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18/02/2021 | FRANCE | N°19NC00912

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 18 février 2021, 19NC00912


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge en droits et pénalités de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2011.

Par un jugement n° 1702794 du 29 janvier 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 29 mars 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce

jugement du 29 janvier 2019 ;

2°) de prononcer la décharge de cette imposition et des pénalités correspo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge en droits et pénalités de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2011.

Par un jugement n° 1702794 du 29 janvier 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 29 mars 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 29 janvier 2019 ;

2°) de prononcer la décharge de cette imposition et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'application des dispositions de l'article 1649 quater O B bis du code général de impôts a, en l'espèce, violé les droits fondamentaux garantis par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la procédure d'imposition est irrégulière dès lors qu'il n'a jamais été informé qu'une procédure de redressement était diligentée à son encontre et qu'il n'a jamais été mis en mesure de s'expliquer préalablement à la notification de la proposition de rectification ;

- il se prévaut du n°490 du BOI-CF-IOR-10-30 qui prévoit que lorsque la notification d'un acte de procédure doit être adressée à un contribuable détenu en prison, le service recherche si cette démarche ne peut être effectuée dans les conditions habituelles auprès d'un mandataire ou du conjoint dudit contribuable ;

- la procédure de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts contrevient au principe " non bis in idem " ;

- le caractère confiscatoire de l'imposition établie à son endroit porte sur une somme dont il n'a eu pas la libre disposition ;

- la reconstitution de son revenu repose sur une " base excessivement sommaire " ;

- il est impossible de lui imputer l'ensemble des sommes saisies ;

- la pénalité de 80 % prévue à l'article 1758 du code général des impôts n'a fait l'objet d'aucune motivation dans la proposition de rectification ;

- la pénalité en litige contrevient au principe non bis in idem ;

- cette automaticité de la sanction est contraire à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

M. D... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 mai 2019.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. L'administration a, en application des dispositions de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, pris connaissance d'une procédure pénale ouverte à l'encontre de M. D... pour trafic de stupéfiants. Par une proposition de rectification du 10 décembre 2013, le service a notifié à l'intéressé une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l'année 2011, assortie des intérêts de retard et de la pénalité de 80% prévue par l'article 1758 du code général des impôts, en application des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts. L'administration a ainsi imposé entre les mains de l'intéressé les sommes retrouvées lors de perquisitions chez ses parents et sa soeur, pour un montant total de 69 280 euros et dont il a reconnu, devant le juge d'instruction, qu'elles étaient en sa possession. M. D... relève appel du jugement du 29 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 56, lorsque l'administration des impôts constate une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes quelconques dues en vertu du code général des impôts ou de l'article L. 2333-55-2 du code général des collectivités territoriales, les rectifications correspondantes sont effectuées suivant la procédure de rectification contradictoire définie aux articles L. 57 à L. 61 A " Aux termes de l'article L. 57 du de ce livre : " L'administration adresse au contribuable un proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations... " Aux termes de l'article L. 76 AA du même livre : " 1. Lorsque les agents des impôts sont informés pour un contribuable de la situation de fait mentionnée à l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, ils peuvent modifier la base d'imposition sur le fondement des présomptions établies par cet article.

2. La décision de faire application du 1 est prise par un agent de catégorie A détenant au moins un grade fixé par décret en Conseil d'Etat, qui vise à cet effet la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou la notification prévue à l'article L. 76 ".

3. L'administration s'est bornée à examiner les pièces dont elle a eu connaissance à la suite de l'exercice de son droit de communication. Elle pouvait donc, en application des dispositions précitées de l'article L. 76 AA du livre des procédures fiscales, notifier directement à M. E... la proposition de rectification prévue par les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales en lui laissant la possibilité d'y répondre pour renverser la présomption de perception de revenus posée par l'article 1649 quater-0 B bis du livre des procédures fiscales, sans être dans l'obligation préalable de l'informer de l'engagement à son encontre de la procédure prévue à cet article. En conséquence, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la procédure d'imposition suivie aurait été irrégulière au motif que l'administration ne l'a pas informé de l'engagement de la procédure prévue à l'article 1649 quater-0 B bis du livre des procédures fiscales, ni organisé de débat oral préalablement à la notification de la proposition de rectification.

4. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration ".

5. M. E... ne peut utilement invoquer, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, le contenu de la doctrine administrative référencée BOI-CF-IOR-10-30 paragraphe 490, qui est relatif à la procédure d'imposition et ne peut, par suite, être regardée comme comportant une interprétation d'un texte fiscal au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

6. Aux termes de l'article 1649 quater-0 B bis du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'il résulte des constatations de fait opérées dans le cadre d'une des procédures prévues aux articles 53, 75 et 79 du code de procédure pénale et que l'administration fiscale est informée dans les conditions prévues aux articles L. 82 C, L. 101 ou L. 135 L du livre des procédures fiscales qu'une personne a eu la libre disposition d'une somme d'argent, produit direct d'une des infractions visées au 2, cette personne est présumée, sauf preuve contraire appréciée dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 10 et L. 12 de ce même livre, avoir perçu un revenu imposable égal au montant de cette somme au titre de l'année au cours de laquelle cette disposition a été constatée. La présomption peut être combattue par tout moyen et procéder notamment de l'absence de libre disposition des sommes mentionnées au quatrième alinéa, du caractère non imposable de ces sommes ou du fait qu'elles ont été imposées au titre d'une autre année. (...)2. Le 1 s'applique aux infractions suivantes : a. crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-39 du code pénal " et aux termes de l'article 12 du code général des impôts : " L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ".

