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10/11/2020 | FRANCE | N°18NC02130

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 10 novembre 2020, 18NC02130


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté d'agglomération Mulhouse Alsace agglomération a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la convention de réalisation et de financement de la deuxième phase de la ligne à grande vitesse (LGV) Est européenne conclue le 1er septembre 2009 entre Réseau Ferré de France et la communauté d'agglomération de Mulhouse Sud Alsace, devenue Mulhouse Alsace agglomération et d'autre part, de condamner SNCF Réseau à lui verser la somme de 11 190 558 euros.

Par des

conclusions reconventionnelles, SNCF Réseau a, pour sa part, demandé au tribunal ad...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté d'agglomération Mulhouse Alsace agglomération a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la convention de réalisation et de financement de la deuxième phase de la ligne à grande vitesse (LGV) Est européenne conclue le 1er septembre 2009 entre Réseau Ferré de France et la communauté d'agglomération de Mulhouse Sud Alsace, devenue Mulhouse Alsace agglomération et d'autre part, de condamner SNCF Réseau à lui verser la somme de 11 190 558 euros.

Par des conclusions reconventionnelles, SNCF Réseau a, pour sa part, demandé au tribunal administratif de Strasbourg, de rejeter la demande présentée par Mulhouse Sud Alsace, devenue Mulhouse Alsace agglomération et de condamner cette dernière à lui verser, à titre principal, la somme de 5 743 186,29 euros et à titre subsidiaire, la somme de 5 454 065,85 euros.

Par un jugement n° 1503739 du 30 mai 2018, le tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, a rejeté la demande de Mulhouse Alsace agglomération, d'autre part, l'a condamnée à verser à SNCF Réseau la somme de 5 454 065,85 euros et a rejeté le surplus des conclusions de SNCF Réseau.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 juillet 2018 et 25 avril 2019, la communauté d'agglomération Mulhouse Alsace agglomération, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 30 mai 2018 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler la convention de réalisation et de financement de la deuxième phase de la ligne à grande vitesse Est européenne conclue le 1er septembre 2009 entre Réseau Ferré de France et la communauté d'agglomération de Mulhouse Sud Alsace ;

3°) de condamner SNCF Réseau, sur le fondement quasi-contractuel, à lui verser la somme de 11 190 558 euros, cette somme devant être assortie des intérêts légaux et de la capitalisation des intérêts;

4°) de mettre à la charge de SNCF Réseau la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'erreur de droit, dès lors que le tribunal a estimé que sa participation au financement de la ligne à grande vitesse Est européenne s'analysait comme une décision unilatérale d'octroi d'une subvention et non comme la participation à un contrat dont la cause a disparu ;

- le tribunal n'a pas suffisamment motivé son jugement, faute d'expliciter les modalités de calcul de la somme de 5 454 065,85 euros qu'elle a été condamnée à verser à SNCF Réseau, se bornant à reprendre les écritures de SNCF Réseau en première instance ;

- la disparition de la cause de son engagement constitue un vice d'une particulière gravité justifiant la résiliation de la convention du 1er septembre 2009 ;

- la responsabilité quasi-contractuelle de SNCF Réseau est de nature à être engagée ;

- elle a droit à être remboursée, sur le fondement de l'enrichissement sans cause, de l'intégralité de sa participation au financement de la ligne à grande vitesse Est européenne à hauteur de 11 190 558 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 mars et 5 avril 2019, SNCF Réseau, représenté par Me B... et Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mulhouse Alsace agglomération au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;

- l'octroi d'une subvention constitue un acte unilatéral, qualification qui s'impose en l'espèce ;

- la participation de la communauté d'agglomération requérante au financement de la ligne à grande vitesse Est européenne est justifiée par un projet global et non par la seule desserte directe de la ville de Mulhouse et la cause de la convention du 1er septembre 2009 n'a en conséquence pas disparu ;

- la communauté d'agglomération requérante a retiré des contreparties de la construction de la ligne.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire ;

- le décret du 14 mai 1996 déclarant d'utilité publique et urgents les travaux de construction d'une ligne nouvelle de chemin de fer à grande vitesse dite " T.G.V.- Est européen " entre Paris et Strasbourg, de création des gares nouvelles et d'aménagement des installations terminales de ladite ligne, ainsi que portant mise en compatibilité des plans d'occupation des sols des communes concernées ;

- le décret n°97-444 du 5 mai 1997 relatif aux missions et aux statuts de Réseau ferré de France ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C..., présidente assesseur,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me A... pour Mulhouse Alsace agglomération et de Me D... pour SNCF Réseau.

