltraitance commis sur eux et de l'incapacité de leurs parents à les prendre en charge. A la date des décisions attaquées ces enfants étaient toujours placés auprès des services départementaux ainsi qu'il ressort de l'attestation du 19 septembre 2019. Il ne ressort en revanche d'aucune des pièces des dossiers de première instance non plus que des dossiers d'appel que M. et Mme D... aient entretenu avec leurs enfants, à la date de la décision attaquée, la moindre relation après les avoir abandonnés. En particulier, il ne ressort d'aucune des pièces produites que les époux D... aient exercé leurs droits parentaux dans les conditions prévues par le jugement d'assistance éducative. S'il ressort d'une attestation de la structure d'hébergement de M. et Mme D..., postérieure aux décisions attaquées, que ces derniers reçoivent chaque semaine en hébergement leurs quatre enfants mineurs, cette seule pièce n'est pas de nature à établir l'existence de relations avec ceux-ci dans les termes du jugement de placement du 28 mai 2014. Par suite, le préfet de l'Aube est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, a estimé que les décisions faisant obligation à M. et Mme D... de quitter le territoire à destination de l'Albanie et leur faisant interdiction de retour sur le territoire n'avaient pas accordé à l'intérêt supérieur de leurs enfants mineurs une attention primordiale.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Aube est fondé à demander l'annulation des jugements attaqués en tant qu'ils ont annulé ses décisions faisant obligation à M. et Mme D... de quitter le territoire et leur faisant interdiction de retour sur le territoire. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme D... devant le tribunal administratif et la cour.
Sur les obligations de quitter le territoire :
En ce qui concerne l'état de santé de M. D... :
8. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicable en l'espèce : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence. (...) ".
9. Par un avis du 6 février 2019, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, a estimé que l'état de santé M. D... nécessite une prise en charge médicale, dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé, mais que l'intéressé peut bénéficier dans son pays d'origine d'un traitement approprié et que son état de santé peut lui permettre de voyager sans risque. Si l'intéressé soutient qu'il n'est pas établi qu'un traitement contre l'hépatite B soit effectivement disponible en Albanie, il ressort des termes du rapport parlementaire de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de 2017, dont est produit un extrait, que le taux d'avis favorables de 27,5 % rendu par l'Office au sujet des ressortissants albanais s'explique par l'existence d'un programme dédié de lutte contre les hépatites. Le préfet de l'Aube produit divers documents attestant, de surcroît, de la disponibilité des molécules nécessaires au traitement de cette affection en Albanie. Enfin, M. D... qui ne fait état d'aucune circonstance humanitaire pouvant être qualifiée d'exceptionnelle, ne peut utilement invoquer la circonstance qu'il n'accèderait pas effectivement au traitement nécessaire à son état de santé en Albanie. En tout état de cause, il ne l'établit pas par les documents qu'il produit, le préfet indiquant en défense que, parmi les molécules traitant l'hépatite B, l'interféron et le ténofovir font parties de la liste des médicaments remboursables dans ce pays. Dans ces conditions, M. D... n'est pas fondé à invoquer par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision lui refusant un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 312-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne la vie privée et familiale de M. et Mme D... :
10. M. et Mme D... font valoir qu'ils séjournent habituellement en France depuis cinq années avec leurs cinq enfants. Il ressort des pièces du dossier que les intéressés ne témoignent d'aucune forme d'intégration et qu'ils ne sont pas dépourvus d'attaches familiales dans le pays dont ils ont la nationalité, l'Albanie, où il n'est pas contesté que résident certains des membres de leurs familles et où ils ont toujours vécu. Enfin, il est constant que trois enfants du couple ont été pris en charge par un centre départemental de l'enfance, suite à un jugement en assistance éducative prise par le juge des enfants du tribunal de grande instance de Troyes le 28 mai 2014, les enfants ayant déclaré avoir été victimes de maltraitance de la part de leurs parents, ce que ces derniers ne contestaient pas. Dès lors, le préfet de l'Aube n'a, en refusant de délivrer les titres de séjour sollicités, méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, M. et Mme D... ne sont pas fondés à invoquer par la voie de l'exception l'illégalité de ces décisions.
11. A la date des décisions attaquées, M. et Mme D... ne justifient pas contribuer à l'entretien et l'éducation de ceux de leurs enfants qui ont été confiés au service de protection de l'enfance. Eu égard aux mentions du jugement en assistance éducative du 28 mai 2014 rendu par le juge des enfants du tribunal de grande instance de Troyes, aux termes desquelles M. et Mme D... ont eux-mêmes déposé trois de leurs enfants au centre départemental de l'Enfance sans plus se manifester dans un premier temps, les enfants disant avoir été victimes de maltraitance de la part de leurs parents sans que ces derniers ne le contestent, la seule circonstance que les liens entre les intéressés et leurs enfants placés aient par la suite pu reprendre par l'exercice effectif d'un droit de visite durant les week-ends et les vacances scolaires ne suffit pas à établir que l'intérêt supérieur desdits enfants exigerait qu'un titre de séjour temporaire soit délivré à leurs parents. Par suite, M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir, par la voie de l'exception, que les refus de titre de séjour méconnaîtraient les articles 3-1 et 9 de la convention internationale relatives aux droits de l'enfant.
Sur la décision fixant le pays de destination :
12. Aux termes de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales susvisée : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
13. D'une part, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'il n'est pas établi que M. D... n'aurait pas accès en Albanie aux soins que son état de santé nécessite. D'autre part, les risques pour leur vie dont M. et Mme D... font état en cas de retour en Albanie ne sont établis par aucune des pièces du dossier.
Sur les interdictions de retour sur le territoire :
14. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : "III. _ L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger./Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour./ (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français./ La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".
15. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que M. et Mme D... ne sont en mesure de se prévaloir d'aucune intégration en France, ne sont pas en mesure d'assumer leurs responsabilités parentales et se sont déjà soustraits à des mesures d'éloignement. Compte tenu des conditions de leur séjour en France et en dépit de sa durée, les mesures d'interdiction de retour sur le territoire prononcées à leur encontre ne reposent pas sur une appréciation manifestement erronée de leur situation ou de leurs conséquences sur leur situation.
16. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions leur faisant obligation de quitter le territoire à destination de l'Albanie et celles leur faisant interdiction de retour sur le territoire.
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991 :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance verse à l'avocat de M. et Mme D... une somme au titre des frais que ces derniers auraient exposés dans la présente instance s'ils n'avaient été admis à l'aide juridictionnelle totale.
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 des jugements n° 1902340 et n° 1902341 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 19 décembre 2019 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de M. et Mme D... tendant à l'annulation des décisions du préfet de l'Aube du 16 juillet 2019 leur faisant obligation de quitter le territoire à destination de l'Albanie et celles leur faisant interdiction de retour sur le territoire, présentées devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de M. et Mme D... tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D..., M. B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt sera adressée au préfet de l'Aube.
N° 20NC00230 et N° 20NC00231 2