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04/02/2021 | FRANCE | N°19NC00533

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 04 février 2021, 19NC00533


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner solidairement le centre hospitalier régional universitaire de Nancy (CHRU) et son assureur Axa à lui rembourser la somme de 307 319,49 euros qu'il a versée à Mme C... en réparation du préjudice qui a résulté des fautes commises lors de l'intervention réalisée le 25 mars 2008 ainsi qu'une somme de 3 500 euros en remboursement

des frais d'expertise, et 46 097,92 euros correspondant à une pénalité de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner solidairement le centre hospitalier régional universitaire de Nancy (CHRU) et son assureur Axa à lui rembourser la somme de 307 319,49 euros qu'il a versée à Mme C... en réparation du préjudice qui a résulté des fautes commises lors de l'intervention réalisée le 25 mars 2008 ainsi qu'une somme de 3 500 euros en remboursement des frais d'expertise, et 46 097,92 euros correspondant à une pénalité de 15 %.

Par un jugement n° 1702051 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 20 février 2019, le 8 septembre 2019 et le 7 avril 2020, l'ONIAM, représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 20 décembre 2018 rendu par le tribunal administratif de Nancy ;

2°) de condamner solidairement le centre hospitalier régional universitaire de Nancy et son assureur Axa à lui rembourser les sommes de :

- 307 319,49 euros qu'il a versée à Mme C... en réparation du préjudice qui a résulté du défaut dans l'organisation des soins lors de l'intervention réalisée le 25 mars 2008 ;

- 3 500 euros en remboursement des frais d'expertise ;

- 46 097,92 euros de pénalité correspondant à 15 % de l'indemnité payée en lieu et place de l'assureur du centre hospitalier régional universitaire de Nancy ;

3°) de faire courir les intérêts au taux légal sur l'ensemble de ces sommes à compter du 4 mai 2017 ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Nancy et de son assureur Axa in solidum une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il recherche dans le cadre d'une action subrogatoire la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Nancy sur le fondement de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique au motif d'une double faute médicale tenant au choix erroné de la taille de l'anneau mitral posé le 25 mars 2008 et de l'absence d'échocardiographie trans-oesophagienne en per-opératoire qui ont imposé la pose d'une valve mécanique trois ans plus tard, majorant le risque de thrombose et ayant entraîné un accident vasculaire cérébral ;

- l'ensemble de ces fautes a généré une perte de chance de 50 %, conformément à l'avis de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux ;

- les préjudices ont été justement évalués ;

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 juillet 2019 et 21 février 2020, présentés par Me D..., le centre hospitalier universitaire de Nancy et la compagnie AXA France concluent :

- au rejet de la requête

- subsidiairement, après l'application d'un taux de perte de chance de 50 %, à ce qu'il soit jugé que les intimés ne sont susceptibles d'être tenus qu'au remboursement de l'indemnisation des préjudices et débours que pour la seule période du 25 mars 2008 au 26 mai 2011 et inviter l'ONIAM et la mutualité sociale agricole de Lorraine (MSA) à chiffrer à nouveau leurs demandes, au rejet des conclusions de l'ONIAM tendant à l'application d'une pénalité à son profit et à la réduction des indemnités susceptibles d'être accordées au visa de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le choix de la plastie comme sa réalisation sont exempts de faute ;

- si une échographie trans-oésophagienne n'a pas été réalisé en per opératoire, aucun lien de causalité ne saurait être admis entre ce choix et les préjudices allégués ;

- les experts n'ont pas imputé la faute commise par le CHRU en ne pratiquant pas cette échographie à la survenance de l'accident vasculaire cérébral ;

- le seul préjudice admis par les experts se rapportent à l'intervention du 26 mai 2011 réalisée à Mulhouse.

