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01/12/2020 | FRANCE | N°19NC02267

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 01 décembre 2020, 19NC02267


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision du 28 septembre 2018 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation en qualité de victime des essais nucléaires et, d'autre part, de lui accorder une provision de 50 000 euros et de désigner un expert médical.

Par un jugement n° 1807366 du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.

Procédure

devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 juillet 2019 et 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision du 28 septembre 2018 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation en qualité de victime des essais nucléaires et, d'autre part, de lui accorder une provision de 50 000 euros et de désigner un expert médical.

Par un jugement n° 1807366 du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 juillet 2019 et 22 septembre 2020, M. A..., représenté par la SELARL Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et associés, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 15 mai 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 28 septembre 2018 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté sa demande d'indemnisation ;

3°) de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à lui verser la somme totale de 210 419 euros en réparation de ses préjudices ;

4°) de dire que les frais d'expertise médicale - dans l'hypothèse, où la cour ordonnerait une telle expertise sur l'évaluation du dommage corporel consécutif à la pathologie imputable à l'exposition aux rayonnements ionisants - sont à la charge du CIVEN et condamner ce dernier à lui verser une indemnité provisionnelle de 20 000 euros ;

5°) de majorer ce montant des intérêts de droit à compter de la date de la première demande avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;

6°) de mettre à la charge du CIVEN une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le lien de causalité entre le cancer dont il souffre et son séjour à Reggane entre le 19 mai 1962 et le 22 janvier 1963 est présumé ;

- il a été exposé à une contamination interne contre laquelle il n'a pas été protégé et pour laquelle il n'a jamais bénéficié d'aucune surveillance ;

- le CIVEN n'établit pas qu'il n'a pas pu être exposé à une dose efficace supérieure à 1 millisievert (mSv)par an ;

- il est fondé à solliciter l'indemnisation intégrale des préjudices qu'il subit du fait de sa pathologie radio-induite, qui s'élève à la somme de 210 419 euros, comprenant l'assistance par une tierce personne (à évaluer), l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire (à évaluer), les souffrances temporaires endurées (50 000 euros), les dépenses de santé et frais divers (à évaluer), l'indemnisation du préjudice fonctionnel permanent ( 70 419 euros), les souffrances permanentes endurées (30 000 euros), la réparation du préjudice d'agrément (30 000 euros), le préjudice sexuel (10 000 euros) et l'indemnisation des souffrances morales endurées liées à une pathologie évolutive (70 000 euros) ;

- la méthode de calcul retenue par le CIVEN pour calculer la dose efficace reçue, compte tenu des contradictions constatées dans les résultats des différents examens réalisés, ou estimée, lorsqu'aucune mesure de surveillance n'a été effectuée, n'est pas fiable.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 et 26 juin 2020, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- la loi n°2020-734 du 17 juin 2020 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 15 juin 1941, alors engagé volontaire, a été affecté à Reggane, en qualité de magasinier-ravitailleur pendant la période du 8 mai 1962 au 26 janvier 1963. M. A..., qui a contracté un myélome à l'âge de 75 ans, a déposé une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), qui a estimé que l'intéressé n'avait pas été exposé à des rayonnements ionisants, a rejeté cette demande par une décision du 28 septembre 2018. M. A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler cette décision et de condamner le CIVEN à réparer les préjudices qu'il a subis. M. A... fait appel du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 15 mai 2019 qui a rejeté ses demandes.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, dans sa rédaction issue de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi (...) ".

3. Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ; 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française (...) ".

4. Dans sa rédaction issue de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, le V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 énonce, s'agissant du CIVEN, que : " Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique (...) ".

5. Aux termes de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique : " Les activités nucléaires satisfont aux principes suivants : (...) 3° Le principe de limitation, selon lequel l'exposition d'une personne aux rayonnements ionisants résultant d'une de ces activités ne peut porter la somme des doses reçues au-delà des limites fixées par voie réglementaire, sauf lorsque cette personne est l'objet d'une exposition à des fins médicales ou dans le cadre d'une recherche mentionnée au 1° de l'article L. 1121-1 ".

6. Aux termes de l'article R. 1333-11 du même code : " Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12 (...) ".

7. L'article 57 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, entré en vigueur le 19 juin 2020, dispose que " sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, le b du 2° du I de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 est applicable aux demandes déposées devant le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 précitée ". Les dispositions du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010, dans leur rédaction issue de l'article 232 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, sont dès lors applicables à la demande de l'intéressé qui a été déposée le 7 mars 2017.

8. Il résulte des dispositions de la loi 5 janvier 2010 que le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de 1 millisievert (mSv). Si, pour le calcul de cette dose, l'administration peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé. En l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à l'administration de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires. Si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de 1 mSv.

9. Il est constant que M. A... a séjourné dans des lieux et pendant une période définie par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010. La pathologie dont il souffre figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Il bénéficie donc d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de sa maladie.

10. Le CIVEN, pour renverser cette présomption, fait valoir qu'au regard de ses conditions concrètes d'exposition, M. A... n'a pu être atteint par des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français.

11. Il résulte de l'instruction, d'une part, qu'aucun essai nucléaire n'a eu lieu durant la période d'affectation de M. A... à Reggane. Il n'y a été affecté qu'à compter du 8 mai 1962, plus d'un an après le dernier tir nucléaire aérien réalisé le 25 avril 1961. Les essais nucléaires suivants ont été des essais souterrains qui se sont déroulés à In-Ekker, à plusieurs centaines de kilomètres de Reggane. D'autre part, s'il résulte du rapport publié en 2005 par l'agence internationale de l'énergie atomique produit au dossier et du rapport du 8 janvier 2014 relatif à la reconstitution de la dosimétrie externe d'ambiance au centre saharien d'expérimentation militaire de Reggane, réalisé à l'intention du CIVEN par le département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires du ministère de la défense, que les essais qui ont été réalisés antérieurement au séjour de M. A... sur le site de Reggane ont contaminé le site d'expérimentation de manière durable, il ne résulte pas de l'instruction que les missions de magasinier-ravitailleur de M. A... l'auraient amené à transporter des matériaux pollués par la radioactivité ou à être au contact de matériaux radioactifs. Enfin, il n'est pas contesté que la nourriture et l'eau destinée à la consommation des personnels n'étaient pas d'origine locale, cette circonstance excluant le risque de contamination par ingestion. Ainsi, en dépit de l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe de l'intéressé et de l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il ne résulte pas de l'instruction que de telles mesures auraient été nécessaires, eu égard aux conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, telles qu'elles résultent des circonstances qui viennent d'être rappelées. Par, suite, le CIVEN doit être regardé comme établissant que M. A... a reçu une dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français inférieure à la limite de 1 mSv par an.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise médicale, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Copie en sera adressée à la ministre des armées.

2

N° 19NC02267


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02267
Date de la décision : 01/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Armées et défense.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sandrine ANTONIAZZI
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-12-01;19nc02267 ?
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