La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/07/2020 | FRANCE | N°18NC00227

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 23 juillet 2020, 18NC00227


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire de Nancy et les hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser la somme totale de 121 449,24 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des conditions dans lesquelles se sont déroulées les consultations médicales des 24 juin 2013, 27 novembre 2013 et 27 janvier 2014 et des erreurs de diagnostic qui en sont résultées.

Par un jugement n° 1602147 du

30 novembre 2017, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Pr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire de Nancy et les hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser la somme totale de 121 449,24 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des conditions dans lesquelles se sont déroulées les consultations médicales des 24 juin 2013, 27 novembre 2013 et 27 janvier 2014 et des erreurs de diagnostic qui en sont résultées.

Par un jugement n° 1602147 du 30 novembre 2017, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 24 juillet 2018, Mme E... B..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1602147 du tribunal administratif de Nancy du 30 novembre 2017 ;

2°) de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire de Nancy et les hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser la somme totale de 116 709,24 euros en raison des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des conditions dans lesquelles se sont déroulées les consultations médicales des 24 juin 2013, 27 novembre 2013 et 27 janvier 2014 et des erreurs de diagnostic qui en sont résultées ;

3°) de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire de Nancy et les hôpitaux universitaires de Strasbourg aux dépens ;

4°) de mettre solidairement à la charge du centre hospitalier universitaire de Nancy et des hôpitaux universitaires de Strasbourg la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- eu égard aux conditions dans lesquelles se sont déroulées les consultations médicales des 24 juin 2013, 27 novembre 2013 et 27 janvier 2014, la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Nancy et des hôpitaux universitaires de Strasbourg est engagée au regard des articles L. 1142-1, R. 4127-32, R. 4127-33 et R. 4127-37 du code de la santé publique ;

- les deux praticiens concernés ont fait preuve d'une insuffisance caractérisée, d'une désinvolture à son égard et d'une absence de volonté réelle d'aboutir à un diagnostic sérieux et de se donner les moyens d'assumer l'obligation, qui leur incombe, de lui apporter les soins requis par son état de santé ;

- l'erreur de diagnostic, qui en est résultée, l'a privée d'une perte de chance de guérison complète ou d'une meilleure amélioration de son état de santé ;

- elle est fondée à réclamer les sommes de 60 000 euros au titre des souffrances morales et physiques éprouvées, de 30 000 euros au titre de la perte de chance d'avoir pu conserver son travail et son salaire, de 8 000 euros au titre des frais de déplacement et d'hôtellerie occasionnés par ses différents rendez-vous médicaux en France et en Espagne et de 18 709,24 euros au titre des frais médicaux supportés du fait sa prise en charge en Espagne.

Par un mémoire, enregistré le 29 juin 2018, et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 29 août et 18 octobre 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, représentée par Me A..., conclut dans le dernier état de ses écritures, d'une part, à la condamnation solidaire du centre hospitalier universitaire de Nancy et des hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser la somme de 6 611,85 euros, augmentée des intérêts légaux, au titre du remboursement de ses débours et la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, d'autre part, à ce que ses droits soient réservés pour les frais à venir, enfin, à la condamnation solidaire des établissements défendeurs aux dépens et à la mise à leur charge solidaire de la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 4 septembre 2019, le centre hospitalier universitaire de Nancy et les hôpitaux universitaires de Strasbourg, représentés par Me F..., concluent dans le dernier état de leurs écritures au rejet de la requête de Mme B... et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.

Ils soutiennent que :

- les prétentions indemnitaires de Mme B... ne sont pas fondées ;

- subsidiairement, ces prétentions sont manifestement excessives doivent être ramenées à de plus justes proportions ;

- les prétentions de la caisse primaire d'assurance maladie ne sont pas fondées ;

- il n'appartient pas au juge administratif de réserver les droits futurs de la caisse.

Par un courrier du 25 mai 2020, les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7, que la cour était susceptible de fonder son arrêt sur un moyen d'ordre public tiré de ce que le tribunal administratif de Nancy, en ne mettant pas en cause la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, a entaché son jugement d'irrégularité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public,