Par un mémoire enregistré le 9 avril 2020, la Mutualité sociale agricole (MSA) de Lorraine demande au tribunal :

- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 décembre 2018 ;

- de condamner solidairement le centre hospitalier régional universitaire de Nancy et son assureur la compagnie Axa à lui rembourser une somme de 56 262,60 euros au titre des prestations versées conformément au troisième alinéa de l'article L. 371-1 du code de la sécurité sociale, ainsi qu'une somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par le neuvième alinéa du même article L. 376-1 ;

- de mettre à la charge solidaire du CHRU de Nancy et de la compagnie Axa le paiement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité du CHRU de Nancy est engagée sur le fondement de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique du fait tant du choix erroné de la taille de l'anneau mitral posé le 25 mars 2008 que de l'absence d'échocardiographie trans-oesophagienne en per-opératoire qui ont imposé la pose d'une valve mécanique trois ans plus tard, majorant le risque de thrombose et ayant entraîné un accident vasculaire cérébral ; l'ensemble de ces fautes a généré une perte de chance de 50 %, conformément à l'avis de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) ;

- sa créance résulte des frais d'hospitalisation, de réadaptation fonctionnelle, de frais futurs viagers pour soins, de frais futurs occasionnels et d'une pension d'invalidité pour un total de 112 525,20 euros qui sera affecté des 50 % de perte de chance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme H..., présidente,

- les conclusions de M. Goujon-Fischer, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., substituant Me G..., pour la mutualité sociale agricole de Lorraine.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... C..., souffrant d'insuffisance mitrale sévère, a été opérée le 25 mars 2008 au CHRU de Nancy par reconstruction valvulaire avec pose d'un anneau. Les suites opératoires ont été simples mais l'évolution a montré une fatigue et une gêne respiratoire à l'effort. S'il a été constaté que la prothèse n'était ni fuyante ni sténosante, la situation hémodynamique s'est aggravée avec de nombreux épisodes d'oedèmes pulmonaires en 2009 et 2010. L'indication d'une reprise chirurgicale par remplacement valvulaire mitral a été posée fin 2010. Le 26 mai 2011, il a été procédé, au centre hospitalier de Mulhouse, à l'ablation de l'anneau mitral et à son remplacement par une valve mécanique. Le 6 septembre 2011, Mme C... a été victime d'un accident vasculaire cérébral avec hémiplégie droite et paralysie faciale. Face aux conclusions d'un premier rapport d'expertise, par un avis du 3 juillet 2012, la CRCI a ordonné une nouvelle expertise médicale contradictoire avec le médecin qui a géré la surveillance des anticoagulants et le centre hospitalier de Mulhouse. Un collège de trois experts a remis un second rapport le 4 décembre 2013. Par un avis en date du 11 février 2014, complété le 1er octobre 2015, la CRCI a retenu un défaut d'organisation des soins en ce que l'échographie trans-oesophagienne a été réalisée quatre jours après l'intervention initiale au lieu d'être pratiquée pendant l'opération, ce qui a entraîné une perte de chance de 50 % d'éviter la pose d'une valve mitrale et la nécessaire administration d'anticoagulants, laquelle est responsable de la complication thrombo-embolitique. L'ONIAM, se substituant à l'assureur du CHRU défaillant, a adressé un protocole d'indemnisation transactionnelle à la victime qui l'a accepté par le 16 avril 2016 pour un montant de 307 319,49 euros. En l'absence de réponse à sa demande préalable d'indemnisation adressée le 2 mai 2017 au CHRU de Nancy et reçue le 4 mai suivant, l'ONIAM, subrogé dans les droits de Mme C... en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, demande au tribunal de condamner solidairement le CHRU de Nancy et son assureur Axa à lui rembourser l'ensemble des sommes exposées dans le cadre du protocole transactionnel, soit, outre la somme de 307 319,49 euros versée à la victime, une somme de 3 500 euros en remboursement des frais d'expertise, ainsi qu'une somme de 46 097,92 euros correspondant à une pénalité de 15%. Par un jugement du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. L'ONIAM relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre (...), l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / Dans ce cas, les dispositions de l'article L. 1142-14, relatives notamment à l'offre d'indemnisation et au paiement des indemnités, s'appliquent à l'office, selon des modalités déterminées par décret en Conseil d'Etat. / L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. (...) / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur (...). / En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue ".

