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23/07/2020 | FRANCE | N°19NC00107

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 23 juillet 2020, 19NC00107


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... B..., M. F... B... et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner Voies navigables de France à verser d'une part, à Mme G... B... les sommes totales de 77 243,39 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis, d'autre part, à MM. A... et F... B... la somme de 15 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral.

Par une ordonnance n° 1801916 du 30 novembre 2018, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs dem

andes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... B..., M. F... B... et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner Voies navigables de France à verser d'une part, à Mme G... B... les sommes totales de 77 243,39 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis, d'autre part, à MM. A... et F... B... la somme de 15 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral.

Par une ordonnance n° 1801916 du 30 novembre 2018, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 janvier et 27 mai 2019, Mme G... B..., M. F... B... et M. A... B..., représentés par Me D..., demandent à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 30 novembre 2018 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de condamner Voies navigables de France à verser à Mme G... B... la somme de 43 159,03 euros en réparation de son préjudice économique, de 4 084,36 euros au titre des frais d'obsèques et de 30 000 euros au titre de son préjudice moral ;

3°) de condamner Voies navigables de France à verser à M. A... B... la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral ;

4°) de condamner Voies navigables de France à verser à M. F... B... la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral ;

5°) de mettre à la charge de Voies navigables de France la somme de 1 500 euros à verser à chacun d'eux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice.

Ils soutiennent que :

- le courrier du 8 janvier 2018 du conseil de Voies navigables de France qui est couvert par le secret de la correspondance entre avocats, ne saurait constituer une décision explicite de rejet de leur demande indemnitaire préalable de nature à faire courir les délais de recours contentieux ;

- la saisine du tribunal administratif de Nancy, le 4 janvier 2018, a interrompu le délai de recours contentieux jusqu'à la notification de l'ordonnance transmettant leur demande au tribunal administratif de Strasbourg ;

- le défaut d'entretien du chemin de halage, autorisé aux cyclistes, est établi ;

- Voies Navigables de France n'a pas signalé le danger, alors que l'établissement public ne pouvait ignorer la déformation de la chaussée et l'a d'ailleurs réhabilitée après l'accident ;

- le lien de causalité entre la déformation de la chaussée et la chute de M. B... est suffisamment établi ;

- ils ont droit à l'indemnisation des préjudices qu'ils ont subis.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 avril et 26 juillet 2019, l'établissement public administratif Voies Navigables de France, représenté par Me C..., conclut à titre principal au rejet pour irrecevabilité de la requête et à titre subsidiaire, au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la demande de Mme B... et autres devant le tribunal administratif de Strasbourg est manifestement irrecevable et tardive ;

- la saisine du tribunal administratif de Nancy, qui n'était pas compétent territorialement, n'a pas interrompu les délais de recours contentieux ;

- M. B... devait détenir une autorisation écrite pour circuler à vélo sur le chemin de halage et a commis des imprudences de nature à l'exonérer de toute responsabilité ;

- les autres moyens soulevés par Mme B... et autres ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des transports ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E..., présidente,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me C... pour Voies Navigables de France.

Considérant ce qui suit :

1. Le 12 août 2016, alors qu'il se rendait en vélo, avec un groupe d'amis, de Sarrebourg à Saverne en longeant le canal entre la Marne et le Rhin, M. B... a fait une chute à vélo sur le chemin de halage à hauteur de l'écluse 23 sur le territoire de la commune de Lutzelbourg. Malgré un massage cardiaque, les services d'urgence n'ont pu le réanimer et son décès par " luxation fracture grave du rachis cervical et traumatisme crânien et thoracique grave " a été constaté. Mme B..., son épouse et ses deux fils, MM. A... et F... B... ont adressé, le 1er décembre 2017, une demande indemnitaire préalable à l'établissement public Voies Navigables de France, gestionnaire du domaine public fluvial et de ses dépendances, chargé de son entretien en vertu des articles L. 2111-10 et L. 2124-11 du code général de la propriété des personnes publiques. Le 21 mars 2018, Mme B... et ses fils ont introduit un recours contentieux devant le tribunal administratif de Strasbourg. Par une ordonnance du 30 novembre 2018, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de Mme B... et autres pour tardiveté en application du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle (...) ". Aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. / La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête. ".

3. D'autre part, il résulte des dispositions des articles 4 et 6 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques que, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires excluant l'application d'un tel principe dans les cas particuliers qu'elles déterminent, les avocats ont qualité pour représenter leurs clients devant les administrations publiques sans avoir à justifier du mandat qu'ils sont réputés avoir reçu de ces derniers dès lors qu'ils déclarent agir pour leur compte. Si ces dispositions autorisent également les personnes publiques à se faire représenter par des avocats dans leurs relations avec les autres personnes publiques ou avec les personnes privées, aucune décision administrative ne saurait toutefois résulter des seules correspondances de ces derniers, en l'absence de transmission, à l'appui de ces correspondances, de la décision prise par la personne publique qu'ils représentent.

4. Le 1er décembre 2017, Mme et MM. B... ont adressé, par l'intermédiaire de leur conseil, une demande indemnitaire préalable à Voies Navigables de France pour lui demander la réparation des préjudices qu'ils ont subis en raison du décès de M. B... qu'ils imputent à un défaut d'entretien normal du chemin de halage. Le 8 janvier 2018, le conseil de Voies Navigables de France a rejeté cette demande au nom de l'établissement public au motif qu'aucun défaut d'entretien normal du chemin de halage ne pouvait lui être imputé.

