Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Calberson Moselle a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 16 novembre 2016 par laquelle, d'une part, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision du directeur adjoint de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du 30 mai 2016, d'autre part, a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formée par la société Calberson Moselle contre cette décision du 30 mai 2016, et, enfin, a mis en demeure la société de prendre toutes les mesures appropriées, et ce dans un délai de trois mois, pour réduire le risque lié au froid sur les quais de déchargement par l'utilisation de moyens adéquats.
Par un jugement n° 1606200 du 3 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 3 juillet 2019, le 6 avril 2020 et le 10 novembre 2020, la SARL Calberson Moselle, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 3 mai 2019 ;
2°) d'annuler les décisions administratives attaquées en première instance ;
3°) de mettre à la charge l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant de la régularité du jugement :
- il est irrégulier car les premiers juges n'ont pas soulevé d'office l'incompétence des auteurs des actes administratifs attaqués en première instance ;
S'agissant du bien-fondé du jugement :
- les décisions attaquées en première instance sont entachées d'incompétence de l'auteur de l'acte ;
- les décisions méconnaissent l'article R. 4223-3 du code du travail, tel qu'interprété par la circulaire n° 95-17 de la DRT relative aux lieux de travail, lequel prévoit le chauffage des seuls locaux fermés, ce qui n'est pas le cas des quais de déchargement ;
- la mesure de protection collective qui consiste à mettre en place un système de chauffage priverait les salariés de toute protection efficace car seules les mesures de protections individuelles sont adaptées à leur situation ; la mise en place d'un système de chauffage les exposerait à deux ambiances thermiques différentes ;
- le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation dans les éléments de faits établissant une situation dangereuse ;
- il n'y a aucun risque sérieux pour l'intégrité physique des salariés ;
- ni la médecine du travail, ni les instances représentatives du personnel, ni les salariés n'ont fait état de risques en raison de l'ambiance thermique de travail ;
- les décisions litigieuses qui imposent de modifier la température d'un quai de déchargement, lesquelles n'ont fait l'objet d'aucune étude sur leurs incidences environnementales, violent l'obligation juridique de prendre en compte le coût environnemental et sont contraires aux objectifs définis à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et à l'article 6 de la charte constitutionnelle de l'environnement ;
- elle n'est pas propriétaire du site d'Ennery de sorte qu'elle ne pourra pas imposer à son bailleur des travaux inhérents à la mise en place d'un système de chauffage.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2020, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées le 27 octobre 2020, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision du 30 mai 2016 de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi et à celle du 28 septembre 2016 portant rejet implicite du recours hiérarchique exercée par la société Calberson.
Des observations de la société Calberson Moselle au moyen d'ordre public communiqué ont été enregistrées au greffe de la cour administrative d'appel le 2 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte constitutionnelle de l'environnement ;
- le code de l'énergie ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me D... pour la société Calberson Moselle.
Considérant ce qui suit :
1. Lors d'un contrôle effectué le 20 janvier 2015, l'inspecteur du travail de l'unité départementale de la Moselle a relevé une température proche de 0° dans l'entrepôt de chargement, déchargement et stockage de la société Calberson Moselle, située à Flevy, et également relevé l'absence de tout système de chauffage. Sur le rapport de l'inspecteur du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) Alsace, Champagne-Ardenne, Lorraine a, le 30 mai 2016, mis en demeure la société Calberson Moselle de prendre toutes mesures pour faire cesser ce risque lié au froid par des moyens adéquats dans un délai de 135 jours. La société a formé un recours hiérarchique auprès du ministre chargé du travail contre cette mise en demeure, qui a été dans un premier temps implicitement rejeté. Puis, par une décision expresse du 16 novembre 2016, le ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique, a annulé la décision précitée de la DIRECCTE et a enjoint à la société Calberson Moselle de prendre toutes les mesures appropriées, et ce dans un délai de trois mois, pour réduire le risque lié au froid sur les quais de déchargement par l'utilisation de moyens adéquats. La société Calberson Moselle relève appel du jugement du 3 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 novembre 2016.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2.Aux termes de l'article L. 4723-1 du code du travail : " S'il entend contester la mise en demeure prévue à l'article L. 4721-1, l'employeur exerce un recours devant le ministre chargé du travail. (...) ".
