Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme I... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2017 par lequel le président du conseil départemental du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un agrément en vue de l'adoption des enfants E... B..., Joseph B..., Samuel B... et Samuella B... et la décision du 6 juin 2018 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1806660 du 31 janvier 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces décisions et a enjoint au président du conseil départemental du Bas-Rhin de délivrer à Mme B... l'agrément sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 20NC00849 le 31 mars 2020, le président du conseil départemental du Bas-Rhin, représenté par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 31 janvier 2020 ;
2°) de rejeter la demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 2 040 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'est pas démontré qu'il comporte les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience ;
- le tribunal a méconnu le sens et la portée du rapport d'évaluation sociale du 13 février 2018 ;
- le tribunal n'a pas pris en compte l'évaluation psychologique du 21 avril 2018 et les rapports d'évaluation sociale et psychologique antérieurs ;
- le jugement est entaché d'erreur de droit dès lors que l'annulation du refus d'agrément n'impliquait pas sa délivrance, sans qu'une nouvelle instruction de sa demande soit réalisée ;
- la demande d'agrément de Mme B... a fait l'objet d'un examen réel et sérieux ;
- le refus de délivrance de l'agrément n'est entaché d'aucune erreur d'appréciation de la situation de Mme B....
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2020, Mme B..., représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge du département du Bas-Rhin la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le département du Bas-Rhin ne sont pas fondés ;
- les premiers juges ont fait une juste application de l'article R. 225-4 du code de l'action sociale et des familles ;
- c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le président du conseil départemental avait commis une erreur d'appréciation en refusant de lui délivrer l'agrément sollicité ;
- l'injonction de délivrer cet agrément n'est entaché d'aucune erreur de droit.
Par ordonnance du 3 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 juillet 2020.
Le département du Bas-Rhin a présenté un mémoire, enregistré le 28 août 2020, après la clôture de l'instruction, qui n'a pas été communiqué.
II. Par une requête, enregistrée sous le n° 20NC00851 le 31 mars 2020, le président du conseil départemental du Bas-Rhin, représenté par Me G..., demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 31 janvier 2020.
Il soutient que :
- l'exécution du jugement, qui implique le rapatriement en France des quatre enfants, risque d'entrainer des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens développés à l'appui de la requête d'appel sont sérieux : l'avis des travailleurs sociaux et des psychologues est unanimement défavorable au projet d'adoption de Mme B... et l'annulation du refus d'agrément ne pouvait pas impliquer sa délivrance sans qu'une nouvelle instruction de la demande ne soit réalisée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2020, Mme B..., représentée par Me A..., conclut à ce qu'elle soit admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge du département du Bas-Rhin la somme de 1 100 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable faute d'être accompagnée de la copie de la requête en annulation ;
- l'exécution du jugement attaqué n'entraine aucune conséquence difficilement réparable pour le conseil départemental ;
- c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le président du conseil départemental avait commis une erreur d'appréciation en refusant de lui délivrer l'agrément sollicité ;
- l'appelant n'énonce aucun moyen distinct de la condition relative aux conséquences difficilement réparables ;
- l'injonction de délivrer cet agrément est nécessaire.
Par ordonnance du 3 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 juillet 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- les observations de Me D..., représentant le département du Bas-Rhin,
- et les observations de Me C..., substituant Me A..., avocat de Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante sierra-léonaise ayant obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire et actuellement détentrice d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", a déposé auprès du département du Bas-Rhin une demande d'agrément en vue de l'adoption de trois puis de quatre de ses neveux résidant actuellement en Sierra Leone. Par un arrêté du 28 juillet 2017, le président du conseil départemental du Bas-Rhin a refusé de faire droit à sa demande d'agrément. Mme B... a alors formé un recours gracieux contre cette décision qui a été rejeté par une décision du 6 juin 2018. Le département du Bas-Rhin fait appel du jugement du 31 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 28 juillet 2017, ensemble le rejet du recours gracieux du 6 juin 2018.
Sur le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".
3. Eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission provisoire de Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
5. Il ressort de la minute du jugement attaqué que celui-ci comporte les signatures manuscrites de la présidente de la formation de jugement, de la rapporteure et de la greffière qui ont siégé à l'audience. Le moyen tiré de ce que le jugement ne comporterait pas ces signatures doit donc être écarté.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
6. Aux termes de l'article R. 225-4 du code de l'action sociale et des familles : " Avant de délivrer l'agrément, le président du conseil départemental doit s'assurer que les conditions d'accueil offertes par le demandeur sur les plans familial, éducatif et psychologique correspondent aux besoins et à l'intérêt d'un enfant adopté. A cet effet, il fait procéder, auprès du demandeur, à des investigations comportant notamment : / -une évaluation de la situation familiale, des capacités éducatives ainsi que des possibilités d'accueil en vue d'adoption d'un enfant pupille de l'Etat ou d'un enfant étranger ; cette évaluation est confiée à des assistants de service social, à des éducateurs spécialisés ou à des éducateurs de jeunes enfants, diplômés d'Etat ; / -une évaluation, confiée à des psychologues territoriaux aux mêmes professionnels relevant d'organismes publics ou privés habilités mentionnés au septième alinéa de l'article L. 221-1 ou à des médecins psychiatres, du contexte psychologique dans lequel est formé le projet d'adopter. Les évaluations sociale et psychologique donnent lieu chacune à deux rencontres au moins entre le demandeur et le professionnel concerné. Pour l'évaluation sociale, une des rencontres au moins a lieu au domicile du demandeur. Le demandeur est informé, au moins quinze jours avant la consultation prévue à l'article R. 225-5, qu'il peut prendre connaissance des documents établis à l'issue des investigations menées en application des alinéas précédents. Les erreurs matérielles figurant dans ces documents sont rectifiées de droit à sa demande écrite. Il peut, à l'occasion de cette consultation, faire connaître par écrit ses observations sur ces documents et préciser son projet d'adoption. Ces éléments sont portés à la connaissance de la commission. ". En vertu de ces dispositions, les candidats à l'adoption qui demandent un agrément doivent justifier que les conditions d'accueil qu'ils offrent sur les plans familial, éducatif et psychologique correspondent aux besoins et à l'intérêt d'un enfant adopté. À cet effet, sont menées auprès d'eux des investigations comportant une évaluation de la situation familiale, des capacités éducatives ainsi que des possibilités d'accueil d'un enfant adopté et une évaluation du contexte psychologique dans lequel est formé le projet d'adoption.
