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26/01/2021 | FRANCE | N°19NC03526-19NC03527

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 26 janvier 2021, 19NC03526-19NC03527


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... et Mme C... E..., épouse D..., ont respectivement demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les arrêtés du 5 juin 2019 par lesquels le préfet de la Marne leur a refusé la délivrance d'un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par deux jugements nos 1901618 et 1901619 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.

P

rocédure devant la cour :

I. Par une requête n°19NC03526, enregistrée le 3 décembre 2019,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... et Mme C... E..., épouse D..., ont respectivement demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les arrêtés du 5 juin 2019 par lesquels le préfet de la Marne leur a refusé la délivrance d'un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par deux jugements nos 1901618 et 1901619 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête n°19NC03526, enregistrée le 3 décembre 2019, M. D..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°1901618 du 5 novembre 2019 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 5 juin 2019 pris à son encontre ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Marne de lui délivrer un titre de séjour.

Il soutient que :

- il justifie de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels justifiant la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il peut prétendre à la délivrance d'un titre de séjour " salarié " ou " travailleur temporaire " sur le fondement de ces mêmes dispositions ;

- le préfet ne pouvait pas lui opposer qu'il ne justifiait pas des capacités à occuper l'emploi envisagé, ni que cet emploi ne figurait pas parmi les emplois en carence dans la région Champagne-Ardenne ;

- le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

II. Par une requête n°19NC03527, enregistrée le 3 décembre 2019, Mme E..., épouse D..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°1901619 du 5 novembre 2019 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 5 juin 2019 pris à son encontre ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Marne de lui délivrer un titre de séjour.

Elle soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

- elle justifie de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels justifiant la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Les parties ont été informées, par courrier du 17 décembre 2020, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de M. et Mme D... tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Marne portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, dès lors qu'antérieurement à l'introduction de leur requête d'appel, ils se sont vus délivrer une autorisation provisoire de séjour qui a implicitement mais nécessairement abrogé ces décisions.

M. et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 11 mars 2020.

Vu :

- l'envoi des procédures au préfet de la Marne qui n'a pas produit de mémoire en défense ;

- les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D..., ressortissants arméniens, sont, selon leurs déclarations, entrés sur le territoire français le 12 avril 2015 afin d'y solliciter la reconnaissance du statut de réfugiés. Leur demande d'asile a été rejetée par décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 24 mai 2016, puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 28 mars 2017. Par deux arrêtés du 15 juin 2017, le préfet de la Marne les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le 27 juillet 2017, M. D... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en se prévalant de son état de santé. Par un arrêté du 31 octobre 2017, le préfet de la Marne a rejeté cette demande et obligé à nouveau le requérant à quitter le territoire français. Le 17 mai 2019, M. et Mme D... ont sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par deux arrêtés du 5 juin 2019, le préfet de la Marne a rejeté ces demandes, a obligé les intéressés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre, M. et Mme D... font appel des jugements du 5 novembre 2019 par lesquels le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur les conclusions à fin d'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination :

2. Il ressort des pièces des dossiers qu'avant l'introduction des instances, le préfet de la Marne a accordé aux requérants le 22 octobre 2019, une autorisation provisoire de séjour, valable du 22 octobre 2019 au 21 avril 2020. Cette décision a implicitement mais nécessairement abrogé les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, lesquelles n'avaient reçu aucune exécution. Ainsi, les conclusions tendant à l'annulation de ces décisions étaient dès l'introduction des requêtes d'appel dépourvues d'objet et sont donc par suite irrecevables.

Sur les conclusions à fin d'annulation des décisions portant refus de séjour :

3. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) ".

4. En présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement de l'article L. 313-14, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat lui permettant d'exercer une activité ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là-même, des motifs exceptionnels exigés par la loi. Il appartient en effet à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger, ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, peuvent constituer des motifs exceptionnels d'admission au séjour.

5. M. D... a déposé une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en se prévalant d'une promesse d'embauche pour un emploi d'" ouvrier polyvalent du bâtiment " et de sa situation familiale en France.

