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10/12/2020 | FRANCE | N°19NC00040

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 10 décembre 2020, 19NC00040


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les consorts I... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner à titre principal le centre hospitalier de Charleville-Mézières et à titre subsidiaire l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux à les indemniser des préjudices subis du fait du décès de leur père le 8 novembre 2009.

Par un jugement n° 1700586 du 13 novembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une r

equête et des mémoires enregistrés les 8 janvier 2019, 22 septembre 2020, 8 octobre 2020 et 13 n...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les consorts I... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner à titre principal le centre hospitalier de Charleville-Mézières et à titre subsidiaire l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux à les indemniser des préjudices subis du fait du décès de leur père le 8 novembre 2009.

Par un jugement n° 1700586 du 13 novembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 8 janvier 2019, 22 septembre 2020, 8 octobre 2020 et 13 novembre 2020, Mme E... I..., Mme D... I..., M. C... I..., M. L... I..., Mme G... I..., M. A... I... et M. B... I..., représentés par Me K... F..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Charleville-Mézières du 13 novembre 2018, à titre principal, en ce qu'il rejette leurs conclusions dirigées contre le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et, à titre subsidiaire, en ce qu'il rejette leurs conclusions formées contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;

2°) de condamner, à titre principal, le Centre Hospitalier de Châlons-en-Champagne, et, à titre subsidiaire, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à leur verser la somme globale de 150 416,06 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du décès de leur père, M. J... I... ;

3°) débouter le centre hospitalier de Charleville-Mézières et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux de leurs demandes ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Charleville-Mézières ou, subsidiairement, de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'imputabilité du décès de leur père à sa prise en charge au centre hospitalier ne fait aucun doute, il est décédé à la suite d'une pneumopathie bilatérale due à une infection correspondant précisément à celle contractée à J25 de l'intervention du 6 septembre 2006 et qui était totalement liée aux soins selon les experts ;

- en optant pour une chirurgie sur un anévrisme de 42 mm, alors que les recommandations médicales sont d'opérer à partir d'un anévrisme de 50 mm et que des investigations préalables auraient pu permettre de retenir une alternative thérapeutique, le centre hospitalier de Charleville-Mézières a commis une faute ;

- le jugement sera annulé en ce qu'il a jugé la prise en charge de leur père conforme aux règles de l'art ;

- leur père, M. I..., n'a pas été informé préalablement des risques d'une chirurgie liée à un anévrysme de l'aorte abdominale sous rénale et le centre hospitalier ne rapporte pas la preuve qu'il a satisfait à son obligation d'informer le patient ;

- les complications graves ayant conduit au décès de leur père en 2009 sont la conséquence de la chirurgie sur anévrysme de l'aorte abdominale sous rénale en 2006 ; il présentait peu de probabilité de présenter des complications ; ces conséquences sont anormales et sans commune mesure avec l'état qui était le sien démontrant ainsi que les conditions de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique sont remplies et justifiant l'indemnisation de leurs préjudices par ricochet au titre de la solidarité nationale.

- Il n'est pas contesté que leur père a contracté deux infections nosocomiales lors de sa prise en charge par le centre hospitalier, lesquelles sont à l'origine du décès ;

- Ils produisent une expertise établie le 8 octobre 2020 docteurs Boiffard et Vent de nature à confirmer que M. I... a subi une perte de chance de ne pas voir son état s'aggraver.

Par des mémoires enregistrés les 22 mars 2019 et 5 novembre 2020, le centre hospitalier de Charleville-Mézières représenté par Me M... O... conclut :

- à titre principal au rejet de la requête et à la condamnation des consorts I... à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- à titre subsidiaire à la réévaluation des sommes demandées en limitant le montant du préjudice d'affection à 6 500 euros par ayant droit et à 5 000 euros les frais d'obsèques.

Il fait valoir que :

- l'intervention chirurgicale du 6 septembre 2006 n'est pas fautive dès lors que l'indication opératoire était conforme et nécessaire au regard de la pathologie et des facteurs de risques présentés par le patient ;

- le dossier du patient porte la trace d'une information préalable à l'intervention chirurgicale et en tout état de cause, le patient ne pouvait se soustraire à cette intervention compte tenu des risques encourus ;

- le lien de causalité entre la chirurgie sur l'anévrisme de l'aorte abdominale et le décès survenu trois ans après l'intervention chirurgicale n'est pas établi ;

- la réalité du préjudice d'accompagnement des consorts I... n'est pas établie ;

- le montant des préjudices d'affection et frais d'obsèques est excessif.

Par un mémoire enregistré le 17 septembre 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux représenté par Me H... conclut à la confirmation du jugement et au rejet des conclusions dirigées contre lui.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme N..., présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- et les observations de Me F... pour les consorts I....

