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19/11/2020 | FRANCE | N°18NC03155

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 19 novembre 2020, 18NC03155


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... J... et M. B... J..., agissant au nom de leur fille alors mineure E... J..., ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser, à titre provisoire, une indemnité de 44 209,22 euros en réparation des préjudices subis par leur fille Juliette du fait de sa vaccination contre la grippe H1N1 et de réserver leurs droits de chiffrer de façon définitive

les préjudices subis par Juliette une fois que son état sera consolidé.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... J... et M. B... J..., agissant au nom de leur fille alors mineure E... J..., ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser, à titre provisoire, une indemnité de 44 209,22 euros en réparation des préjudices subis par leur fille Juliette du fait de sa vaccination contre la grippe H1N1 et de réserver leurs droits de chiffrer de façon définitive les préjudices subis par Juliette une fois que son état sera consolidé.

Par un jugement n° 1601841 du 20 septembre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur requête et mis les frais d'expertise, par moitiés, à la charge des demandeurs et de l'ONIAM.

Procédure devant la cour :

Par des mémoires enregistrés le 23 octobre 2019 et le 5 février 2020, Mme E... J..., représentée par Me C..., devenue majeure et reprenant en son nom l'instance introduite par la requête enregistrée le 21 novembre 2018, présentée par Mme H... J... et M. B... J..., agissant au nom de leur fille alors mineure, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 septembre 2018 ;

2°) de condamner l'ONIAM à lui verser une indemnité de 44 589,26 euros en réparation des préjudices provisoirement évalués subis du fait de sa vaccination contre la grippe H1N1 ;

3°) de réserver ses droits de chiffrer de façon définitive les préjudices subis dès que son état sera consolidé ;

4°) d'ordonner une expertise médicale;

5°) de mettre à la charge de l'ONIAM les entiers frais et dépens en ce compris les frais d'expertise ;

6°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en application des dispositions de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique, il incombe à l'ONIAM d'indemniser les victimes de dommages directement imputables à un acte médical réalisé en application de mesures d'urgence liées à une menace sanitaire grave en l'espèce la vaccination contre le virus H1NI subie en 2009 ;

- l'interprétation du tribunal estimant que les premiers symptômes de sa pathologie sont survenus qu'en 2012 est contraires aux avis médicaux et erronée ; il est établi que ses premiers symptômes sont apparus en 2010 ;

- il existe des éléments suffisants pour considérer qu'il existe un lien de causalité entre la vaccination subie et la pathologie développée et en refusant de l'admettre le tribunal a commis une erreur d'appréciation ;

- il résulte du rapport d'expertise et des avis médicaux versés au dossier que la narcolepsie dont elle est affectée a été causée par sa vaccination contre le virus H1N1 au cours de la campagne de vaccination contre la grippe et il appartient en conséquence à l'ONIAM de l'indemniser des préjudices subis du fait de sa vaccination ; le lien de causalité est vraisemblable et dans ce cas le doute scientifique doit lui profiter ;

- elle est donc fondée à demander, à titre provisoire, réparation des préjudices évalués par l'expert avant la date de consolidation de son état de santé ;

- désormais majeure, une expertise doit être ordonnée pour évaluer de manière définitive ses préjudices à la date de la consolidation de son état de santé qui avait été estimé par l'expert à ses 18 ans.

Par un mémoire enregistré le 31 janvier 2019, les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, représentés par Me G..., demandent leur mise hors de cause en l'absence de toute conclusion dirigée contre eux.

Par des mémoires en défense enregistrés le 23 janvier 2019, le 8 novembre 2019 et le 25 février 2020, l'ONIAM, représenté par Me A... et Me I..., conclut au rejet de la requête et la condamnation des consorts J... aux dépens.

