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23/07/2020 | FRANCE | N°18NC01193-18NC03153

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 23 juillet 2020, 18NC01193-18NC03153


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, de condamner le centre hospitalier universitaire de Nancy à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des fautes commises lors de sa prise en charge au cours des mois de septembre et d'octobre 2013, d'autre part, d'ordonner avant-dire droit une expertise médicale aux fins de déterminer si une ou plusieurs fautes ont été commises lors de cette prise en charge, de déterminer l'ensemble des préjudices imputables à cet

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Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, de condamner le centre hospitalier universitaire de Nancy à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des fautes commises lors de sa prise en charge au cours des mois de septembre et d'octobre 2013, d'autre part, d'ordonner avant-dire droit une expertise médicale aux fins de déterminer si une ou plusieurs fautes ont été commises lors de cette prise en charge, de déterminer l'ensemble des préjudices imputables à cette ou ces fautes et de fixer la date de consolidation, la requérante se réservant le droit de chiffrer son préjudice après cette expertise, subsidiairement de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer les conséquences dommageables de l'accident médical non fautif dont elle a été victime.

Par un jugement n° 1602736 du 15 février 2018, le tribunal administratif de Nancy, d'une part, a rejeté les conclusions tendant à ce qu'il soit ordonné avant-dire droit une expertise médicale, d'autre part, a estimé que la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Nancy et de l'ONIAM était engagée à raison, pour le premier, du manquement à son obligation d'information et, pour le second, des préjudices résultant de la complication hémorragique subie par Mme A... le 10 octobre 2013, enfin, a invité la requérante à chiffrer l'intégralité des préjudices subis dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

En conséquence de ce jugement, Mme A... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Nancy à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral résultant du défaut d'information, d'autre part, de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 1 141 083 euros en réparation des préjudices résultant de l'accident médical non fautif dont elle a été victime.

Par un jugement n° 1602736 du 20 septembre 2018, le tribunal administratif de Nancy a condamné respectivement le centre hospitalier régional universitaire de Nancy et l'ONIAM à verser à Mme A... les sommes de 4 000 euros pour le premier et de 1 040 051,78 euros pour le second et a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 13 avril 2018, sous le n° 18NC01193, l'ONIAM, représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1602736 du 15 février 2018 du tribunal administratif de Nancy en tant qu'il a retenu sa responsabilité à raison des préjudices résultant de la complication hémorragique subie par Mme A... le 10 octobre 2013 ;

2°) de rejeter les conclusions à fin d'indemnisation de Mme A... dirigées à son encontre en première instance ;

3°) de le mettre hors de cause.

Il soutient que :

- les conditions d'ouverture du droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies à défaut d'anormalité du préjudice ;

- l'acte médical n'a pas entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles Mme A... était exposée, eu égard à son état de santé et à son évolution prévisible, de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.

- la survenance du dommage subi par Mme A... ne présentait pas une probabilité faible.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 juin 2018, 8 février 2019 et 2 août 2019, Mme B... A..., représentée par Me F..., conclut, en premier lieu, au rejet de la requête et de l'appel incident du centre hospitalier régional universitaire de Nancy, en deuxième lieu, à la réformation du jugement de première instance en tant qu'il a jugé que le manquement du centre hospitalier régional universitaire de Nancy ne l'a privée d'aucune perte de chance de se soustraire aux conséquences de l'intervention pratiquée le 10 octobre 2013, en troisième lieu, à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Nancy à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation de ce préjudice et, en quatrième lieu, à la mise à la charge de l'ONIAM et du centre hospitalier régional universitaire de Nancy d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le manquement du centre hospitalier régional universitaire de Nancy à son obligation d'information l'a privée d'une chance de se soustraire aux conséquences de l'intervention pratiquée le 10 octobre 2013 ;

- les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 20 septembre 2018, le directeur de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants indique qu'il n'entend pas intervenir, dès lors qu'il n'a aucune créance à faire valoir dans la présente instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2018, le centre hospitalier régional universitaire de Nancy, représenté par Me E..., conclut au rejet des conclusions à fin d'indemnisation de Mme A... dirigées contre lui et à la réformation du jugement de première instance en tant qu'il a retenu sa responsabilité pour manquement à son devoir d'information.