3. L'institution par ces dispositions d'un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser à l'autorité compétente pour en connaître le soin d'arrêter définitivement la position de l'administration. Il s'ensuit que la décision prise à la suite du recours se substitue nécessairement à la décision initiale. Elle est seule susceptible d'être déférée au juge de la légalité. Si l'exercice d'un tel recours a pour but de permettre à l'autorité administrative, dans la limite de ses compétences, de remédier aux illégalités dont pourrait être entachée la décision initiale, sans attendre l'intervention du juge, la décision prise sur le recours n'en demeure pas moins soumise elle-même au principe de légalité.
4. Si la société requérante soutient que le tribunal administratif aurait dû soulever d'office l'incompétence de la DIRECCTE pour prendre la décision du 30 mai 2016 et donc, par voie de conséquence, celle du ministre statuant sur son recours hiérarchique le 16 novembre, il résulte du point précédent que la décision du ministre du 16 novembre 2016, prise à la suite du recours administratif préalable obligatoire formé par la société, s'est substituée à celle de la DIRECCTE prise le 30 mai 2016 de sorte que cette dernière a disparu de l'ordonnancement juridique. Il est également constant que le ministre est compétent pour mettre en place des mesures de protection collective pour les salariés telles qu'elles résultent des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 et L. 4721-1 à L. 4721-3 du code du travail. Par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait omis à tort, dans son jugement du 3 mai 2019, de soulever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte du 16 novembre 2016.
5. Il résulte de ce qui précède que le jugement n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. En premier lieu, il résulte du point 4 que le requérant n'est pas fondé à soulever l'incompétence de l'auteur de l'acte du 16 novembre 2016.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 4223-13 du code du travail : " Les locaux fermés affectés au travail sont chauffés pendant la saison froide. Le chauffage fonctionne de manière à maintenir une température convenable et à ne donner lieu à aucune émanation délétère. "
8. Il ressort des pièces du dossier que lors de sa visite, le 20 janvier 2015, de l'entrepôt exploité par la société requérante, l'inspecteur du travail a relevé une température ambiante oscillant à l'intérieur de ce bâtiment entre 0° et 2° Celsius, qu'elles étaient équivalentes à celles constatées à l'extérieur et que le froid ressenti était même plus vif à l'intérieur en raison des courants d'air créés par l'ouverture des portes situées de chaque côté du bâtiment, exposant ainsi les salariés à une ambiance thermique comportant des risques pour leur santé. L'inspecteur du travail constatait également l'absence de système de chauffage permanent ou provisoire, et devait relever, lors d'un nouveau contrôle effectué le 20 mai 2016, que les locaux en cause n'étaient toujours pas équipés d'un tel système. A la suite du rapport de l'inspecteur du travail, la DIRECCTE a pris une mise en demeure, le 30 mai 2016, à l'encontre de la société Calberson, qui sera annulée par le ministre du travail le 16 novembre 2016, lequel a alors mis en demeure, dans son article 3, la société Calberson Moselle de prendre toutes les mesures appropriées et ce " dans un délai de trois mois pour réduire le risque lié au froid sur les quais de déchargement par l'utilisation de moyens adéquats en vue d'obtenir dans ces lieux de travail un niveau de température acceptable pour les salariés leur permettant ainsi de travailler dans des ambiances thermiques compatibles avec la nature de leur activité continue et intense, et propres à préserver leur santé ".
9. Si la société requérante fait valoir que le site d'Ennery ne constitue ni un dépôt, ni une zone de stockage et qu'il s'agit d'un quai de déchargement de sorte que l'article R. 4223.13 du code du travail qui vise les locaux fermés, ne saurait s'appliquer, il ressort des termes de la décision litigieuse du 16 novembre 2016 que la mise en demeure du ministre prise à l'encontre de la société requérante n'est pas fondée sur cet article mais sur les articles L. 4721-1 à L. 4721-3 du code du travail qui permet de mettre en demeure un employeur en cas de non-respect des principes généraux de prévention prévus par les articles L. 4121-1 à L. 4121-5 et L. 4522-1 du même code. Par suite le moyen est inopérant.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 4721-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, sur le rapport de l'inspecteur du travail constatant une situation dangereuse, peut mettre en demeure l'employeur de prendre toutes mesures utiles pour y remédier, si ce constat résulte : / 1° D'un non-respect par l'employeur des principes généraux de prévention prévus par les articles L. 4121-1 à L. 4121-5 et L. 4522-1 ; / 2° D'une infraction à l'obligation générale de santé et de sécurité résultant des dispositions de l'article L. 4221-1. ". Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels (...) ". Aux termes de l'article L. 4121-2 du même code : " L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : (...) 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle (...) ".
