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23/07/2020 | FRANCE | N°19NC02642

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 23 juillet 2020, 19NC02642


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 2 août 2019 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit, ainsi que l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du même jour portant assignation à résidence pour une durée de trente jours et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour

ou, à tout le moins, une autorisation provisoire de séjour.

Par un jugement n° 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 2 août 2019 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit, ainsi que l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du même jour portant assignation à résidence pour une durée de trente jours et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour ou, à tout le moins, une autorisation provisoire de séjour.

Par un jugement n° 1902231-1902232 du 9 août 2019, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 19NC02642 le 19 août 2019, M. A... B..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 9 août 2019 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du préfet de Meurthe-et-Moselle du 2 août 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour ou, à tout le moins, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me E... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

S'agissant de la régularité du jugement :

- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré du détournement de pouvoir ;

- alors que l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays à destination mentionne qu'il est sans domicile fixe, et que l'arrêté portant assignation à résidence indique qu'il est hébergé par sa concubine à Nancy, le tribunal ne s'est pas prononcé sur cette contradiction entre les deux arrêtés ;

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle a été prise par une autorité incompétente ;

- elle est entachée d'un détournement de pouvoir, car elle a été prise dans le seul but de s'opposer à son mariage ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

S'agissant de la décision fixant un délai de départ volontaire :

- elle a été prise par une autorité incompétente ;

- elle n'est pas suffisamment motivée ;

- le préfet s'est placé en situation de compétence liée et n'a pas procédé à un examen personnel de sa situation ;

- le II de l'article L. 511-1 étant contraire à l'article 3 de la directive du 16 décembre 2008, la décision contestée est privée de base légale ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle : il ne représente pas une menace à l'ordre public, son comportement ne révèle pas de risque de fuite et il dispose de parfaite garantie de représentation, puisqu'il réside chez son frère ;

S'agissant de la décision fixant le pays de destination :

- elle a été prise par une autorité incompétente ;

- il n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations dans un délai suffisant, en méconnaissance du droit d'être entendu consacré par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : il ferait l'objet de traitement inhumains ou dégradants en cas de retour en Serbie ;

S'agissant de la décision portant assignation à résidence :

- elle a été prise par une autorité incompétente ;

- elle n'est pas suffisamment motivée ;

- il n'a pas été préalablement informé de ce que le préfet entendait prendre une mesure d'assignation à résidence ;

- le formulaire des droits prévus à l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne lui a pas été remis ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation personnelle ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et le préfet ne démontre pas précisément en quoi il était justifié et proportionné de l'assigner à résidence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2020, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il se borne à se rapporter au mémoire et aux éléments produits en première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive n°2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Favret, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., de nationalité serbe, né le 14 mai 1996, est d'abord entré irrégulièrement sur le territoire français au cours de l'année 2013, en compagnie de son frère et de ses parents, qui ont sollicité le statut de réfugiés. Ces demandes d'asile ont été rejetées par trois décisions du 23 janvier 2014 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmées le 24 octobre 2014 par la Cour nationale de droit d'asile (CNDA). A sa majorité, M. A... B... a également sollicité le statut de réfugié, mais sa demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA le 15 juillet 2014, puis par la CNDA le 15 décembre 2014. Il a été réadmis dans son pays d'origine, le 19 juillet 2016. Postérieurement à cette date, il est à nouveau entré sur le territoire français et s'y est maintenu irrégulièrement au-delà de la période de trois mois qui lui était accordée pour y séjourner. Ayant déposé en mairie de Nancy, au cours de l'année 2019, un dossier en vue de se marier avec Mme C..., titulaire d'une carte de résident, M. B... a été convoqué le 1er août 2019, pour examen de son droit au séjour. L'intéressé n'ayant pu présenter aucun document d'identité ou de voyage l'autorisant à entrer ou séjourner sur le territoire français, ni son passeport serbe, le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi, par un arrêté du 2 août 2019. Il l'a également assigné à résidence pour une durée de trente jours, par un arrêté du même jour. M. A... B... fait appel du jugement du 9 août 2019 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande d'annulation de ces deux arrêtés.

Sur l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ". Aux termes de l'article 62 du décret du 19 décembre 1991 portant application de cette loi : " (...) L'admission provisoire peut être prononcée d'office si l'intéressé a formé une demande d'aide juridictionnelle sur laquelle il n'a pas encore été définitivement statuée ".

3. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard au caractère récent de la demande d'aide juridictionnelle, présentée le 17 juin 2020, et alors que le dossier est en état d'être jugé, il y a lieu de prononcer l'admission de M. B... à l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. En premier lieu, si M. B... soutient que le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen tiré du détournement de pouvoir, il ressort des écritures de premières instance de l'intéressé que ce moyen n'avait été soulevé qu'à l'encontre d'une " décision portant refus de séjour ". Aucun des deux arrêtés contestés ne portant refus de séjour, c'est régulièrement que le tribunal a jugé, répondant ainsi au moyen tel qu'il était soulevé, que le moyen dirigé contre une telle décision et tiré d'un détournement de pouvoir ne pouvait qu'être écarté.