Il soutient qu'il n'a pas manqué à son obligation d'information et que, en tout état de cause, Mme A... ne peut prétendre à être indemnisée au titre de la perte de chance, dès lors que, eu égard à la gravité de son état de santé, elle ne disposait pas d'une possibilité raisonnable de refuser l'intervention.

Par courrier du 29 mai 2020, les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de fonder son arrêt sur un moyen d'ordre public tiré de ce que Mme A... ne justifie pas, dans ce dossier, d'un intérêt à présenter des conclusions à fin d'appel provoqué contre le centre hospitalier régional universitaire de Nancy.

Des observations en réponse au courrier du 29 mai 2020, présentées pour Mme A..., par Me F..., ont été enregistrées le 12 juin 2020.

II. Par une requête, enregistrée le 20 novembre 2018, sous le n° 18NC03153, l'ONIAM, représenté par Me D..., doit être regardé comme demandant à la Cour :

à titre principal,

1°) d'annuler le jugement n° 1602736 du 20 septembre 2018 du tribunal administratif de Nancy en tant qu'il le condamne à verser à Mme A... la somme de 1 040 051,78 euros ;

2°) de rejeter les conclusions à fin d'indemnisation de Mme A... dirigées à son encontre en première instance ;

3°) d'ordonner sa mise hors de cause ;

à titre subsidiaire,

1°) de réformer le jugement n° 1602736 du 20 septembre 2018 du tribunal administratif de Nancy en réduisant la somme de 1 040 051,78 euros qu'il a été condamné à verser à Mme A... ;

2°) de statuer sur ce que de droit sur les dépens.

Il soutient que :

- les conditions d'ouverture du droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies à défaut d'anormalité du préjudice ;

- l'acte médical n'a pas entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles Mme A... était exposée, eu égard à son état de santé et à son évolution prévisible, de manière suffisamment probable en l'absence de traitement ;

- la survenance du dommage subi par Mme A... ne présentait pas une probabilité faible.

- les prétentions indemnitaires de Mme A... concernant l'assistance par tierce personne ne sont pas fondées en l'état ou, subsidiairement, doivent être ramenées à de plus justes proportions ; pour les arrérages à échoir, à compter du 1er janvier 2019, il conviendra de prévoir le versement d'une rente annuelle, sous déduction des sommes reçues au titre de ce poste de préjudice, qu'il appartiendra à Mme A... de porter à sa connaissance ;

- les autres prétentions indemnitaires de Mme A... doivent également être ramenées à de plus justes proportions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 février 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 2 août 2019, Mme B... A..., représentée par Me F..., conclut, en premier lieu, au rejet de la requête et de l'appel incident du centre hospitalier régional universitaire de Nancy, en deuxième lieu, à la réformation du jugement de première instance en portant à 150 000 euros la somme que le centre hospitalier régional universitaire de Nancy doit être condamné à lui verser et, en troisième lieu, à la mise à la charge de l'ONIAM et du centre hospitalier régional universitaire de Nancy d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le manquement du centre hospitalier régional universitaire de Nancy l'a privée d'une chance de se soustraire aux conséquences de l'intervention pratiquée le 10 octobre 2013 ;

- elle est fondée à réclamer au centre hospitalier régional universitaire de Nancy la somme de 150 000 euros en réparation de ce préjudice ;

- les moyens invoqués par l'ONIAM ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 19 novembre 2019, le centre hospitalier régional universitaire de Nancy, représenté par Me E..., conclut au rejet des conclusions à fin d'indemnisation de Mme A... dirigées contre lui et à la réformation du jugement de première instance en tant qu'il a retenu sa responsabilité pour manquement à son devoir d'information et l'a condamné au paiement d'une indemnité de 4 000 euros.