7. En premier lieu, ces dispositions n'instituent ni une incrimination, ni une peine, ni une sanction. Par suite, M. E..., qui n'invoque à l'appui du moyen aucun texte particulier, ne peut utilement soutenir que l'administration fiscale aurait méconnu un " principe non bis in idem ".

8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, particulièrement du procès-verbal d'interrogatoire du 9 février 2012 réalisé par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Strasbourg, que M. D... a reconnu avoir eu la possession des sommes en espèces qui ont été découvertes au domicile respectif de sa soeur et de ses parents, pour un montant total de 69 820 euros, lors des perquisitions effectuées le 28 novembre 2011. Si le requérant affirme qu'il n'avait pas la disposition de cette somme au titre de l'année d'imposition en litige, il n'apporte toutefois aucun élément probant de nature à remettre en cause la présomption de mise à disposition prévue par l'article 1649 quater-0 B bis ci-dessus reproduit. La seule circonstance, à la supposer même établie, que cette somme ait fait l'objet d'une confiscation postérieurement à l'année d'imposition en litige, dans le cadre de la procédure pénale menée à son encontre, n'est pas de nature à établir qu'au titre de l'année 2011 il n'en aurait pas eu la disposition. Enfin, le requérant ne saurait soutenir qu'il est impossible de lui imputer l'ensemble des sommes saisies dès lors qu'il a reconnu l'inverse dans le procès-verbal d'audition précité.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 1 du protocole additionnel n°1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".

10. Comme l'ont relevé les premiers juges, il résulte des termes mêmes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que les Etats possèdent le droit de légiférer pour règlementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général, or le dispositif prévu par l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, qui vise à appréhender les revenus provenant d'activités illicites et particulièrement du trafic de stupéfiants, s'inscrit précisément dans un objectif d'intérêt général. En outre, l'imposition des sommes mises à la disposition d'un contribuable à un taux identique à celui frappant les autres revenus ne saurait être regardée comme confiscatoire et portant par elle-même atteinte au respect des biens au sens de l'article 1er de ce protocole. En l'espèce, la circonstance que les sommes en litige ont été, avant leur imposition sur le fondement de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, confisquées dans le cadre de la procédure pénale, en raison du caractère délictuel de leur acquisition, ne saurait caractériser une atteinte au droit de propriété prohibée par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les impositions en litige aboutissent à une double confiscation des sommes en cause et, par voie de conséquence, à la méconnaissance des stipulations de l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. En quatrième lieu, selon les termes mêmes de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, lorsqu'une personne a eu la disposition d'une somme provenant directement d'infractions en lien avec le trafic de stupéfiants, elle est réputée avoir perçu un revenu imposable égal au montant de cette somme au titre de l'année au cours de laquelle cette appréhension a été constatée. Il n'est pas sérieusement contesté que M. D... a eu, au cours de l'année 2011, la disposition d'une somme de 69 820 euros dont l'administration a présumé qu'elle constituait intégralement un revenu imposable. Ainsi, l'administration pour assujettir le requérant aux impositions en litige s'est exclusivement fondée sur les dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis sans procéder à une reconstitution de bénéfice. Dès lors, le requérant ne peut utilement soutenir que l'administration aurait utilisé une méthode " excessivement sommaire " pour reconstituer ses revenus.

Sur les pénalités :

12. Aux termes de l'article 1758 du code général des impôts : " (...) En cas d'application des dispositions prévues à l'article 1649 quater-0 B bis, le montant des droits est assorti d'une majoration de 80 %. ".

13. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 10 décembre 2013 indique, dans un paragraphe distinct consacré aux sanctions fiscales, la nature du fait générateur de la sanction, à savoir l'application des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis, l'article 1758 du code général des impôts et son taux de 80% qui constitue la base légale de la pénalité infligée au requérant ainsi que les modalités de calcul de la majoration et son montant. Il en résulte que le moyen tiré du défaut de motivation de la majoration doit être écarté comme manquant en fait.

14. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ".

15. Le requérant soutient que le caractère automatique de la pénalité de 80 % qui lui a été infligée est contraire à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, et comme l'ont retenu les premiers juges, si les dispositions précitées de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts prévoient un dispositif de présomption de revenus pour le contribuable se trouvant en possession de sommes d'argent provenant du trafic de produits stupéfiants, portant atteinte à l'ordre public et à la sécurité publique, cette présomption, qui est établie à partir de constatations de fait opérées dans le cadre de procédures pénales précisément définies, peut être combattue par ce contribuable. Par suite, la majoration de 80 % prévue par les dispositions de l'article 1758 du code général des impôts ne présente pas le caractère d'une sanction automatique portant atteinte au droit à un procès équitable, tel qu'il est garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

16. En dernier lieu, et en tout état de cause, le requérant ne saurait soutenir que la pénalité en litige viole le principe " non bis in idem " au motif qu'il a déjà fait l'objet, dans le cadre de la procédure pénale, d'une amende et de la confiscation des sommes en cause dès lors que ces sanctions fiscales et pénales ne concernent pas les mêmes faits, la pénalité de 80 % sanctionnant la dissimulation de revenus alors que l'amende pénale et la confiscation concernent les faits délictuels de trafic de stupéfiants.

17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête de première instance, que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par M. D....

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2: Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

2

N° 19NC00912


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC00912
Date de la décision : 18/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

19-04-01-02-03 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur le revenu. Détermination du revenu imposable.


Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Laurence STENGER
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER
Avocat(s) : JUDICIA CONSEILS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-02-18;19nc00912 ?
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