Considérant ce qui suit :

1. Par un décret du 14 mai 1996, modifié le 6 septembre 2002, la construction de la ligne de chemin de fer à grande vitesse dite " TGV - Est européen " entre Paris et Strasbourg a été déclarée d'utilité publique, de même que la création de nouvelles gares et l'aménagement des installations terminales nécessaires à l'exploitation de cette ligne. La première phase des travaux, entre Vaires et Baudrecourt, pour un investissement de 15,7 milliards de francs, a été financée par l'Etat, Réseau Ferré de France, la SNCF et 17 collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale, dont la commune de Mulhouse. Une convention à cet effet a été conclue le 7 novembre 2000. Ce tronçon a été mis en service le 10 juin 2007. La seconde phase de la construction de la ligne de TGV Est européen, entre Baudrecourt et Vendenheim, d'une longueur de 106 kilomètres, représentant un investissement de 2 010 millions d'euros, a fait l'objet d'une convention conclue le 1er septembre 2009 entre l'Etat, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), Réseau Ferré de France, aux droits duquel vient SNCF Réseau et plusieurs collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale, dont la communauté d'agglomération de Mulhouse Sud Alsace, qui s'est substituée à la commune de Mulhouse. La communauté d'agglomération de Mulhouse Alsace agglomération, venue aux droits de Mulhouse Sud Alsace en 2010, a cependant interrompu ses versements au financement du projet à compter du 28 août 2012. Par un courrier du 26 janvier 2015, SNCF Réseau a mis Mulhouse Alsace agglomération en demeure de régler la participation financière prévue par la convention du 1er septembre 2009. Par un courrier du 13 mars 2015, Mulhouse Alsace agglomération a demandé à SNCF Réseau l'annulation, en ce qui la concerne, de la convention du 1er septembre 2009 et le reversement de la somme de 11 190 558 euros qu'elle estime avoir indûment versée depuis la première phase du projet. Le 13 mai 2015, SNCF Réseau a rejeté ses demandes. Par un jugement du 30 mai 2018, dont Mulhouse Alsace agglomération relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a d'une part, rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la convention du 1er septembre 2009 et à ce que SNCF Réseau soit condamné à lui verser la somme de 11 190 558 euros, d'autre part, l'a condamnée à verser à SNCF Réseau la somme de 5 454 065,85 euros et a rejeté le surplus des conclusions de SNCF Réseau.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Par la voie de conclusions reconventionnelles, SNCF Réseau demandait au tribunal administratif de Strasbourg de condamner Mulhouse Alsace agglomération à lui verser, à titre principal, la somme de 5 743 186,29 euros et, à titre subsidiaire, celle de 5 454 065,85 euros, correspondant aux sommes non versées par Mulhouse Alsace agglomération en exécution de la convention de financement de la ligne à grande vitesse Est européenne du 1er septembre 2009. Par le jugement attaqué, le tribunal, après avoir cité les stipulations du f) de l'article 5.5 de la convention du 1er septembre 2009 relatives aux intérêts de retard, rejette les conclusions présentées à titre principal par SNCF Réseau. Il relève que l'avenant n°1 à la convention, sur la base duquel SNCF Réseau a calculé la somme de 5 743 186,29 euros, n'a pas été signé par toutes les parties et n'est ainsi pas entré en vigueur. Il fait ensuite droit à ses conclusions subsidiaires tendant au versement de la somme de 5 454 065,85 euros correspondant à la somme non versée par Mulhouse Alsace agglomération en exécution de la convention du 1er septembre 2009. Alors que Mulhouse Alsace agglomération contestait devoir verser une participation sur le fondement de l'avenant n°1 à la convention du 1er septembre 2009 dans ses écritures en première instance, elle ne contestait pas le quantum de la somme dont elle était redevable en application de cette convention. Par suite, en retenant cette somme, le tribunal a suffisamment motivé son jugement.

3. Il suit de là que le moyen d'insuffisance de motivation soulevé par Mulhouse Alsace agglomération doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation du contrat :

4. L'attribution d'une subvention par une personne publique crée des droits au profit de son bénéficiaire. Toutefois, de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire, ou encore qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention. Indépendamment des actions indemnitaires qui peuvent être engagées contre la personne publique, les recours relatifs à une subvention, qu'ils aient en particulier pour objet la décision même de l'octroyer, quelle qu'en soit la forme, les conditions mises à son octroi par cette décision ou par la convention conclue en application de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, ou encore les décisions de la personne publique auxquelles elle est susceptible de donner lieu, notamment les décisions par lesquelles la personne publique modifie le montant ou les conditions d'octroi de la subvention, cesse de la verser ou demande le remboursement des sommes déjà versées, ne peuvent être portés que devant le juge de l'excès de pouvoir, par le bénéficiaire de la subvention ou par des tiers qui disposent d'un intérêt leur donnant qualité à agir.