Il soutient qu'il n'a pas manqué à son obligation d'information et que, en tout état de cause, Mme A... ne peut prétendre à être indemnisée au titre de la perte de chance, dès lors que, eu égard à la gravité de son état de santé, elle ne disposait pas d'une possibilité raisonnable de refuser l'intervention.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public,

- et les observations de Me F... pour Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 18NC01193 et 18NC03153, présentées pour l'ONIAM, sont relatives au même litige indemnitaire. Elles soulèvent des questions analogues et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Alors âgée de trente-quatre ans, Mme B... A... a présenté au cours de l'été 2013 des céphalées inhabituelles et intenses, associées à des troubles sensitifs, en l'occurrence des fourmillements dans le bras gauche, qui ont conduit son médecin traitant à lui prescrire une imagerie par résonnance magnétique cérébrale. Réalisé le 16 septembre 2013, cet examen a mis en évidence la présence une malformation artério-veineuse encéphalique d'origine congénitale, avec une volumineuse ectasie veineuse, partiellement thrombosée, et un oedème d'origine veineuse. Prise en charge par le service de neuroradiologie diagnostique et thérapeutique du centre hospitalier régional universitaire de Nancy, la requérante a fait l'objet, le lendemain, d'un scanner complémentaire, puis, le surlendemain, d'une angiographie cérébrale, qui attestent de la complexité de la malformation. Le traitement par corticoïdes et anticoagulants, qui lui a d'abord été prescrit, n'ayant pas donné de résultats satisfaisants, un traitement endovasculaire a été réalisé, le 10 octobre 2013 au matin, sans complications particulières lors de l'intervention et sans déficit moteur constaté au réveil de la patiente. Toutefois, le jour même, à 13 heures, Mme A... a éprouvé des céphalées intenses et des paresthésies au niveau du bras gauche. Puis, alors qu'elle passait un scanner en urgence, elle est tombée dans un coma avec mydriase droite. Ce nouvel examen ayant révélé que l'aggravation clinique de l'état de la patiente avait été causée par la survenue d'une hémorragie et la présence d'un hématome avec effet de masse important, une intervention neurochirurgicale a été pratiquée en urgence, à 16 heures, par ouverture d'un volet décompressif et évacuation de l'hématome. Au réveil, Mme A... a présenté une hémiplégie gauche à prédominance brachio-faciale, accompagnée d'une héminégligence gauche et de difficultés de déglutition. Le 6 novembre 2013, la requérante a été transférée au centre de rééducation de Lay-Saint-Christophe (Meurthe-et-Moselle), puis, à compter du 29 novembre, pour des raisons de commodité géographique, au centre de rééducation de Warcq (Ardennes). De retour à son domicile le 15 janvier 2014, elle a poursuivi sa rééducation en hospitalisation de jour au centre de Warcq jusqu'au 31 janvier 2016. Conservant d'importantes séquelles neurologiques, qui l'empêchent notamment de reprendre son activité professionnelle dans le secteur de la restauration et de s'occuper seule de ses deux enfants, Mme A... a, le 31 août 2015, saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Lorraine. Après avoir ordonné le 6 novembre 2015 une expertise médicale, dont le rapport a été remis le 26 mars 2016, puis sollicité un complément d'expertise le 25 mai 2016, la commission régionale a, le 5 juillet 2016, rejeté la demande d'indemnisation de la requérante. Le 9 septembre 2016, Mme A... a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Nancy à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des fautes commises lors de sa prise en charge médicale au cours des mois de septembre et d'octobre 2013, subsidiairement à celle de l'ONIAM à réparer les conséquences anormales de l'intervention du 10 octobre 2013. L'ONIAM relève appel des jugements n° 1602736 du 15 février 2018 et du 20 septembre 2018, en tant que les premiers juges, d'une part, ont estimé que sa responsabilité était engagée au titre de la solidarité nationale du fait des préjudices résultant de la complication hémorragique subie par Mme A... le 10 octobre 2013, d'autre part, l'ont condamné, en conséquence, à verser à l'intéressée la somme de 1 040 051,78 euros.

Sur l'appel principal de l'ONIAM :

En ce qui concerne le principe de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

3. Aux termes du deuxième paragraphe de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. / A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence. ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage. Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès.

5. D'une part, il résulte de l'instruction que Mme A... présentait une malformation artério-veineuse active de la jonction pariéto-occipitale, compliquée par une volumineuse ectasie veineuse, partiellement thrombosée, et un oedème secondaire à l'engorgement veineux, qui l'exposait, à défaut de traitement, à un risque vital d'hémorragie cérébrale. Dans ces conditions, la rupture hémorragique survenue au décours de l'intervention d'embolisation endovasculaire du 10 octobre 2013 ne peut être regardée comme une complication dont les conséquences auraient été notablement plus graves que celles auxquelles elle aurait été exposée de manière suffisamment probable en l'absence d'une telle intervention.