5. En second lieu, il ressort de ses écritures de première instance que M. B... n'avait critiqué l'existence d'une contradiction de motifs entre les deux arrêtés contestés qu'à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté portant assignation à résidence en estimant qu'elle révélait un défaut d'examen particulier de sa situation. Alors que le tribunal administratif n'était pas tenu de répondre à chaque argument venant au soutien des moyens invoqués, il est constant que le jugement attaqué a relevé qu'il ressortait des motifs mêmes de la décision d'assignation à résidence que le préfet avait, avant de prendre cette dernière, procédé à un examen particulier de la situation personnelle de l'intéressé. Il ressort au surplus des pièces du dossier que les faits dont ce dernier revendique la réalité, à savoir son hébergement avec Mme C..., étaient bien mentionnés dans les motifs de l'assignation à résidence ce qui rend en tout état de cause inopérante la circonstance que l'arrêté d'obligation de quitter le territoire français comporte une mention différente. Le moyen tiré de l'irrégularité, à cet égard, du jugement attaqué doit, par suite, être écarté.

Sur le moyen commun aux décisions contestées :

6. Le préfet de Meurthe-et-Moselle a, par un arrêté du 27 juin 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, donné délégation à Mme Marie-Blanche D..., secrétaire générale de la préfecture de Meurthe-et-Moselle, pour signer tous les arrêtés, décisions, circulaires, rapports, documents et correspondances relevant des attributions de l'Etat dans le département de Meurthe-et-Moselle, à l'exception des arrêtés de conflit. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de Mme D..., signataire des deux arrêtés contestés, doit être écarté.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

7. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette décision aurait été prise dans le seul but de s'opposer au mariage de M. B... avec une personne titulaire d'un titre de séjour de dix ans en qualité de réfugiée. Par suite, le moyen tiré de ce que cette décision serait entachée d'un détournement de pouvoir doit être écarté.

8. En second lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Il ressort des pièces du dossier que, si M. B... est entré irrégulièrement sur le territoire français au cours de l'année 2013, alors qu'il était encore mineur, en compagnie de son frère et de ses parents, il a été réadmis dans son pays d'origine, le 19 juillet 2016. Si, postérieurement à cette réadmission, il est à nouveau entré en France, il ne résidait ainsi sur le territoire français que depuis au plus deux ans à la date de la décision contestée. Il ressort également des pièces du dossier, d'une part, que lors de sa dernière entrée sur le territoire français, l'intéressé s'y est maintenu irrégulièrement au-delà de la période de trois mois qui lui était accordée pour s'y maintenir, sans chercher à régulariser sa situation et, d'autre part, qu'il n'a pu présenter aucun document d'identité ou de voyage l'autorisant à entrer ou séjourner sur le territoire français. Dans ces conditions, nonobstant ses projets de mariage, la présence en France de ses parents et de son frère aîné, ainsi que ses efforts pour apprendre le français ou sa participation en qualité de bénévole à des actions au sein de diverses associations, M. B..., qui était encore célibataire et sans enfant à la date de la décision contestée, n'est pas fondé à soutenir que celle-ci serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaitrait les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la légalité de la décision ne fixant aucun délai de départ volontaire :

10. En premier lieu, la décision contestée mentionne l'ensemble des textes dont elle fait application, notamment le II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et précise notamment, d'une part, que M. B... s'est maintenu en France en toute illégalité depuis sa dernière entrée sur le territoire français, sans chercher à régulariser sa situation et, d'autre part, qu'il ne présente pas de garanties de représentation. Elle comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

11. En deuxième lieu, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des termes de la décision contestée que le préfet de Meurthe-et-Moselle se serait estimé en situation de compétence liée et n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de M. B....

12. En troisième lieu, aux termes du 7) de l'article 3 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le risque de fuite est défini comme " le fait qu'il existe des raisons, dans un cas particulier et sur la base de critères objectifs définis par la loi, de penser qu'un ressortissant d'un pays tiers faisant l'objet de procédures de retour peut prendre la fuite ". Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) b) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au deuxième alinéa de l'article L. 611-3, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 513-4, L. 513-5, L. 552-4, L. 561-1, L. 561-2 et L. 742-2 ; (...) L'autorité administrative peut faire application du troisième alinéa du présent II lorsque le motif apparaît au cours du délai accordé en application du premier alinéa ".