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'un syndrome abdominal douloureux péri-ombilical en juin 2006, il a été diagnostiqué chez M. I..., né en 1932, un anévrisme de l'aorte abdominale en sous rénale. M. I... a, pour ce motif, été pris en charge par le centre hospitalier de Charleville-Mézière et a subi le 6 septembre 2006 une intervention chirurgicale par laparotomie. A l'issue de cette intervention, le patient a été placé en réanimation, puis a été opéré une seconde fois le même jour en raison d'un syndrome hémorragique. A la suite de diverses complications et après avoir passé quatre-vingt-quatre jours en réanimation, M. I... a quitté le centre hospitalier de Charleville-Mézières le 12 décembre 2006, pour être placé en établissement de soins de suite et de réadaptation. M. I... a de nouveau été pris en charge par le service des urgences du centre hospitalier de Charleville-Mézières du 30 avril au 21 mai 2007 en raison d'une hémiplégie gauche sévère et d'un syndrome cérébelleux droit. Il a également été hospitalisé au service de neurologie de l'Hôpital de Dinant (Belgique) du 5 juin au 9 juillet 2009 pour aggravation de l'aphasie et accentuation de l'hémiplégie droite, puis le 23 octobre 2009 en raison d'une pneumopathie bilatérale à enterobacter aerogenes. M. I... est décédé le 8 novembre 2009. Après le rejet de leur réclamation indemnitaire devant le centre hospitalier de Charleville-Mézières, les consorts I... ont présenté une demande d'indemnisation des préjudices subis devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui a rejeté leur demande par un jugement du 13 novembre 2018. Les consorts I... relèvent appel de ce jugement.

Sur la responsabilité du centre hospitalier :

2. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

3. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise diligentée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, établi par les Professeur Aliot et Docteur Pertek le 29 décembre 2015, que, face à un anévrisme de l'aorte abdominale de la taille de celui dont souffrait M. I..., associé à des facteurs de risque liés à l'âge, un ancien tabagisme et une bronchite chronique, la chirurgie prescrite était seule solution thérapeutique, dès lors qu'en l'absence d'intervention, la fissure aortique entraîne une mortalité de 50% avant hospitalisation et d'environ 50% en cas de chirurgie réalisée en urgence. D'autre part, la pathologie dont souffrait M. I... présentait une particulière gravité dont les risques de complication de la chirurgie abdominale prescrite étaient majorés par les antécédents du patient. M. I... a souffert dans les suites immédiates de l'intervention de plusieurs complications, y compris respiratoires, qui ont prolongé la période d'intubation et de maintien en réanimation, augmentant le risque de mortalité ainsi que le risque d'infections nosocomiales notamment pulmonaires et le risque thromboembolique pour un patient déjà atteint d'une pathologie vasculaire. M. I... a subi ensuite un accident vasculaire cérébral périopératoire en novembre 2006, à la suite duquel il a été constaté qu'il avait déjà souffert d'une telle atteinte précédemment, puis un autre accident vasculaire cérébral en 2009 qui a conduit à son décès. Ainsi, M. I..., souffrant déjà d'atteintes vasculaires associées à une hypertension artérielle et à une bronchite chronique, a dû subir une lourde chirurgie abdominale pour traiter un anévrisme aortique, laquelle a été suivie de nombreuses complications liées à l'état de santé du patient et à ses pathologies.. En conséquence, aucune faute n'a été commise dans la prise en charge de M. I... que ce soit lors de l'indication opératoire ou de la réalisation du geste chirurgical.

4. En second lieu, les consorts I... ne sauraient utilement invoquer un manquement du centre hospitalier à son devoir d'information du patient en vertu des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique dès lors que, compte tenu des risques encourus au regard de son état de santé, précisés au point précédent, M. I... ne pouvait raisonnablement se soustraire à l'intervention chirurgicale du 6 septembre 2006.

5. Il résulte de ce qui précède que les consorts I... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande dirigée contre le centre hospitalier de Charleville-Mézières.

Sur l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

6. D'une part, aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.".

7. Il résulte de ces dispositions que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1.

8. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

9. Il résulte de l'instruction, d'une part, ainsi qu'il a été indiqué au point 3, qu'il existait un risque important en l'absence de chirurgie que l'état de santé de M. I... conduise à des complications graves et à son décès et, d'autre part, que les risques induits par l'intervention chirurgicale elle-même étaient particulièrement importants, de l'ordre de 8,7% selon les experts, et qu'ils étaient accentués en l'espèce par les pathologies dont souffrait l'intéressé. Par suite, comme l'ont jugé les premiers juges, les conséquences dommageables qui ont résulté des complications dont a été victime M. I..., à l'issue de l'intervention chirurgicale incriminée ne sauraient être regardées comme anormales compte tenu de l'état de santé initial de M. I... comme de l'évolution prévisible de celui-ci. Ainsi, en l'absence d'anormalité du dommage, les conditions d'indemnisation par la solidarité nationale prévues aux dispositions du II de l'article L. 1142-1 citées au point 2 ne sont pas remplies.

10. D'autre part, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. (...) Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. (...) ". Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du même code : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ; (...) ".

11. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que, si M. I... a souffert d'épisodes infectieux dans les suites de son intervention chirurgicale en 2006, ces infections n'ont pas contribué au pronostic neurologique final lié à l'accident vasculaire cérébrale du tronc cérébral ni au décès, d'autant que selon les experts, la dernière bactérie multi résistante isolée était différente de celles observées lors des séjours à l'hôpital de Charleville-Mézières. Par suite, le décès de M. I... n'est pas imputable à une infection nosocomiale.

12. Il résulte de ce qui précède que les consorts I... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande dirigée contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier de Charleville-Mézières sur ce fondement. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par le même centre hospitalier.

DECIDE :

Article 1er : La requête des consorts I... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du Centre Hospitalier de Charleville-Mézières tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... I..., Mme D... I..., M. C... I..., M. L... I..., Mme G... I..., M. A... I... et M. B... I..., au centre hospitalier de Charleville-Mézières, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne.

2

N° 19NC00040


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC00040
Date de la décision : 10/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Absence de faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Sophie GROSSRIEDER
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : BOISSON VENDE MOURIESSE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-12-10;19nc00040 ?
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