Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 13 novembre 2015 par lequel le ministre de l'intérieur l'a révoqué de ses fonctions de gardien de la paix.
Par un jugement n° 1600949 du 3 octobre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2018, M. C..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 octobre 2018 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 novembre 2015 par lequel le ministre de l'intérieur l'a révoqué de ses fonctions de gardien de la paix ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de le rétablir dans l'intégralité de ses droits ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la sanction de la révocation est disproportionnée au regard des faits exposés de façon partiale et déloyale ;
- l'autorité administrative n'a pas tenu compte de l'arrêt de relaxe de la cour d'appel de Nancy.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête de M. C... qui ne met en cause ni la régularité du jugement attaqué, ni son bienfondé, n'est pas recevable ;
- les autres moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., présidente assesseur,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a été titularisé en qualité de gardien de la paix, le 1er juin 1987. Par un arrêté du 13 novembre 2015, le ministre de l'intérieur l'a révoqué de ses fonctions. Par un jugement du 3 octobre 2018, dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors applicable : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. ". Selon l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes (...) / Quatrième groupe : / - la mise à la retraite d'office ; / - la révocation. ".
3. L'arrêté du 13 novembre 2015 du ministre de l'intérieur prononçant la sanction de la révocation à l'encontre de M. C... relève d'une part que, le 21 avril 2007, il a consulté, " à titre privé et sans nécessité de service, le système de traitement des infractions constatées (STIC) concernant plusieurs membres d'une même famille qu'il fréquentait régulièrement malgré ses doutes quant à leur honnêteté, afin de vérifier leurs antécédents judiciaires ", alors qu'il ne pouvait ignorer que la consultation des fichiers de police informatisés est réservée à des fins strictement professionnelles. Il précise d'autre part, qu'après avoir procédé à cette consultation illégale de fichiers, M. C... a continué à entretenir avec des personnes défavorablement connues des services de police et de justice " des relations étroites et régulières, notamment entre le 8 juin 2007 et le 9 juillet 2007, en acceptant de garder dans la cour de son domicile un véhicule de luxe que l'un des individus, qu'il savait déjà condamné pour escroquerie, lui avait confié en lui demandant de le placer sous une bâche, puis en prenant, au surplus, l'initiative d'ôter les plaques d'immatriculation " de ce véhicule. Il relève enfin que M. C... n'a pas rendu compte à sa hiérarchie, ainsi qu'il y était tenu, du jugement du 23 mai 2014 du tribunal correctionnel de Nancy. L'arrêté du 13 novembre 2015 énonce que, " dans ces circonstances, en adoptant un comportement totalement équivoque et aux antipodes de tout raisonnement policier basé, au demeurant, sur la prévention de la délinquance, M. C... a commis de graves fautes professionnelles ; que la simple négligence reconnue par la justice pénale doit être interprétée sur le plan purement professionnel comme un manque de discernement caractérisé au regard de sa qualité d'agent de police judiciaire et donc d'auxiliaire de justice ; qu'il a ainsi contrevenu aux obligations statutaires et déontologiques qui s'imposent, en toutes circonstances, aux fonctionnaires de police, notamment d'exemplarité et de discernement ; que ces agissements sont incompatibles avec la qualité et les fonctions de policier ; qu'il a porté atteinte au crédit et au renom de l'institution policière ". L'arrêté litigieux précise enfin qu'il s'agit de la troisième comparution du requérant devant une instance disciplinaire et que M. C... " qui s'était déjà manifesté défavorablement à plusieurs reprises, ne s'est pas amendé ".
4. En premier lieu, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative. Il n'en va autrement que lorsque la légalité de la décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale, l'autorité de la chose jugée s'étendant alors exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal.
5. Par un arrêt du 2 septembre 2015, devenu définitif, la cour d'appel de Nancy a prononcé la relaxe de M. C... des faits de recel d'un véhicule qu'une personne condamnée pour escroquerie lui avait confiée. La cour d'appel de Nancy ne met pas en doute la matérialité de la détention du véhicule, M. C... ayant d'ailleurs admis ces faits, mais se prononce exclusivement sur leur qualification au regard du droit pénal en relevant que la preuve de ce que le requérant connaissait l'origine frauduleuse du véhicule n'est pas établie. La cour énonce que " la légèreté avec laquelle [M. C...] a agi et qu'il reconnaît lui-même [n'est] pas suffisante à caractériser l'élément intentionnel requis ". Or, il ressort des termes mêmes de l'arrêté du 13 novembre 2015 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé la révocation de M. C... qu'il ne s'est pas fondé sur la qualification qu'auraient pu recevoir les faits qui lui étaient reprochés mais sur le comportement même de l'intéressé. En outre, contrairement à ce que soutient M. C..., cet arrêté prend expressément en compte le jugement de relaxe du 2 septembre 2015 de la cour d'appel de Nancy et relève que " la simple négligence reconnue par la justice pénale doit être interprétée sur le plan purement professionnel comme un manque de discernement caractérisé au regard de sa qualité d'agent de police judiciaire et donc d'auxiliaire de justice ". Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que l'autorité administrative n'a pas pris en compte l'arrêt du 2 septembre 2015 de la cour d'appel de Nancy le relaxant.
