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01/12/2020 | FRANCE | N°20NC00282

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 01 décembre 2020, 20NC00282


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à lui verser la somme de 435 886 euros en raison des préjudices qu'il estimait avoir subis en raison de son exposition aux essais nucléaires.

Par un jugement nos 1702275, 1900217 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Besançon a mis à la charge du CIVEN la réparation intégrale des préjudices subis par M. B... à raison notamment du cancer du pou

mon dont il est atteint, a condamné le CIVEN à verser une provision de 40 000 euro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à lui verser la somme de 435 886 euros en raison des préjudices qu'il estimait avoir subis en raison de son exposition aux essais nucléaires.

Par un jugement nos 1702275, 1900217 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Besançon a mis à la charge du CIVEN la réparation intégrale des préjudices subis par M. B... à raison notamment du cancer du poumon dont il est atteint, a condamné le CIVEN à verser une provision de 40 000 euros et, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de M. B..., a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue des préjudices de ce dernier.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 janvier 2020, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 3 décembre 2019 ;

2°) de rejeter la demande de M. B....

Il soutient que :

- le tribunal a commis une erreur de droit en estimant qu'il ne pouvait pas renverser la présomption de causalité en produisant une évaluation dosimétrique pour les populations polynésiennes alors que l'intéressé n'avait bénéficié d'aucune surveillance individuelle ;

- à aucun moment, pendant ses séjours en Polynésie, M. B... n'a été atteint par des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français, susceptibles d'être la cause de sa maladie, laquelle dès lors est exclusivement due à une autre cause.

La requête a été communiquée à M. B..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Par ordonnance du 7 septembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 septembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 1er décembre 1938, s'est engagé dans l'armée en 1956 et a été affecté en Polynésie Française entre octobre 1963 et avril 1966 puis entre novembre 1969 et mai 1972 en qualité de responsable du réseau de communication. M. B..., qui a contracté une leucémie myéloïde chronique à l'âge de 57 ans et un cancer du poumon à l'âge de 79 ans, a déposé une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Le ministre de la défense a rejeté cette demande par une décision du 28 mai 2013, après avis du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), qui a estimé que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de l'intéressé pouvait être considéré comme négligeable. M. B... a présenté une nouvelle demande d'indemnisation sur le fondement de ces mêmes dispositions le 6 mars 2017, qui a été implicitement puis explicitement rejetée par le CIVEN par une décision du 5 décembre 2018. Par un jugement du 3 décembre 2019, dont le CIVEN relève appel, le tribunal administratif de Besançon a mis à la charge du CIVEN la réparation intégrale des préjudices subis par M. B... à raison notamment du cancer du poumon dont il est atteint, a condamné le CIVEN à verser une provision de 40 000 euros et, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de M. B..., a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue des préjudices de ce dernier.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, dans sa rédaction issue de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi (...)".

3. Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le

31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ; 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française (...) ".

4. Dans sa rédaction issue de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, le V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 énonce, s'agissant du CIVEN, que : " Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique (...) ".

5. Aux termes de l'article L.1333-2 du code de la santé publique : " Les activités nucléaires satisfont aux principes suivants : (...) 3° Le principe de limitation, selon lequel l'exposition d'une personne aux rayonnements ionisants résultant d'une de ces activités ne peut porter la somme des doses reçues au-delà des limites fixées par voie réglementaire, sauf lorsque cette personne est l'objet d'une exposition à des fins médicales ou dans le cadre d'une recherche mentionnée au 1° de l'article L. 1121-1 ".

6. Aux termes de l'article R. 1333-11 du même code : " Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12 (...) ".

7. L'article 57 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, entré en vigueur le 19 juin 2020, dispose que " sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, le b du 2° du I de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 est applicable aux demandes déposées devant le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 précitée ". Les dispositions du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010, dans leur rédaction issue de l'article 232 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, sont dès lors applicables à la demande de l'intéressé qui a été déposée le 7 mars 2017.

8. Il résulte des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 que le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de 1 millisievert (mSv). Si, pour le calcul de cette dose, l'administration peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé. En l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à l'administration de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires. Si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de 1 mSv.

9. Il est constant que M. B... a séjourné dans des lieux et pendant une période définie par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010. Les pathologies dont il souffre figurent sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Il bénéficie donc d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de sa maladie.

10. Le CIVEN, pour renverser cette présomption, fait valoir que le niveau d'exposition de M. B... durant son séjour en Polynésie était inférieur à la limite de dose engagée réglementairement fixée en se référant au calcul de la dose efficace engagée, validé par l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Le CIVEN produit à ce titre le rapport de la mission organisée par l'AIEA de septembre 2009 à juillet 2010 pour l'examen, par des experts internationaux, de l'étude intitulée " la dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie " par laquelle le commissariat à l'énergie atomique (CEA) a procédé en 2006 à la reconstitution des doses reçues par la population lors des essais nucléaires atmosphériques effectués de 1966 à 1974. Ce rapport analyse avec une grande précision, pour les différents sites, la méthodologie utilisée par le CEA pour calculer des doses d'exposition reconstituées à partir des données issues de la surveillance radiologique systématique de l'environnement réalisée depuis 1962, et de la surveillance particulière réalisée après chacun des essais Aldébaran, Rigel, Arcturus, Encelade, Phoebe et Centaure, dont les conséquences radiologiques potentielles ont été les plus élevées. Les doses ainsi reconstituées tiennent compte de la contamination externe (à court terme lors du passage du panache radioactif, à long terme par les dépôts des retombées atmosphériques) et de la contamination interne (par ingestion de radionucléides présents dans les eaux destinées à la consommation, le lait, les produits agricoles et les produits de la pêche, compte tenu des conditions de vie locales et des habitudes alimentaires de la population). Les experts internationaux qualifient d'adapté le programme de prélèvements suivi au cours des essais, dont sont issues les données utilisées pour le calcul des doses reconstituées. Ils valident ces dernières en relevant qu'elles reposent sur des valeurs ou des hypothèses pénalisantes, c'est-à-dire qui tendent à surévaluer les effets de l'exposition réelle.

11. Il résulte de l'instruction que M. B... a été affecté pendant son séjour sur le site d'expérimentation d'Hao en qualité de responsable de réseau de communication. Alors même qu'il n'était pas affecté à des travaux radiologiquement exposés, il était présent sur ces sites lorsque treize essais atmosphériques ont été réalisés, dont certains ont eu des retombées sur le site d'Hao, ainsi que cela résulte du rapport établi en décembre 2015 par la commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité et de l'ouvrage " la dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie - A l'épreuve des faits ". Ainsi, eu égard aux conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, compte tenu des circonstances qui viennent d'être rappelées, les seuls résultats des tables de doses efficaces engagées ne peuvent suffire à établir, en l'absence, d'une part, de mesures de surveillance individuelle de la contamination interne ou externe et, d'autre part, de données relatives au cas de personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, qu'il aurait reçu une dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français inférieure à la limite de 1 mSv par an .

12. Il résulte de ce qui précède que le CIVEN n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Besançon a mis à la charge du CIVEN la réparation intégrale des préjudices subis par M. B... à raison notamment du cancer du poumon dont il est atteint, a condamné le CIVEN à verser une provision de 40 000 euros et, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de M. B..., a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue des préjudices de ce dernier.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du CIVEN est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et à M. A... B....

Copie en sera adressée à la ministre des armées.

2

N° 20NC00282


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00282
Date de la décision : 01/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Armées et défense.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sandrine ANTONIAZZI
Rapporteur public ?: M. MICHEL

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-12-01;20nc00282 ?
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