5. Cependant, un rejet de la demande indemnitaire préalable de Mme et MM. B... ne pouvait naître du seul envoi par le conseil de Voies Navigables de France d'un courrier au conseil de Mme B... et autres faisant état d'un refus de la personne publique de faire droit à cette demande, dès lors que n'était pas jointe à ce courrier la décision prise par l'établissement public Voies Navigables de France lui-même. Par suite, le courrier du 8 janvier 2018 n'a pu faire courir le délai dont disposaient Mme et MM. B... pour saisir le tribunal administratif de Strasbourg. La demande indemnitaire préalable de Mme B... et autres a été reçue le 5 décembre 2017 par Voies Navigables de France. Une décision implicite de rejet de leur demande étant née le 5 février 2018, leur requête, enregistrée le 21 mars 2018, par le greffe du tribunal administratif de Strasbourg n'était pas tardive.

6. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande comme étant tardive et, en conséquence, irrecevable. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu d'annuler l'ordonnance du 30 novembre 2018 du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Strasbourg et d'évoquer pour statuer immédiatement sur la demande de Mme et MM. B... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur la demande indemnitaire de Mme et MM. B... :

7. En premier lieu, le 12 août 2016, M. B..., âgé de 74 ans, a fait une chute de vélo au niveau de l'écluse 23 sur le chemin de halage qui longe le canal entre la Marne et le Rhin sur le territoire de la commune de Lutzelbourg. Il résulte de l'instruction et en particulier du procès-verbal de transport et de constatations des mesures prises du 12 août 2016 ainsi que des photographies produites, que le chemin de halage comportait, à environ 13 mètres de l'endroit où le corps inanimé de M. B... a été retrouvé, une déformation " créant une bosse sur toute la largeur de la piste, de manière oblique ". Cette déformation est due à une racine d'arbre qui a provoqué un soulèvement du goudron. Située dans une descente après un pont enjambant le canal et une courbe, cette déformation n'était pas visible pour les cyclistes roulant en direction de Saverne. La cycliste qui précédait M. B... et faisait partie du groupe avec lequel il effectuait cette randonnée a précisé, lors de son audition par les services de la gendarmerie nationale le 14 août 2016, avoir elle-même remarqué qu'une racine soulevait le goudron de la piste cyclable.

8. En deuxième lieu, d'une part, il résulte de l'instruction qu'au niveau de l'écluse 23, la circulation des cyclistes est autorisée sur le chemin de halage qui longe le canal entre la Marne et le Rhin. Un panneau de signalisation à l'entrée du tronçon concerné en direction de Saverne porte la mention " itinéraire réservé aux piétons et aux cyclistes ", tout en limitant la vitesse à 20 kilomètres/heure. Il rappelle que la circulation se fait " aux risques et périls " des usagers, ainsi que l'énonce d'ailleurs l'article R. 4241-69 du code des transports.

9. D'autre part, à cet endroit, le chemin de halage ne fait pas l'objet de la convention de superposition d'affectations prévue par l'article L. 2123-7 du code général de la propriété des personnes publiques. Alors même que la circulation des cyclistes y est autorisée et que le revêtement est goudronné, le chemin de halage, qui est relativement étroit dans sa partie goudronnée bordant le canal, est destiné à la surveillance et à la maintenance des écluses et ouvrages du réseau public fluvial.

10. En outre, postérieurement à l'accident mortel dont a été victime M. B..., Voies Navigables de France a signalé la déformation de la chaussée par une bande fluorescente et demandé aux cyclistes de descendre de vélo à cet endroit avant de refaire le revêtement en extirpant les racines. Cependant, il résulte de l'instruction que la signalisation mentionnée au point 8, alors apposée à chacune des extrémités du tronçon litigieux, était appropriée. En effet, les panneaux de signalisation rappelaient que la vitesse était limitée à 20 km/heure et que la circulation se faisait aux " risques et périls " des usagers, les appelant ainsi à la vigilance.

11. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que la déformation de la voie, alors même qu'elle occupait la largeur du chemin de halage de manière oblique, aurait été d'une ampleur telle qu'elle présentait un risque excédant ceux auxquels doivent normalement s'attendre les cyclistes sur ce type de chemin, carrossable mais non parfaitement aplani. La cycliste qui précédait M. B... a d'ailleurs précisé, lors de son audition par les services de la gendarmerie nationale le 14 août 2016, être passée " sans problème " sur la déformation de la voie en maintenant fermement le guidon de son vélo.

12. Il résulte de ce qui précède que l'état du chemin de halage au niveau de l'écluse 23 sur le territoire de la commune de Lutzelbourg, permettant un usage de ce chemin conforme à sa destination, ne peut être regardé comme constituant un défaut d'entretien normal de cette voie. Dès lors, en l'absence de défaut d'entretien normal du chemin de halage, Mme B... et ses fils ne sont pas fondés à soutenir que la responsabilité de Voies Navigables de France est de nature à être engagée. Les demandes indemnitaires de Mme et MM. B... doivent, en conséquence, être rejetées sans qu'il soit besoin d'examiner si M. B... a commis une faute de nature à exonérer, partiellement au moins, la responsabilité de l'établissement public ainsi que le soutient ce dernier.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Voies Navigables de France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme et MM. B... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Voies Navigables de France présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n° 1801916 du 30 novembre 2018 du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.

Article 2 : La demande présentée par les consorts B... devant le tribunal administratif de Strasbourg et les conclusions qu'ils présentent au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en appel sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par Voies navigables de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... B..., à M. F... B..., à M. A... B... et à Voies navigables de France.

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N°19NC00107


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