- et les observations de Me C... pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... B... a été victime, à l'âge de quatre ans, d'une chute ayant entraîné une fracture du sacrum et un traumatisme cérébral avec perte de connaissance. Depuis cette date, elle se plaint de douleurs de diverses intensités dans la région du sacrum. A compter de 2008, elle a ressenti une gêne dans la mobilisation de sa jambe droite, avec une accentuation des douleurs au niveau du coccyx et des sensations de décharges électriques dans la partie intérieure de la cuisse droite. Contrainte d'arrêter son travail d'aide-soignante le 15 juin 2009 en raison de ses difficultés à la marche, la requérante a été licenciée pour inaptitude physique le 21 juillet 2011. Depuis 2010, de nouveaux symptômes se sont ajoutés aux précédents, tels des céphalées, des nausées, des difficultés respiratoires, des boiteries, une impossibilité de tenir longtemps la position assise ou debout, une fermeture involontaire des paupières ou encore une diminution et parfois une perte de la voix. Les différentes explorations, réalisées en 2009, 2010 et 2011, par imagerie conventionnelle et par imagerie par résonance magnétique, ont révélé une discopathie débutante et dégénérative en L4-L5, ainsi qu'une petite hernie discale droite en L5-S1. Réalisé le 22 mars 2011, le bilan neurologique conclut à l'absence d'affection neurologique et neuromusculaire. Les examens médicaux effectués les 24 juin 2013, 27 novembre 2013 et 27 janvier 2014 au centre hospitalier universitaire de Nancy, puis aux hôpitaux universitaires de Strasbourg ayant finalement conclu à l'absence d'anomalie significative, Mme B... s'est adressée à l'institut " Chiari, Siringomiela et Escoliosis " de Barcelone. A l'issue de l'examen médical du 22 janvier 2014 et de l'analyse de son dossier médical, les médecins espagnols ont diagnostiqué chez la patiente, le 28 janvier 2014, un syndrome de traction médullaire, une scoliose idiopathique, une hernie cervicale C4-C5 et C5-C6, une hernie discale lombaire L4-L5 et L5-S1 avec fracture-luxation sacro-coccygienne. La requérante a fait l'objet de deux interventions chirurgicales, à Barcelone, les 4 mars 2014 et 3 novembre 2015, la première consistant en une section du filum terminal, la seconde en une discectomie des hernies cervicales et lombaires. Ces deux interventions ont conduit à une amélioration significative de l'état de santé de Mme B..., notamment sur le plan locomoteur. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier universitaire de Nancy et des hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser la somme totale de la somme totale de 121 449,24 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des conditions dans lesquelles se sont déroulées les consultations médicales des 24 juin 2013, 27 novembre 2013 et 27 janvier 2014. Elle relève appel du jugement n° 1602147 du 30 novembre 2017, qui rejette sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. L'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ouvre aux caisses de sécurité sociale qui ont servi des prestations à la victime d'un dommage corporel un recours subrogatoire contre le responsable de ce dommage. Le huitième alinéa de cet article prévoit notamment : " L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement. (...) ". En application de ces dispositions, il incombe au juge administratif, saisi d'un recours indemnitaire de la victime contre une personne publique regardée comme responsable du dommage, de mettre en cause les caisses auxquelles la victime est ou était affiliée. Le défaut de mise en cause de la caisse entache la procédure d'irrégularité.

3. Il résulte de l'instruction que le tribunal administratif de Nancy, saisi de la demande de Mme B... dirigée contre le centre hospitalier universitaire de Nancy et les hôpitaux universitaires de Strasbourg et tendant à la condamnation solidaire de ces deux établissements à réparer les préjudices résultant des conditions dans lesquelles se sont déroulées les consultations médicales des 24 juin 2013, 27 novembre 2013 et 27 janvier 2014 et des erreurs de diagnostic qui en sont résultées, a omis de mettre en cause d'office la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle aux fins de l'exercice éventuel par celle-ci de l'action instituée à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Par suite, le jugement de première instance, qui est entaché d'irrégularité du fait de cette omission, doit être annulé. La cour ayant, dans la présente instance, mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de Mme B....

Sur la demande de Mme B... :

4. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. L'expert peut se voir confier une mission de médiation. Il peut également prendre l'initiative, avec l'accord des parties, d'une telle médiation. Si une médiation est engagée, il en informe la juridiction. Sous réserve des exceptions prévues par l'article L. 213-2, l'expert remet son rapport d'expertise sans pouvoir faire état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation. ".

5. Il résulte de l'instruction que l'état du dossier ne permet pas à la cour de déterminer si les erreurs de diagnostic qui auraient été commises lors des consultations médicales des 24 juin 2013, 27 novembre 2013 et 27 janvier 2014 ont revêtu, dans les circonstances de l'espèce, un caractère fautif et, par voie de conséquence, de statuer sur les conclusions à fin d'indemnisation présentées par la requérante. Par suite, il y a lieu d'ordonner avant dire droit une mesure d'expertise médicale aux fins précisées ci-après.

D E C I D E

Article 1er : Le jugement n° 1602147 du tribunal administratif de Nancy du 30 novembre 2017 est annulé.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la requête de Mme B..., procédé par un expert, désigné par la présidente de la cour, à une expertise avec pour mission :

1°) de déterminer si des erreurs de diagnostic ont été commises lors des consultations médicales des 24 juin 2013, 27 novembre 2013 et 27 janvier 2014 et, en cas de réponse positive, si ces erreurs de diagnostic ont revêtu, dans les circonstances de l'espèce, un caractère fautif ;

2°) de déterminer et d'évaluer les préjudices résultant des fautes éventuellement commises ;

3°) de fournir à la cour tous éléments utiles à la solution du litige.

Article 3 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert se fera communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme B... et pourra entendre toute personne du service hospitalier ayant participé aux consultations des 24 juin 2013, 27 novembre 2013 et 27 janvier 2014.

Article 4 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre Mme B..., le centre hospitalier universitaire de Nancy, les hôpitaux universitaires de Strasbourg et la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.

Article 5 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative ; il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour ; il déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la cour dans sa décision le désignant.

Article 6 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 7 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B..., au centre hospitalier universitaire de Nancy, aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg et à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.

Copie en sera adressée à l'expert désigné.

N° 18NC00227 2


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Procédure - Instruction - Moyens d'investigation - Expertise - Recours à l'expertise.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation.


Références :

Publications
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 23/07/2020
Date de l'import : 29/07/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18NC00227
Numéro NOR : CETATEXT000042150991 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-07-23;18nc00227 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award