6. D'une part, l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne fait pas obstacle à ce que le préfet, saisi d'une demande présentée sur le fondement de cet article, prenne en considération l'existence de difficultés de recrutement dans les métiers dits " en tension " parmi les éléments tels que la qualification, l'expérience, les diplômes, la situation personnelle de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi postulé, sur lesquels il fait porter son appréciation, pour déterminer s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance à titre exceptionnel d'une carte de séjour temporaire en qualité de salarié. Il ressort au demeurant des motifs de la décision attaquée que pour refuser à M. D... la délivrance de ce titre de séjour, le préfet de la Marne ne s'est pas fondé sur les difficultés de recrutement rencontrées par les employeurs.

7. D'autre part, le préfet, pour lui opposer un refus de titre de séjour, s'est fondé sur le fait que M. D... ne justifiait pas disposer des qualifications ou expériences utiles pour l'emploi d'" ouvrier polyvalent du bâtiment ". En se bornant à soutenir que cet emploi ne nécessite aucune qualification particulière et qu'il l'exerce d'ailleurs régulièrement sous couvert de l'autorisation provisoire de séjour qui lui a été délivrée, M. D... ne démontre pas que le préfet aurait commis une erreur d'appréciation en lui opposant ce motif. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. D... bénéficierait de qualifications, d'expériences ou d'une ancienneté dans ce domaine, propres à constituer un motif exceptionnel d'admission au séjour. Dans ces conditions, à la date de la décision litigieuse, la production d'une promesse d'embauche ne suffisait pas à justifier de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires au sens de l'article L313-14.

8. Enfin, si M. D... était présent en France depuis quatre ans à la date de la décision attaquée, il s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français malgré deux mesures d'éloignement édictées à son encontre en 2017. Son épouse a également fait l'objet d'une mesure d'éloignement. Il n'est pas établi que les enfants du couple, nés en 2014 et en 2015, ne pourraient poursuivre leur scolarité en Arménie. En outre, M. D... ne démontre pas une insertion particulière en France en se bornant à se prévaloir de sa qualité de bénévole de l'association " secours populaire français ". Par suite, le requérant ne fait état d'aucun élément de sa vie personnelle pouvant constituer des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels au sens des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Il résulte de ce qui précède que le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur ce fondement.

10. Pour les mêmes motifs relatifs à sa situation personnelle et familiale qu'énoncés pour son époux au point précédent, le préfet de la Marne n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de délivrer à Mme D... un titre de séjour sur ce fondement.

11. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

12. M. et Mme D... font valoir qu'ils se sont parfaitement intégrés en France où ils ont tissé des liens et où leurs deux enfants suivent une scolarité en école maternelle. Toutefois, il ressort des pièces des dossiers que leur présence en France est récente. Si M. et Mme D... se prévalent de leur emploi d'ouvrier polyvalent du bâtiment et de femme de ménage dans un hôtel, ces circonstances sont postérieures aux décisions en litige. Par ailleurs, les intéressés, qui ne justifient pas d'une intégration particulière, ne sont pas dépourvus d'attaches familiales en Arménie où ils ont vécu respectivement jusqu'à l'âge de trente-et-un et vingt-six ans et où résident les parents de Mme D.... En outre, les décisions contestées ne font pas obstacle à ce que les requérants reconstituent leur cellule familiale dans leur pays d'origine avec leurs enfants. Dans ces conditions, les décisions par lesquelles le préfet de la Marne a refusé de leur délivrer un titre de séjour n'ont pas porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux motifs des refus qui leur ont été opposés. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande tendant à l'annulation des décisions portant refus de titre de séjour. Par voie de conséquence, les conclusions des requêtes à fin d'injonction doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes de M. et Mme D... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Mme C... E..., épouse D..., et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Marne.

2

N° 19NC03526-19NC03527


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC03526-19NC03527
Date de la décision : 26/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sandrine ANTONIAZZI
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : GERVAIS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-01-26;19nc03526.19nc03527 ?
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