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ".

4. Il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertise produits aux débats que Mme A... présentait une insuffisance mitrale sévère symptomatique, non-opérée et que son espérance de vie était inférieure à 3 ans. L'indication opératoire du 25 mars 2008 était donc conforme aux règles de l'art. Sur le choix de la plastie par rapport au remplacement valvulaire, les experts expliquent que ce choix a été dicté par les conditions propres à la patiente constatées préalablement à l'intervention, mais surtout pendant l'opération et autorisant ou non un tel geste, ainsi que par la pratique qu'avait le chirurgien de cette technique difficile. Il ressort de la littérature médicale que la réparation d'une valve mitrale est toujours préférable à l'implantation d'une prothèse, les avantages étant nets en terme de survie à long terme puisque les patients ayant bénéficié d'une plastie présentent la même espérance de vie que la population générale. En conséquence, la plastie qui permet une reconstruction était le meilleur choix thérapeutique, a fortiori pour une femme de 51 ans. Toutefois si le chirurgien a vérifié l'absence de fuite mitrale, il aurait aussi, selon les experts, dû vérifier le gradient qui est la différence de pression entre l'oreillette gauche et le ventricule gauche par une échographie trans-oesophagienne per opératoire, alors que cet examen n'a été réalisé que quatre jours après l'intervention. Selon les experts, ce geste n'était pas conforme aux règles de l'art et si le chirurgien avait réalisé cet examen pendant l'opération, il aurait probablement procédé immédiatement au démontage de la plastie pour mettre en place un anneau plus grand ou implanter une valvule mitrale mécanique comme cela a été finalement fait en 2011.

5. Toutefois il résulte de l'instruction et notamment des deux rapports d'expertise que l'accident vasculaire cérébral subi par Mme C... le 6 septembre 2011 est imputable à un processus thrombotique lequel n'est pas dû au manquement relevé par les experts ni à la taille de l'anneau inséré dans le cadre de la plastie mais constituait un risque attaché à la présence d'une prothèse mitrale, alors de surcroît que le traitement par anticoagulants a été difficile à stabiliser. Ce risque serait ainsi apparu dès 2008 si le chirurgien avait posé la prothèse au vu des résultats d'une échographie per-opératoire, D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que la pose d'un anneau d'une taille adaptée aurait prémuni l'intéressée de la pose ultérieure d'une valve mécanique, ni que la pose d'un anneau d'une taille inadaptée ait joué un rôle dans la nécessité de poser une telle prothèse. Au demeurant, en vertu de la chronologie des faits relatés dans les expertises, pendant plus de 2 ans les examens cardiaques de Mme C... n'ont pas relevé de sténose de la plastie et ce n'est que fin 2010 que la plastie est devenue sténosante. En conséquence, l'état séquellaire imputable à l'accident vasculaire cérébral du 6 septembre 2011 dont souffre Mme C... n'est pas en lien avec l'absence d'échographie trans-oesophagienne pendant cette intervention, non plus qu'avec la taille de l'anneau alors implanté.

6. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses conclusions indemnitaires.

7. Pour les mêmes motifs, la mutualité sociale agricole de Meurthe et Moselle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire du CHU de Nancy et son assureur à lui rembourser les débours exposés pour Mme C....

Sur les frais de l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge solidaire du CHRU de Nancy et son assureur Axa les sommes que demandent l'ONIAM et la mutualité sociale agricole de Lorraine au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la mutualité sociale agricole de Meurthe et Moselle sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au centre hospitalier régional universitaire de Nancy, à la compagnie Axa France, et à la Mutualité sociale agricole de Lorraine.

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

2

N° 19NC00533


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC00533
Date de la décision : 04/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-05-03 Responsabilité de la puissance publique. Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité, aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale. Subrogation.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Sophie GROSSRIEDER
Rapporteur public ?: M. GOUJON-FISCHER
Avocat(s) : SELARL KNITTEL - FOURAY - GUIRANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-02-04;19nc00533 ?
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