Vu la procédure suivante :
Par un arrêt du 10 décembre 2019, la cour a, sur la requête de Mme D... E..., enregistrée sous le n° 17NC02744 et tendant à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Besançon à lui verser une somme, qui sera chiffrée après le dépôt des conclusions de l'expert, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des séquelles causées par une curiethérapie, ordonné avant dire droit une expertise médicale.
Le rapport d'expertise été enregistré au greffe de la cour le 12 mars 2020.
Par un mémoire complémentaire, enregistré le 19 mai 2020, le centre hospitalier régional universitaire de Besançon, représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la requérante d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que, compte tenu des conclusions de l'expertise contradictoire effectuée le 6 mars 2020, les prétentions indemnitaires de Mme E... ne sont pas fondées.
Par un mémoire complémentaire, enregistré le 26 mai 2020, Mme D... E..., représentée par Me C..., persiste dans ses précédentes écritures et chiffre le montant de son préjudice à la somme de 3 000 euros.
Par un mémoire complémentaire, enregistré le 27 mai 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête, à sa mise hors de cause, au rejet de toute demande des tiers payeurs qui serait dirigée contre elle et à la condamnation de la partie succombante aux dépens.
Il soutient qu'aucune demande n'est dirigée contre elle et que les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies.
Un mémoire, enregistré le 15 juin 2020, a été présenté par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône, qui précise ne demander aucune indemnisation.
Mme E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 octobre 2017.
Vu ;
- l'ordonnance du 3 juin 2020 par laquelle la présidente de la cour a liquidé et taxé les frais de l'expertise ordonnée par l'arrêt du 10 décembre 2019 à la somme de 2 587,66 euros ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Meisse, premier conseiller
- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur le bien-fondé du jugement :
1. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. / La volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission. (...) ".
2. En application des dispositions précitées, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. Il suit de là que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la circonstance qu'un risque de décès ou d'invalidité répertorié dans la littérature médicale ne se réalise qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de le porter à la connaissance du patient. La faute commise par les praticiens d'un hôpital au regard de leur devoir d'information du patient n'entraîne pour ce dernier que la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance.
3. Il résulte de l'instruction, spécialement des rapports des expertises médicales des 20 septembre 2015 et 6 mars 2020, qu'il n'existe aucune trace au dossier de Mme E... d'une éventuelle information de la patiente sur les risques induits par la radio-chimiothérapie et la curiethérapie, mises en oeuvre pour le traitement de sa tumeur maligne, sur ses fonctions urinaires et rectales, ainsi que sur sa vie sexuelle. Si ce défaut d'information est constitutif d'une faute, il résulte du rapport de l'expertise du 20 septembre 2015 que les possibilités pour l'intéressée de se soustraire au traitement paraissaient faibles, sauf à prendre un risque vital à court terme, précédé de troubles fonctionnels et de douleurs nettement supérieurs à ceux existants aujourd'hui. Le rapport de l'expertise du 6 mars 2020 précise que la curiethérapie utéro-vaginale et les traitements subséquents, réalisés après le traitement initial par radio-chimiothérapie, ont été effectués conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science médicale, qu'ils étaient indispensables au regard de l'état de santé de la patiente et que celle-ci n'avait pas de possibilité raisonnable de les refuser en raison du risque très élevé de progression tumorale locale ou métastasique et des conséquences d'une telle progression sur sa survie à court terme. Dans ces conditions, ainsi que le relève expressément le dernier expert, le manquement des médecins à leur obligation d'information n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, fait perdre à l'intéressée une chance de refuser l'intervention et d'échapper ainsi à ses conséquences dommageables.
4. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques encourus ouvre pour celui-ci, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. Si Mme E... n'apporte aucun élément permettant d'établir la réalité et l'ampleur du préjudice d'impréparation qu'elle allègue avoir subi, en revanche, la souffrance morale qu'elle a endurée lorsqu'elle a découvert, sans y avoir été préparée, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à l'intéressée la somme de 3 000 euros.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation du préjudice tiré du manquement du centre hospitalier régional universitaire de Besançon à son obligation d'information des risques induits par le traitement du carcinome dont elle était atteinte et qu'il y a lieu de condamner le centre hospitalier à verser à la requérante la somme de 3 000 euros.
Sur les conclusions à fin d'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 2 587,66 euros par ordonnance du 3 juin 2020 de la présidente de la cour à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Besançon.
Sur les frais de justice :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de Mme E..., qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par le centre hospitalier régional universitaire de Besançon au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. En revanche, la requérante ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 octobre 2017, son avocate peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Besançon le versement au bénéfice de Me C..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le centre hospitalier régional universitaire de Besançon versera à Mme E... la somme de 3 000 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1601338 du tribunal administratif de Besançon du 19 septembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier régional universitaire de Besançon versera à Me C..., conseil de Mme E..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier régional universitaire de Besançon en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 2 587,66 euros par ordonnance du 3 juin 2020 sont mis à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Besançon.
Article 7 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est mis hors de cause.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., au centre hospitalier régional universitaire de Besançon, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute Saône.
N° 17NC02744 4