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01/12/2020 | FRANCE | N°19NC02216

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 01 décembre 2020, 19NC02216


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C..., veuve A..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision du 28 septembre 2018 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation en qualité d'ayant droit d'une victime des essais nucléaires et, d'autre part, de condamner l'Etat à réparer ses préjudices.

Par un jugement n° 1807367 du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 28 septembre 201

8 du président du CIVEN puis, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C..., veuve A..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision du 28 septembre 2018 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation en qualité d'ayant droit d'une victime des essais nucléaires et, d'autre part, de condamner l'Etat à réparer ses préjudices.

Par un jugement n° 1807367 du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 28 septembre 2018 du président du CIVEN puis, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de Mme D..., a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue des préjudices de cette dernière.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 juillet 2019 et le 8 octobre 2020, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 15 mai 2019 ;

2°) de rejeter la demande de Mme C....

Il soutient que :

- sa requête est recevable alors même qu'elle n'est pas présentée par l'intermédiaire d'un avocat ;

- le tribunal a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation en estimant qu'il ne pouvait démontrer que les doses reçues par M. A... étaient inférieures à 1 millisievert (mSv) en se prévalant uniquement des résultats des dosimètres individuels et d'ambiance alors que compte tenu de l'affectation de l'intéressé, une surveillance de la contamination interne n'était pas nécessaire ;

- aucune contamination par voie interne n'a pu avoir lieu sur le bâtiment sur lequel M. A... était affecté compte tenu des produits qui y étaient consommés et de l'absence de retombées d'éléments radioactifs sur le bâtiment-base Médoc pendant le séjour de l'intéressé ;

- il est établi que M. A... ne peut avoir reçu une dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires qu'inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population, à des rayonnements ionisants fixée à la dose d'un mSv par l'article R. 1333-11 du code de la santé publique.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 avril 2020 et 22 septembre 2020, Mme D..., veuve A..., représentée par la SELARL Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et associés, conclut, dans le dernier état de ses écrits :

1°) au rejet de la requête d'appel du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ;

2°) au renvoi au tribunal le soin de fixer le montant dû au titre de l'indemnisation des préjudices subis par M. A..., au titre de l'action successorale ;

3°) à ce que soit mise à la charge du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ne sont pas fondés ;

- dès lors qu'elle a présenté sa demande d'indemnisation le 24 décembre 2014, il y a lieu de faire application de la loi n° 2010-2 dans sa version modifiée par l'article 113 de la loi n° 2017-756 du 28 février 2017, et non dans sa version modifiée par l'article 232 de la loi n° 2018-1317 de finances pour 2019 ;

- son époux a été exposé à une contamination interne contre laquelle il n'a pas été protégé et pour laquelle il n'a jamais bénéficié d'aucune surveillance radiobiologique ;

- le CIVEN n'établit pas que sa pathologie résulte exclusivement d'une cause étrangère à son exposition aux rayons ionisants ;

- la méthode de calcul retenue par le CIVEN pour calculer la dose efficace reçue, compte tenu des contradictions constatées dans les résultats des différents examens réalisés, ou estimés, lorsqu'aucune mesure de surveillance n'a été effectuée, n'est pas fiable ;

- le CIVEN ne démontre pas que M. A... n'a pas été exposé à une dose supérieure à 1 mSv par an lors de son séjour sur le site des expérimentations nucléaires français.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 28 mars 1949 et décédé en 2009, a été affecté au bâtiment de base Médoc à Mururoa en qualité de commis de cuisine pendant la période du 15 septembre 1967 au 1er mars 1969, au cours de laquelle cinq essais nucléaires aériens ont été réalisés. M. A..., qui a contracté un cancer du rein à l'âge de 37 ans, est décédé en 2009. Son épouse, en sa qualité d'ayant-droit, a déposé une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Par une décision du 28 septembre 2018, le CIVEN a rejeté cette demande. Par un jugement du 15 mai 2019, dont le CIVEN relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision puis, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de Mme A..., a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue des préjudices de ce dernier.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, dans sa rédaction issue de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi (...) ".

3. Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ; 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française (...) ".

4. Dans sa rédaction issue de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, le V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 énonce, s'agissant du CIVEN, que : " Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique (...) ".

5. Aux termes de l'article L.1333-2 du code de la santé publique : " Les activités nucléaires satisfont aux principes suivants : (...) 3° Le principe de limitation, selon lequel l'exposition d'une personne aux rayonnements ionisants résultant d'une de ces activités ne peut porter la somme des doses reçues au-delà des limites fixées par voie réglementaire, sauf lorsque cette personne est l'objet d'une exposition à des fins médicales ou dans le cadre d'une recherche mentionnée au 1° de l'article L. 1121-1 ".

6. Aux termes de l'article R. 1333-11 du même code : " Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12 (...) ".

7. L'article 57 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, entré en vigueur le 19 juin 2020, dispose que " sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, le b du 2° du I de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 est applicable aux demandes déposées devant le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 précitée ". Les dispositions du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010, dans leur rédaction issue de l'article 232 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, sont dès lors applicables à la demande de l'intéressée qui a été déposée le 7 mars 2017.

8. Il résulte des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 que le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de 1 millisievert (mSv). Si, pour le calcul de cette dose, l'administration peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé. En l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à l'administration de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires. Si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de 1 mSv.

9. Il est constant que M. A... a séjourné dans des lieux et pendant une période définie par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010. La pathologie dont il souffre figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Il bénéficie donc d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de sa maladie.

10. Le CIVEN, pour renverser cette présomption, fait valoir que le niveau d'exposition de M. A... durant son séjour en Polynésie était inférieur à la limite de dose engagée réglementairement fixée. Il se prévaut des doses nulles relevées par les dosimètres individuels que portait l'intéressé de mars 1968 à janvier 1969 et des dosimètres d'ambiance du navire au cours de la même période ainsi, en l'absence de mesure de surveillance de la contamination interne, qu'à la circonstance que l'alimentation des personnels du bâtiment de base Médoc était contrôlée.

11. Il résulte toutefois de l'instruction que M. A... était affecté en qualité de commis de cuisine sur un navire de la marine nationale, le bâtiment-base Médoc, chargé d'assurer le soutien logistique des sites d'expérimentation. Au cours de son séjour, cinq essais atmosphériques ont eu lieu et ont eu des retombées radioactives immédiates sur les alentours ainsi que cela résulte du rapport établi en décembre 2005 par la commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité et de l'ouvrage " la dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie - A l'épreuve des faits ". En se bornant à se prévaloir du rapport de 2007 du commissariat à l'énergie atomique intitulé " Les atolls de Mururoa et de Fangataufa (Polynésie française), les expérimentations nucléaires, aspects radiologiques " et de la circonstance, non établie, que l'alimentation à bord était contrôlée, le CIVEN ne démontre pas que le bâtiment sur lequel était affecté M. A... ne comportait aucun risque de contamination interne par ingestion alors qu'il résulte des témoignages circonstanciés et concordants produits que les personnels affectés à bord d'autres bâtiments utilisaient et consommaient de l'eau provenant de circuit contaminé. Ainsi, eu égard aux conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, compte tenu des circonstances qui viennent d'être rappelées, les seuls résultats des dosimètres individuels et d'ambiance relevés, qui permettent seulement d'établir que M. A... n'a pas subi de contamination externe, ne peuvent suffire à établir, en l'absence, d'une part, de mesures de surveillance individuelle de la contamination interne et, d'autre part, de données relatives au cas de personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, qu'il aurait reçu une dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français inférieure à la limite de 1 mSv par an.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le CIVEN n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 28 septembre 2018 du président du CIVEN rejetant la demande d'indemnisation de Mme A... puis, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de Mme A..., a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue des préjudices subis par l'époux de cette dernière.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du CIVEN est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et à Mme B... C..., veuve A....

Copie en sera adressée à la ministre des armées.

2

N° 19NC02216


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02216
Date de la décision : 01/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Armées et défense.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sandrine ANTONIAZZI
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-12-01;19nc02216 ?
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