Il fait valoir que :

- le lien de causalité entre la vaccination et la pathologie dont souffre la requérante n'est pas établi dès lors que les premiers symptômes sont apparus plus de deux après l'injection du vaccin ;

- l'expert ne mentionne qu'un lien de causalité vraisemblable et non pas certain or pour bénéficier d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale, la démonstration d'une imputabilité directe est indispensable ;

- les attestations de proches de la requérante ne suffisent pas à établir l'apparition des premiers symptômes en 2010 en l'absence de tout élément médical et même scolaire ;

- les productions à date certaine versées par l'ONIAM aux débats établissent l'absence d'imputabilité de la narcolepsie à la vaccination.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme K..., présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- et les observations de Me F... pour Mme E... J..., et de Me D... pour les Hôpitaux universitaires de Strasbourg.

Considérant ce qui suit :

1. Les 25 novembre et 22 décembre 2009, Juliette J..., née le 8 mai 2001, a reçu des injections du vaccin Pandemrix dans le cadre de la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1). Le 9 décembre 2014, le diagnostic de narcolepsie a été posé. Ses parents ont saisi l'ONIAM d'une demande indemnitaire préalable, qui a été rejetée par une décision du 29 janvier 2016. A leur demande, la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a diligenté, par ordonnance du 7 juillet 2016, une expertise confiée au Professeur Dauvillers, lequel a déposé son rapport le 10 novembre 2017. M. et Mme J..., agissant au nom de leur fille mineure, ont alors saisi le tribunal administratif de Strasbourg et demandé la condamnation de l'ONIAM à indemniser à titre provisoire Juliette des conséquences dommageables d'une pathologie qu'ils imputent à la vaccination. Par un jugement du 20 septembre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande. M. et Mme J... puis Juliette J... devenue majeure, qui a repris l'instance, ont relevé appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

2. Les dispositions de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique prévoient la réparation intégrale par l'ONIAM, en lieu et place de l'État, des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention ou de soins réalisées en application de mesures ministérielles prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3131-4 de ce code, sans qu'il soit besoin d'établir l'existence d'une faute ni la gravité particulière des préjudices subis.

3. Il résulte du rapport d'expertise du Professeur Dauvillers que Juliette J... souffre d'une narcolepsie avec cataplexie sévère ayant un fort retentissement sur le plan psychologique. Comme l'explique l'expert dans son rapport ainsi que la littérature médicale versées aux débats par les deux parties, la communauté scientifique a caractérisé plusieurs critères en considération desquels le lien entre le vaccin contre le virus H1N1 et la narcolepsie doit être examiné, consistant dans l'existence d'une vaccination par le vaccin Pandemrix, le diagnostic de narcolepsie avec cataplexie, l'absence d'antécédent et le délai entre la vaccination et le début des symptômes. Les trois premiers critères sont caractérisés dans le cas de Juliette. L'expert a en effet relevé l'absence d'antécédent familial et de troubles préexistants du sommeil, en dépit, cependant, du fait qu'il résulte d'un certificat médical établi le 9 décembre 2014 par un médecin neurologue qui a posé le diagnostic de narcolepsie que Juliette a toujours été une " grosse dormeuse ".

4. Il résulte de l'instruction, en particulier d'études versées par l'ONIAM au dossier, que le nombre de patients développant la narcolepsie-cataplexie un an après la vaccination est comparable au taux de narcolepsie chez les personnes n'ayant pas bénéficié de la vaccination, que le délai d'apparition est généralement inférieur à 6 mois et que, si un risque relatif global augmenté a été retrouvé en incluant des cas survenus plus de 8 mois après la vaccination, une seule étude a isolé un sous-groupe de cas survenus entre 12 et 24 mois après la vaccination, sans caractériser de sur-risque lié à la vaccination par rapport à l'incidence habituelle. Ainsi, le critère d'un délai d'une année entre la vaccination et l'apparition des premiers signes de la maladie est conforme aux données actuelles de la science.