6. D'autre part, il résulte également de l'instruction et, plus particulièrement, du rapport d'expertise remis le 26 mars 2016 que le risque annuel de rupture hémorragique d'une malformation artério-veineuse est compris entre 2 et 4 % et que ce taux est plus important en cas de malformation active déjà symptomatique. Ce même rapport précise que la morbidité de la procédure d'embolisation avec une hémorragie aiguë varie de 3,9 à 5,3 %. Les allégations de l'ONIAM selon lesquelles la survenance du dommage de Mme A... présentait une probabilité faible sont contestées par l'intéressée. Cette dernière produit notamment un article coécrit par le chef du service d'anesthésie-réanimation et par un radiologue du service de neuroradiologie du centre hospitalier universitaire de la Timone à Marseille, dont il résulte que le risque hémorragique lors du traitement par embolisation des malformations artério-veineuses, rare pendant l'intervention, prédomine dans les suites de la procédure et qu'il est globalement estimé autour de 3 %. L'ONIAM ne saurait utilement se prévaloir des informations complémentaires données par l'un des deux auteurs du rapport d'expertise du 26 mars 2016 dans son courriel du 7 juin 2016, dès lors que la fourchette comprise entre 6 et 6,9 % pour la première année, retenue par lui, concerne les risques de nouveau saignement après un premier épisode hémorragique. Dans ces conditions, la survenance du dommage de Mme A... doit être regardée comme présentant une probabilité faible. Par suite et alors que le déficit fonctionnel permanent de l'intéressée a été évalué par les experts au taux non contesté de 75 %, les préjudices résultant de la complication hémorragique, qui a suivi l'intervention du 10 octobre 2013, doivent être indemnisés par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.

En ce qui concerne le montant de la réparation :

S'agissant de l'assistance par tierce personne :

7. Lorsque, au nombre des conséquences dommageables d'un accident engageant la responsabilité d'une personne publique, figure la nécessité pour la victime de recourir à l'assistance d'une tierce personne à domicile pour les actes de la vie courante, la circonstance que cette assistance serait assurée par un membre de sa famille est, par elle-même, sans incidence sur le droit de la victime à en être indemnisée. Le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum augmenté des charges sociales, appliqué à une durée journalière, et tenant compte des coûts supplémentaires dus aux congés payés et à la rémunération du travail effectué le dimanche et les jours fériés.

8. Par ailleurs, en vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais d'assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage. La déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune. Lorsqu'une prestation est susceptible d'être déduite de l'indemnisation allouée à la victime, la circonstance que celle-ci, qui n'en a pas demandé le bénéfice, est susceptible de le solliciter à l'avenir est sans incidence sur le montant de l'indemnité qu'il revient au juge de déterminer. L'autorité compétente en matière d'aide sociale, lorsqu'elle est saisie d'une demande de prestation de compensation du handicap, alors qu'une décision de justice a mis à la charge du responsable du dommage une indemnisation couvrant le besoin d'assistance par une tierce personne, peut, en effet, tenir compte du fait que ce besoin se trouve ainsi pris en charge par un tiers, sans préjudice de la possibilité pour l'aide sociale de financer des frais autres que ceux que l'indemnisation allouée par le juge a pour objet de couvrir.

9. Il résulte du rapport d'expertise du 26 mars 2016 que l'état de santé de Mme A... nécessite une aide humaine non spécialisée, laquelle est assurée actuellement par sa soeur, à raison de trois heures par jour, pour l'aide à la toilette, aux repas et aux tâches ménagères, ainsi que pour l'aider à s'occuper de ses deux enfants en bas âge. Il ressort également des pièces versées aux débats par la défenderesse, que, si l'intéressée est titulaire d'une pension d'invalidité partielle de 591,42 euros par mois, elle ne perçoit, en revanche, ni indemnité versée au titre d'un contrat couvrant les accidents de la vie souscrit auprès d'une assurance privée, ni prestation de compensation du handicap allouée par la maison départementale des personnes handicapées, ni majoration pour tierce personne versée par la caisse primaire d'assurance maladie. Dans ces conditions, en retenant un taux horaire de 13 euros, correspondant, pour une aide humaine non spécialisée, au montant du salaire minimum moyen, augmenté des charges sociales et des majorations de rémunération dues les dimanches et les jours fériés, ainsi qu'une base annuelle de 412 jours intégrant l'ensemble des congés payés, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce poste de préjudice en allouant à Mme A... la somme de 42 315 euros pour la période allant du 1er février 2016 au 20 septembre 2018, date de lecture du jugement attaqué.