5. Aux termes de l'article 4 du décret du 5 mai 1997 relatif aux missions et aux statuts de Réseau Ferré de France, dans sa rédaction en vigueur à la date de la signature de la convention du 1er septembre 2009 : " RFF [Réseau Ferré de France] soumet chaque année aux ministres chargés des transports, de l'économie et du budget un programme d'investissements ainsi que les modalités de son financement. Les programmes d'investissements peuvent comporter un volet pluriannuel (...) / RFF ne peut accepter un projet d'investissement sur le réseau ferré national, inscrit à un programme à la demande de l'Etat, d'une collectivité locale ou d'un organisme public local ou national, que s'il fait l'objet de la part des demandeurs d'un concours financier propre à éviter toute conséquence négative sur les comptes de RFF sur la période d'amortissement de cet investissement./ Les investissements financés par les collectivités territoriales, leurs groupements ou les organismes publics donnent lieu à convention avec RFF (...) ".

6. Il résulte de l'instruction et en particulier de la délibération du 14 juin 1999 du conseil municipal de Mulhouse, que celui-ci a approuvé la participation de la commune de Mulhouse à la première phase du plan de financement du TGV Est européen à hauteur de 46 millions de francs à compter de son budget pour l'année 2002, eu égard à l'intérêt de ce projet pour la collectivité. Cette participation, correspondant à 22% du coût du projet de réalisation de la première phase du projet, est inscrite dans la convention de financement du 7 novembre 2000. Par une délibération du 25 septembre 2009, le conseil d'agglomération de Mulhouse agglomération a approuvé la participation de la communauté d'agglomération au financement de la deuxième phase de la réalisation du TGV Est européen à hauteur de 5,9 millions d'euros et a autorisé le président de la communauté d'agglomération ou son représentant à signer les documents s'y rapportant.

7. La convention de financement et de réalisation de la deuxième phase de la ligne à grande vitesse Est européenne du 1er septembre 2009 fixe les " modalités de financement et de réalisation nécessaires " au projet consistant à réaliser premièrement, une ligne de 106 kilomètres entre Baudrecourt et Vendenheim au nord de Strasbourg, deuxièmement, un raccordement avec tronçon à voie unique à Lucy en Moselle afin d'assurer les liaisons entre Luxembourg, Metz et Strasbourg, troisièmement, un raccordement à Réding pour assurer les liaisons entre Nancy et Strasbourg et enfin, un raccordement en dénivelé à Vendenheim pour franchir le noeud ferroviaire à 160 kilomètres/heure. L'article 3 de cette convention définit un calendrier prévisionnel avec une date de mise en service prévue en mars 2016. L'article 4 évalue le coût global du projet à 2 010 millions d'euros hors taxes aux conditions économiques de juin 2008. L'article 5 de cette même convention fixe la répartition des financements entre les différentes parties à la convention ainsi que les modalités de versement des différentes contributions par appels de fond par Réseau Ferré de France. Mulhouse Alsace agglomération participe ainsi à hauteur de 5,9 millions d'euros à ce projet, soit 0,29 % de son coût. L'article 6.2 prévoit un mécanisme d'intéressement des collectivités territoriales aux résultats d'exploitation de la ligne par périodes de 6 ans pendant 18 ans à compter du 1er janvier 2017. Enfin, l'article 11 subordonne son entrée en vigueur à l'accord des organes délibérants de chacune des collectivités territoriales et de Réseau Ferré de France, dans un délai de trois mois à compter de sa signature.

8. Il résulte de ces stipulations que la convention du 1er septembre 2009 n'a pour objet, alors même qu'elle prévoit un intéressement, que de définir les modalités d'exécution de concours financiers décidés unilatéralement par les collectivités participantes. Elle n'est par suite, en application des principes rappelés au point 4 du présent arrêt, susceptible d'être contestée que devant le juge de l'excès de pouvoir par le bénéficiaire de la subvention ou des tiers. Par suite, Mulhouse Alsace agglomération ne saurait utilement soutenir que la cause de la convention du 1er septembre 2009, qui n'a pas le caractère d'un contrat, a disparu et en demander au juge du contrat l'annulation en raison du vice d'une particulière gravité l'entachant.

En ce qui concerne les conclusions tendant à la condamnation de SNCF Réseau sur le fondement de l'enrichissement sans cause :

9. En l'absence de contrat entre Mulhouse Alsace agglomération et SNCF Réseau, les conclusions de la communauté d'agglomération requérante tendant à l'engagement de la responsabilité quasi-contractuelle de SNCF Réseau à raison d'un enrichissement sans cause et à sa condamnation à lui verser la somme de 11 190 558 euros ne peuvent qu'être rejetées.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mulhouse Alsace agglomération n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de SNCF Réseau, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mulhouse Alsace agglomération demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mulhouse Alsace agglomération le versement à SNCF Réseau de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mulhouse Alsace agglomération est rejetée.

Article 2 : Mulhouse Alsace agglomération versera à SNCF Réseau une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Mulhouse Alsace agglomération et à SNCF Réseau.

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N° 18NC02130


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC02130
Date de la décision : 10/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Christine GRENIER
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : CEREJA

Origine de la décision
Date de l'import : 21/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-11-10;18nc02130 ?
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