7. Mme B..., ressortissante sierra-léonaise née en 1981, bénéficiaire de la protection subsidiaire, réside en France depuis 2010. Elle a présenté en dernier lieu une demande d'agrément en vue de l'adoption de ses quatre neveux et nièces orphelins, nés entre 2003 et 2011. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des évaluations sociales réalisées les 20 mars 2017 et 13 février 2018, que Mme B... bénéficie d'un contrat à durée indéterminée en qualité de femme de chambre dans un hôtel lui procurant un salaire mensuel d'environ 1 000 euros, auquel s'ajoute 830 euros d'aide sociale. Elle dispose également d'un logement, qui sous réserve de réaménagement, présente une superficie suffisante pour accueillir les quatre enfants. Toutefois, Mme B... présente des fragilités éducatives qui ont justifié le placement de sa fille aînée, alors âgée de quinze ans, auprès des services de l'aide sociale à l'enfance, cinq mois à peine après l'entrée en France de cette dernière, et dont elle est aujourd'hui encore sans nouvelles. En outre, les évaluations réalisées relèvent que le projet de Mme B... répond non à un réel projet d'adoption mais à une obligation morale de solidarité familiale. Enfin, compte tenu de la fragilité de sa situation en tant que femme seule et qui ne maitrise pas la langue française, il n'est pas établi que Mme B... puisse effectivement offrir des conditions d'accueil sur les plans familial, éducatif et psychologique favorisant l'intégration de ses neveux, eu égard notamment au déracinement qu'engendrerait cette adoption.
8. Par conséquent, en refusant de faire droit à la demande de Mme B... tendant à la délivrance d'un agrément en vue de l'adoption de ses quatre neveux et nièces et en estimant, sur le fondement des dispositions précitées, que les conditions d'accueil offertes par Mme B... sur les plans familial, éducatif et psychologique ne correspondaient pas aux besoins et à l'intérêt des enfants adoptés, nonobstant les épreuves auxquelles ils ont été confrontés dans leur pays, le président du département du Bas-Rhin n'a pas entaché ses décisions d'une erreur d'appréciation et c'est ainsi à tort que les premiers juges se sont fondés sur ce motif pour annuler les décisions litigieuses.
9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... à l'encontre de cette décision.
10. En premier lieu, aux termes l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
11. D'une part, l'arrêté du 28 juillet 2017 comporte les éléments de fait et de droit qui en constituent son fondement. D'autre part, dès lors que le président du conseil départemental, saisi par Mme B... par la voie du recours gracieux, s'est borné à rejeter la demande de l'intéressée contre la décision, régulièrement motivée du 28 juillet 2017, lui refusant la délivrance d'un agrément en vue de l'adoption de ses neveux, la décision du 6 juin 2018 n'avait pas à comporter une motivation. Ainsi, le moyen tiré du défaut de motivation des décisions litigieuses ne peut qu'être écarté.
12. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le président du département du Bas-Rhin a procédé à un examen réel et sérieux de la demande de Mme B....
13. En dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
14. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point n° 7, les décisions litigieuses n'ont pas méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le département du Bas-Rhin est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 28 juillet 2017, ensemble le rejet du recours gracieux du 6 juin 2018 présenté par Mme B... et lui a enjoint de délivrer à Mme B... l'agrément sollicité dans un délai de deux mois.
Sur la requête n°20NC00851 :
16. La cour se prononçant par le présent arrêt sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 31 janvier 2020 du tribunal administratif de Strasbourg, les conclusions du département du Bas-Rhin tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.
Sur les frais liés aux instances :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département du Bas-Rhin, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont Mme B... demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... le versement de la somme que le département du Bas-Rhin demande sur le même fondement.
D E C I D E :
Article 1er : Mme B... est admise, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1806660 du 31 janvier 2020 du tribunal administratif de Strasbourg.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 31 janvier 2020 est annulé.
Article 4 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Strasbourg, ses conclusions d'appel présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que celles du département du Bas-Rhin présentées sur le même fondement sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au département du Bas-Rhin et à Mme I... B....
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N° 20NC00849, 20NC00851