10. En revanche, en reprenant les mêmes bases de calcul que celles précisées au point précédent, il y a lieu également de mettre à la charge de l'ONIAM, pour la période allant du 21 septembre 2018 au 23 juillet 2020, date de lecture du présent arrêt, la somme de 29 583 euros et, pour la période postérieure, une rente versée par trimestre échu pour un montant annuel de 16 068 euros, sous déduction le cas échéant de la somme que Mme A... percevra, au cours de chaque trimestre, au titre de la prestation de compensation du handicap, de la majoration pour tierce personne ou de toute autre prestation ayant le même objet. Elle devra justifier au préalable auprès de l'ONIAM ne pas percevoir de telles prestations et, notamment, la prestation de compensation du handicap et la majoration pour tierce personne. Cette rente sera revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

11. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les experts ont estimé que Mme A... avait subi un déficit fonctionnel temporaire total du 10 octobre 2013 au 15 juin 2014, soit huit mois et quatre jours, puis, sous réserve de deux courtes périodes d'hospitalisation de six jours, du 14 au 19 septembre 2014, et de cinq jours, du 17 au 21 septembre 2015, où le déficit fonctionnel temporaire a également été total, un déficit fonctionnel temporaire de 80 % du 16 juin 2014 jusqu'à la date de consolidation de l'état de santé de l'intéressée le 31 janvier 2016, soit dix-neuf mois et quinze jours. Par suite, les premiers juges n'ont pas fait une appréciation excessive de ce poste de préjudice en allouant à la victime la somme de 11 600 euros à ce titre.

12. En deuxième lieu, il résulte du rapport d'expertise du 26 mars 2016 que, à la date de consolidation, Mme A... présentait un déficit fonctionnel permanent estimé à 75 %. Eu égard à l'âge de la victime au 1er février 2016, c'est à bon droit que les premiers juges ont évalué ce poste de préjudice à la somme de 300 000 euros.

13. En troisième lieu, le préjudice esthétique permanent de Mme A... a été évalué par les experts à 4 sur une échelle de 7. Par suite, il y a lieu de confirmer les premiers juges, qui ont alloué à la victime une somme de 7 000 euros à ce titre.

14. En quatrième et dernier lieu, il résulte du rapport d'expertise du 26 mars 2016 que Mme A..., qui était âgée de trente-quatre ans à la date de survenance de son dommage et qui ne peut plus désormais pratiquer le tennis, le vélo et la natation, a subi un préjudice d'agrément dont il sera fait une juste appréciation en allouant à l'intéressée la somme de 15 000 euros.

15. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM, qui ne conteste pas la somme de 3 000 euros mise à sa charge par les premiers juges au titre du préjudice sexuel subi par Mme A..., doit être condamné à verser à l'intéressée un capital de 408 498 euros et une rente par trimestres échus pour un montant annuel fixé à 16 068 euros. Par suite, l'ONIAM est seulement fondé à demander la réformation du jugement n° 1602736 du 20 septembre 2018 en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

En ce qui concerne les dépens :

16. L'instance n° 18NC03153 n'ayant pas généré de dépens, les conclusions de l'ONIAM à fin d'application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

En ce qui concerne les frais de justice :

17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme réclamée par Mme A..., dans chaque dossier, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les appels provoqués de Mme A... et les appels incidents du centre hospitalier régional universitaire de Nancy :

18. D'une part, le présent arrêt rejetant l'appel de l'ONIAM dirigé contre le jugement n° 1602736 du 15 février 2018, l'intéressée ne justifie pas d'un intérêt à présenter, dans l'instance n° 18NC01193, des conclusions à fin d'appel provoqué contre le centre hospitalier régional universitaire de Nancy. Par suite, il y a lieu de les rejeter pour irrecevabilité.