13. Il ne ressort nullement des termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que ces dispositions, qui instituent un délai de départ volontaire de trente jours et prévoient, par exception, les hypothèses dans lesquelles un étranger faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français peut se voir opposer une décision de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire, auraient pour objet ou pour effet, ainsi que le prétend le requérant, de systématiser la notion de " risque de fuite " telle qu'elle est définie au 7) de l'article 3 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, et d'écarter ainsi " l'appréciation au cas par cas qu'impose cette directive " quant à la réalité d'un tel risque. Par suite, le moyen tiré de ce que le II de l'article L. 511-1-II étant contraire à l'article 3 de la directive du 16 décembre 2008, la décision contestée serait privée de base légale, doit être écarté.

14. En quatrième lieu, ainsi qu'il a été dit plus haut, M. B... s'est maintenu irrégulièrement en France, après sa dernière entrée sur le territoire français en 2016, au-delà de la période de trois mois qui lui était accordée pour s'y maintenir, sans chercher à régulariser sa situation, et n'a pas pu présenter de document d'identité ou de voyage l'autorisant à entrer ou séjourner sur ce territoire. En outre, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a déclaré être, tantôt hébergé chez son frère aîné, tantôt résider chez sa concubine, sans disposer lui-même d'un domicile fixe en France. Par suite, nonobstant la circonstance qu'il ne représenterait pas une menace à l'ordre public, M. B..., qui avait déjà refusé d'embarquer à destination de son pays d'origine en 2016 en exécution d'un jugement du tribunal administratif de Nancy du 8 octobre 2015, n'est pas fondé à soutenir qu'en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, le préfet de Meurthe-et-Moselle a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.

Sur la légalité de la décision fixant le pays d'éloignement :

15. En premier lieu, si aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.

16. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

17. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision fixant le pays à destination duquel il doit être reconduit, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, ainsi qu'il a été dit plus haut, M. B... s'est maintenu irrégulièrement en France, après sa dernière entrée sur le territoire français en 2016, au-delà de la période de trois mois qui lui était accordée pour s'y maintenir, sans jamais chercher à régulariser sa situation par l'obtention d'un titre de séjour, se privant ainsi lui-même de la possibilité de faire valoir ses observations auprès de l'administration. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations dans un délai suffisant, notamment en méconnaissance du droit d'être entendu consacré par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

18. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".

19. M. B... se bornant à affirmer, sans plus de précision ni éléments de preuve, qu'il ferait l'objet de traitement inhumains ou dégradants en cas de retour en Serbie, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence :

20. En premier lieu, la décision contestée mentionne l'ensemble des textes dont elle fait application, notamment l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, vise l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 2 août 2019 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de destination, et précise notamment que M. B... n'a pu présenter aucun document d'identité ou de voyage l'autorisant à entrer ou séjourner sur le territoire français, qu'il réside chez sa concubine et que " l'exécution de l'obligation de quitter le territoire dont il fait l'objet demeure une perspective raisonnable ". Elle comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

21. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal d'audition du 1er août 2019, que le préfet a recueilli les observations de M. B..., préalablement à la notification de la décision d'assignation à résidence contestée. Le requérant n'est ainsi pas fondé à soutenir qu'il n'a pas été préalablement informé de ce que le préfet entendait prendre une mesure d'assignation à résidence.

22. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les étrangers assignés à résidence sur le fondement des articles L. 552-4 et L. 561-2 se voient remettre une information sur les modalités d'exercice de leurs droits, sur les obligations qui leur incombent et, le cas échéant, sur la possibilité de bénéficier d'une aide au retour ".

23. Contrairement à ce que soutient le requérant, était jointe à la décision d'assignation contestée une information sur les modalités d'exercice de ses droits, sur les obligations qui lui incombent et, le cas échéant, sur la possibilité de bénéficier d'une aide au retour au sens des dispositions précitées de l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen de M. B... tiré de ce que le formulaire des droits prévus à l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne lui aurait pas été remis doit être écarté.

24. En quatrième lieu, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des termes de la décision contestée que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de l'intéressé, avant de prononcer son assignation à résidence.

25. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 5° fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé (...) ".

26. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en imposant à M. B... de se présenter quatre fois par semaine au commissariat de police de Nancy, le préfet de Meurthe-et-Moselle aurait entaché la décision l'assignant à résidence d'une erreur manifeste d'appréciation, le requérant ne faisant au demeurant valoir aucun argument faisant obstacle à ce qu'il se rende à cette convocation à la fréquence indiquée. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée ne serait ni justifiée ni proportionnée doit être écarté.

27. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à annuler l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 2 août 2019 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit, ainsi que l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du même jour portant assignation à résidence pour une durée de trente jours. Ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour ou, à tout le moins, une autorisation provisoire de séjour doivent être rejetées, par voie de conséquence.

Sur les frais liés à l'instance :

28. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

29. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : M. A... B... est admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

N° 19NC02642 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02642
Date de la décision : 23/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Restrictions apportées au séjour - Assignation à résidence.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Jean-Marc FAVRET
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : BOUVIER JAQUET ROYER PEREIRA BARBOSA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-07-23;19nc02642 ?
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