11. Si l'employeur se prévaut des équipements individuels de protection dont il a doté ses salariés pour lutter contre le froid, lesquels seraient selon lui les seuls adaptés à leur situation, à la caractéristique des locaux et à la spécificité du travail, de la mise en place de distributeurs de boissons chaudes et d'une salle de repos chauffée, ces équipements n'ont pas pour objet de l'exonérer de ses obligations en matière de mesures de protection collective telles que la mise en place de moyens adéquats pour permettre une température acceptable de la zone de travail des salariés.
12. Enfin, si la société requérante fait valoir également que la température relevée par l'administration ne conduit pas à démontrer le moindre risque sérieux pour l'intégrité physique des salariés, au regard notamment du tableau de l'Institut national de recherche et de sécurité qui indique que le risque est faible si la température est comprise entre plus 5 degrés et moins 20 degrés, d'une part, cette étude, qui évoque les nombreuses situations professionnelles exposant les salariés au froid naturel ou artificiel, a une portée très générale et, d'autre part, la circonstance, au demeurant non établie de l'absence de risque pour les salariés ne saurait avoir pour effet de l'exonérer de ses obligations en matière de mesures de protection collective de ses personnels. De même, la circonstance que ni les instances représentatives du personnel, ni la médecine du travail, ni même les salariés n'auraient réclamé l'installation d'un système de chauffage est sans incidence sur cette obligation pesant sur l'employeur. La société n'est donc pas fondée à soutenir que le ministre du travail a commis une erreur d'appréciation en édictant la mise en demeure litigieuse.
13. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 100-4 du code de l'énergie : " I. - Pour répondre à l'urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs : 1° De réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. (...) 2° De réduire la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à la référence 2012, en visant les objectifs intermédiaires d'environ 7 % en 2023 et de 20 % en 2030. (...) 3° De réduire la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 40 % en 2030 (...) ". Aux termes de l'article 6 de la charte constitutionnelle de l'environnement : " Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ".
14. Pour contester cette mise en demeure, la société requérante soutient que la mise en place d'un système de chauffage au niveau du quai de chargement engendrerait une perte d'énergie très importante et inconciliable avec les objectifs de la politique énergétique nationale énoncés à l'article L. 100-4 du code de l'énergie, issu de la loi du n° 2015-994 du 17 août 2015, et ceux du principe de conciliation de l'article 6 de la charte constitutionnelle de l'environnement. Au soutien de ses allégations la société produit notamment une étude de faisabilité de chauffage, établie par la société Engie Cofely et Geodis, qui propose la mise en place de deux générateurs d'air chaud avec un réseau de gaine textile permettant la diffusion uniforme de la chaleur avec une valeur théorique de 14 degrés pour un coût de travaux de 239 900 euros HT et un coût annuel de chauffage à gaz de 78 100 euros HT, ainsi qu'un second diagnostic thermique-énergétique de la société Dekra, basé sur deux configurations, l'une avec les portails fermés et l'autre avec les portails ouverts à 50 %, qui a estimé, pour la seconde configuration, une consommation d'énergie au gaz d'un coût annuel de 421 479 euros pour atteindre une température de 19 degrés.
15. Toutefois, la société requérant ne peut utilement se prévaloir des dispositions invoquées de l'article L. 100-4 du code de l'énergie et de l'article 6 de la charte constitutionnelle de l'environnement à l'encontre de l'acte attaqué eu égard notamment à sa portée. Par ailleurs, si la société argue du coût énergétique qu'engendrerait la mise en place d'un système de chauffage, la mise en demeure du ministre du travail ne comporte aucune mention d'une température minimale à atteindre et laisse à la société Calberson le choix des mesures appropriées à prendre afin de garantir aux employés, par l'utilisation des moyens qu'elle considère comme adéquats, une température acceptable. Par suite, alors qu'au surplus il ressort des diagnostics précités que des pistes d'amélioration sont possibles afin de diminuer la consommation d'énergie en améliorant les matériaux et la configuration des locaux, le moyen doit être écarté.
16. En quatrième lieu, la circonstance que la société Calberson ne soit pas propriétaire des locaux est sans incidence sur ses obligations de respecter vis-à-vis de ses salariés les principes généraux de prévention tels qu'issus de l'article L. 4121-2 du code du travail.
17.Il résulte de ce tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par la société Calberson Moselle, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Calberson Moselle est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Calberson Moselle et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
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N° 19NC02104