19. D'autre part, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. / La volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission. (...) ".

20. En application des dispositions précitées, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. Il suit de là que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la circonstance qu'un risque de décès ou d'invalidité répertorié dans la littérature médicale ne se réalise qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de le porter à la connaissance du patient. La faute commise par les praticiens d'un hôpital au regard de leur devoir d'information du patient n'entraîne pour ce dernier que la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour celui-ci, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.

21. Le tribunal administratif de Nancy, après avoir constaté que le centre hospitalier régional universitaire avait manqué à son devoir d'information du patient sur les risques pouvant résulter de l'intervention du 10 octobre 2013, a alloué à Mme A... une somme de 4 000 euros au titre de la souffrance morale qu'elle a endurée lorsqu'elle a découvert, sans y avoir été préparée, les conséquences dommageables de cette intervention. Si l'intéressée fait valoir que la faute commise par l'établissement de santé l'a privée d'une perte de chance de se soustraire au risque hémorragique qui s'est réalisé, il résulte de l'instruction que le traitement par corticoïdes et anticoagulants qui lui a été initialement prescrit n'a pas donné de résultats satisfaisants et que, en l'absence d'intervention, elle s'exposait à un risque vital d'hémorragie cérébrale. Dans ces conditions et alors que la pertinence du choix thérapeutique de recourir à une embolisation endovasculaire de la malformation artério-veineuse n'est pas remise en cause par les experts et que l'existence d'alternatives thérapeutiques moins risquées ou plus adaptées n'est pas démontrée, Mme A... ne peut être regardée comme ayant disposé d'une possibilité raisonnable de refuser l'intervention du 10 octobre 2013 ni, en conséquence, comme ayant été privée d'une chance de se soustraire au risque hémorragique qui s'est réalisé. Par suite, les conclusions présentées dans le dossier n° 18NC03153 tendant à ce que le centre hospitalier régional universitaire de Nancy soit condamné à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation de ce préjudice ne peuvent qu'être rejetées. Par voie de conséquence, les conclusions tendant à ce qu'il soit mis à la charge de l'établissement une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

22. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que Mme A... a indiqué aux experts que, si " elle avait bien compris la gravité potentiellement mortelle d'une telle malformation ", en revanche, " elle n'avait pas envisagé de rester avec d'importantes séquelles neurologiques ". Le centre hospitalier régional universitaire n'apporte aucun élément susceptible de démontrer que la patiente a été informée du risque hémorragique qui s'est réalisé. Par suite et alors qu'il est constant qu'aucune information écrite n'a été dispensée à Mme A..., le centre hospitalier n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pas commis de faute et demander, à titre incident, la réformation du jugement n° 1602736 du 20 septembre 2018 en tant qu'il le condamne à verser à l'intéressée une somme de 4 000 euros.

D E C I D E

Article 1er : L'ONIAM est condamné à verser à Mme A... une somme de 408 498 euros.

Article 2 : L'ONIAM versera également à Mme A..., pour chaque trimestre échu à compter du présent arrêt, une rente d'un montant annuel de 16 068 euros, sous déduction le cas échéant de la somme que l'intéressée percevra, au cours de chaque trimestre, au titre de la prestation de compensation du handicap, de la majoration pour tierce personne ou de toute autre prestation ayant le même objet. Mme A... devra justifier au préalable auprès de l'ONIAM ne pas percevoir de telles prestations et, notamment, la prestation de compensation du handicap et la majoration pour tierce personne. Cette rente sera revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

Article 3 : Le jugement n° 1602736 du tribunal administratif de Nancy du 20 septembre 2018 est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 5 : Les conclusions en appel provoqué présentées par Mme A... dans les deux dossiers sont rejetées.

Article 6 : Les conclusions de Mme A... présentées dans les deux dossiers en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Les conclusions en appel incident présentées par le centre hospitalier régional universitaire de Nancy dans les deux dossiers sont rejetées.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à l'ONIAM, à Mme B... A..., au centre hospitalier régional universitaire de Nancy et à la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants.

N° 18NC01193 et 18NC03153 2


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