6. En second lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
7. M. C... admet avoir consulté les fichiers du STIC à des fins strictement privées afin de vérifier les antécédents judiciaires d'une famille d'origine roumaine avec laquelle il était régulièrement en contact et sur les activités de laquelle il avait des doutes. Il reconnaît également avoir accepté de garder chez lui un véhicule de luxe appartenant à l'une des personnes de cette famille, après cependant s'être fait remettre la carte grise de ce véhicule dont il ignorait l'origine frauduleuse. Il précise, en outre, avoir ôté les plaques d'immatriculation de ce véhicule de sa propre initiative pour éviter toute curiosité déplacée. Il ressort également des pièces du dossier et en particulier de l'audition administrative de M. C..., le 15 janvier 2015, qu'alors même que M. C... a contacté par téléphone une personne en charge des poursuites disciplinaires après sa condamnation par le tribunal correctionnel de Nancy le 23 mai 2014, il n'en a cependant pas informé ses supérieurs hiérarchiques directs à la direction départementale de la sécurité publique du Bas-Rhin en méconnaissance du II de l'article R. 434-4 du code de la sécurité intérieure selon lequel : " II. - Le policier ou le gendarme porte sans délai à la connaissance de l'autorité hiérarchique tout fait survenu à l'occasion ou en dehors du service, ayant entraîné ou susceptible d'entraîner sa convocation par une autorité de police, juridictionnelle, ou de contrôle. ".
8. D'une part, les faits mentionnés au point précédent constituent des fautes particulièrement graves pour un policier, officier de police judiciaire, titularisé depuis vingt ans dans la police nationale à la date de ces agissements. Alors même que M. C... relève qu'il n'a consulté le STIC à des fins purement privées sans nécessité de service qu'à une seule reprise et n'a pas divulgué d'informations résultant de cette consultation, il ne pouvait ignorer, en sa qualité de fonctionnaire de police, que ce fichier ne pouvait être consulté qu'à des fins professionnelles. De plus, après avoir procédé à cette consultation, il n'a pas pris les distances nécessaires avec la famille avec laquelle il était en relations régulières et dont il n'ignorait plus les antécédents judiciaires et a même accepté de garder chez lui un véhicule dont l'un des membres de cette famille déclarait être propriétaire. En énonçant que M. C... avait délibérément continué à entretenir " des relations étroites et régulières " avec ces personnes, tout en mentionnant qu'il avait illégalement procédé à une consultation illégale du STIC, l'autorité administrative n'a pas entaché la décision litigieuse de contradiction, dès lors qu'il appartenait à M. C... de tirer les conséquences de la consultation illégale de fichier à laquelle il avait procédé. Ainsi, l'autorité administrative, qui n'a pas présenté les faits de manière partiale, n'a pas inexactement qualifié les faits en litige en relevant le comportement équivoque de M. C... et son " manque de discernement caractérisé ".
9. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. C... a fait l'objet de deux sanctions disciplinaires antérieures, l'une d'exclusion temporaire de douze mois avec sursis de onze mois en octobre 1997 et l'autre, le 20 juillet 2007, portant abaissement d'échelon pour manquements déontologiques à ses obligations de dignité, d'intégrité et d'exemplarité pour des faits commis entre 2004 et 2006 encore récents à la date de cette sanction. Si le requérant invoque sa bonne notation pour l'année 2008, sans l'établir au demeurant, cette circonstance est sans incidence sur la sanction disciplinaire prononcée à son encontre au regard de la gravité des fautes qu'il a commises et de ses antécédents.
10. Par suite, la sanction de la révocation prononcée à l'encontre de M. C..., qui est proportionnée à la gravité des fautes qu'il a commises, n'est pas entachée d'erreur d'appréciation.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 novembre 2015. Ses conclusions à fin d'injonction doivent, en conséquence, être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
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N° 18NC03233