5. En l'espèce, l'expert indique que " le début de la pathologie ne peut être daté précisément mais se situe probablement au cours du 3ème trimestre de l'année 2010. (...) Compte tenu de l'ensemble des arguments, je peux considérer que le lien de causalité entre la vaccination par le Pandemrix et la narcolepsie cataplexie de Juliette J... est vraisemblable ". Il résulte toutefois des termes mêmes de ce rapport que l'expert se fonde pour dater les premiers troubles d'hypersomnie de l'enfant - à savoir la reprise de siestes longues et des rires se terminant en cataplexie - sur les déclarations de la mère de cette dernière présente lors des réunions d'expertise. Si un médecin neurologue évoque également des symptômes d'hypersomnie en 2010, il se réfère lui aussi aux déclarations des parents de Juliette et non à des constatations médicales puisqu'il ne suit Juliette que depuis octobre 2014. Si des attestations de membres de la famille, rédigées plus de quatre ans après les faits invoqués, font état, sans précision de date hormis l'année 2010 pour trois d'entre elles, d'endormissement soudain et du rire très particulier de Juliette avec affaissement musculaire, ces attestations ne sont corroborées par aucune pièce médicale alors même que des crises de cataplexie et les endormissements subis et fréquents ne pouvaient manquer d'alerter et, probablement, d'entraîner des consultations de médecins. A cet égard, le médecin traitant de Juliette fait état d'une première consultation pour suspicion de narcolepsie le 8 avril 2013. Si l'appelante soutient que cette fatigue a été évoquée avec son médecin traitant lors de consultations en vue de certificats médicaux pour la pratique du sport notamment à l'automne 2011, rien n'apparaît dans son dossier médical versé aux débats avant l'année 2013. De plus, le dossier scolaire de Juliette ne fait état de fatigue et baisse de niveau qu'au troisième trimestre de l'année scolaire 2012-2013, alors que, avant cette année scolaire de sixième et pendant toute sa scolarité de primaire, ses bulletins font état de concentration et d'attention. Le cardiologue qui a reconnu les troubles d'hypersomnie de Juliette le 24 novembre 2014 a évoqué une narcolepsie évoluant depuis deux ans. S'il évoque un début de narcolepsie progressif et bien compensé par Juliette, l'expert note pour sa part un décrochage scolaire au deuxième et troisième trimestres de la classe de sixième à mettre en lien avec la somnolence, soit pendant l'année 2012-2013. L'apparition des premiers symptômes n'est ainsi justifiée par des constatations médicales qu'à partir de l'année 2012-2013. Par ailleurs, la conclusion du rapport du Professeur Dauvillers indiquant que " cette vaccination est reconnue par la communauté scientifique comme ayant accru de manière très significative l'incidence de la maladie et nous retenons comme vraisemblable un lien de causalité chez cette patiente " se présente plus comme une affirmation générale que comme une démonstration scientifique de la reconnaissance d'une imputabilité de la narcolepsie dont est atteinte l'appelante à la vaccination subie en 2009.

6. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont jugé que le lien entre la narcolepsie de Juliette et sa vaccination contre le virus H1N1 n'est pas établi et que les conditions d'engagement de la solidarité nationale sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 3131-14 du code de la santé publique ne sont, par suite, pas remplies.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... J... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 20 septembre 2018. Ses conclusions indemnitaires doivent par suite être rejetées, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise médicale.

Sur la responsabilité des hôpitaux universitaires de Strasbourg :

8. En l'absence de conclusions dirigées contre les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, il y a lieu de les mettre hors de cause.

Sur les dépens :

9. C'est à bon droit que, dans les circonstances de l'espèce, les premiers juges ont, en vertu des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, mis les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 700 euros par ordonnance du 30 janvier 2018 de la présidente du tribunal administratif de Strasbourg à hauteur de la somme de 850 euros à la charge de M. et Mme J... et à hauteur de la somme de 850 euros à la charge de l'ONIAM.

10. L'instance d'appel n'ayant pas donné lieu à des dépens, les conclusions présentées par Mme J... et par l'ONIAM au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens ou la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Les Hôpitaux universitaires de Strasbourg sont mis hors de cause.

Article 2 : La requête de Mme E... J... est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de l'ONIAM au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... J..., l'ONIAM, la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin et les Hôpitaux universitaires de Strasbourg.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

2

N° 18NC03155


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC03155
Date de la décision : 19/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-03 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Service des vaccinations.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Sophie GROSSRIEDER
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : KLENSCHI ANNE-LAURE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-11-19;18nc03155 ?
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