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02/07/2020 | FRANCE | N°18NC01547

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 02 juillet 2020, 18NC01547


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le département du Doubs à lui verser la somme totale de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des agissements de harcèlement moral dont elle aurait été victime à compter du mois de septembre 2013, du manquement de la collectivité, en ce qui la concerne, à son obligation d'assurer la sécurité et la protection de la santé de ses agents et de la méconnaissance de ses droits statutaires. >
Par un jugement n° 1600591 du 29 mars 2018, le tribunal administratif de Besanç...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le département du Doubs à lui verser la somme totale de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des agissements de harcèlement moral dont elle aurait été victime à compter du mois de septembre 2013, du manquement de la collectivité, en ce qui la concerne, à son obligation d'assurer la sécurité et la protection de la santé de ses agents et de la méconnaissance de ses droits statutaires.

Par un jugement n° 1600591 du 29 mars 2018, le tribunal administratif de Besançon a condamné le département du Doubs à verser à Mme D... la somme de 4 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 mai 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 19 février 2019, Mme C... D..., représentée par Me E..., doit être regardée comme demandant à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1600591 du tribunal administratif de Besançon du 29 mars 2018 en tant qu'il limite à 4 000 euros le montant de son indemnisation ;

2°) de condamner le département du Doubs à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge du département du Doubs la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le département du Doubs a manqué, en ce qui la concerne, à son obligation d'assurer la sécurité et la protection de la santé de ses agents ;

- le département du Doubs a porté atteinte, à plusieurs reprises, à ses droits statutaires ;

- elle est victime de faits constitutifs d'un harcèlement moral depuis le mois de septembre 2013 ;

- la somme de 4 000 euros allouée par les premiers juges est insuffisante ;

- elle est fondée à réclamer la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices subis.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 novembre 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 18 décembre 2019, le département du Doubs, représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme D... de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun faut constitutif de harcèlement moral ne peut lui être reproché.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Attachée territoriale, Mme C... D... a été recrutée le 4 décembre 2006 par le département du Doubs. Après avoir occupé successivement les postes de chef de service aux affaires générales à la maison départementale des personnes handicapées et de chef du bureau administratif à la direction des routes et des infrastructures, elle a été affectée, à compter du 25 avril 2013, à la direction de l'enfance et de la famille au sein du service du mode d'accueil de la petite enfance, en qualité de coordinatrice des structures d'accueil et des modes de garde. Confrontée à des conditions de travail difficiles, elle a été placée en arrêt de travail, du 23 mars au 24 mai 2014, pour " surmenage professionnel et état anxio-dépressif ". A l'issue de ce congé, elle a été invitée par sa hiérarchie à effectuer une mobilité au sein de la collectivité et a effectué, à compter de juillet 2014, différentes missions temporaires au sein successivement de la direction des ressources humaines et des moyens généraux, du secrétariat général et de la direction de l'insertion. Depuis mai 2016, elle occupe un poste pérenne de chargée de mission en ingénierie sociale au sein de la direction de l'enfance et de la famille dans le cadre d'un temps partiel thérapeutique. Reprochant à la collectivité de s'être livrée à son encontre à des agissements de harcèlement moral, d'avoir manqué, en ce qui la concerne, à son obligation d'assurer la sécurité et la protection de la santé de ses agents et d'avoir porté atteinte à ses droits statutaires, Mme D... a, le 12 octobre 2015, adressé à la présidente du conseil départemental du Doubs une demande préalable d'indemnisation, qui a été rejetée le 25 février 2016. La requérante a saisi le tribunal administratif de Besançon d'une demande tendant à la condamnation du département à lui verser la somme totale de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Elle relève appel du jugement n° 1600591 du 29 mars 2018 en tant qu'il limite le montant de son indemnisation à 4 000 euros et rejette le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

2. En premier lieu, Mme D... dénonce le retard mis par le département du Doubs à allouer des moyens humains supplémentaires à son service, malgré l'insuffisance des effectifs, l'accroissement de la charge de travail à compter d'octobre 2013 du fait de l'afflux prévisible des demandes de renouvellement des agréments d'assistante maternelle, ses demandes répétées en ce sens, sa détresse psychologique et celle de plusieurs autres agents placés sous son autorité. Elle reproche également au département de l'avoir laissée, à l'issue de son arrêt de travail du 23 mars au 24 mai 2014 pour " surmenage professionnel et état anxio-dépressif ", sans affectation, puis de l'avoir affectée, entre juillet 2014 et avril 2016, sur des missions non pérennes, dont certaines ne correspondaient pas à celles dévolues à un agent de catégorie A. En l'absence de toute contestation du département sur ces deux points et au vu des éléments du dossier, de tels agissements sont constitutifs de manquements fautifs de la collectivité, tant au regard de son obligation d'assurer la sécurité et la protection de la santé physique et mentale des agents que dans la gestion de la carrière de la requérante, qui engagent sa responsabilité.

3. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction et, notamment, des échanges de courriels des 6 et 7 février 2014 versés aux débats que Mme D... aurait, malgré sa qualité de chef de service, été tenue à l'écart de l'évaluation de plusieurs agents de son service. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que la requérante, qui a accepté d'effectuer une mobilité au sein de la collectivité à l'issue de son arrêt de travail, aurait fait l'objet d'une mutation d'office dans l'intérêt du service, mise en oeuvre dans des conditions irrégulières. Enfin, si l'intéressée fait encore valoir que son poste de coordinatrice des structures d'accueil et des modes de garde aurait été proposé à un autre agent alors qu'elle était en congé de maladie, que sa messagerie électronique aurait été manipulée pendant ce même congé afin d'informer ses interlocuteurs de son absence, que la direction des ressources humaines ne l'aurait pas accompagnée dans sa recherche d'un poste de catégorie A, qu'elle s'est trouvée dans l'impossibilité de participer à la bourse de mobilité organisée par son employeur en 2015, que son indemnité d'exercice des missions des préfectures aurait été diminuée en décembre 2014 en raison des difficultés rencontrées dans l'exercice de ses missions et, enfin, qu'elle n'a pas bénéficié d'avancement de carrière depuis 2012, de telles circonstances, à les supposer établies, ne sont pas constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité du département du Doubs.

4. En troisième et dernier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".

5. Il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements, dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent, auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements, et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé. Pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

6. Contrairement aux allégations de Mme D..., la seule circonstance que le département du Doubs ait tardé à allouer à son service des moyens humains supplémentaires, malgré les difficultés auxquelles elle était confrontée et ses alertes répétées, ne suffit pas à faire présumer l'existence à son endroit d'agissements de harcèlement moral. De même, alors que le compte rendu de la réunion du 11 mars 2014 relève que certains dysfonctionnements affectant ce service lui étaient directement imputables, il ne résulte pas de l'instruction que sa hiérarchie aurait cherché à l'isoler ou à remettre injustement en cause ses compétences. Par ailleurs, s'il est vrai que Mme D... a occupé pendant presque deux ans des emplois temporaires, qui ne correspondaient pas toujours à son grade, il est constant que, au cours de la période considérée, son employeur, qui fait valoir avoir tenté de lui redonner confiance et de relancer sa carrière après son expérience professionnelle malheureuse au sein du service du mode d'accueil de la petite enfance, lui a également confié des missions de catégorie A, telles que l'élaboration de trois cahiers des charges concernant des projets de formation ou la réalisation d'un bilan de situation des procédures de contrôle de l'attribution du revenu de solidarité active. Dans ces conditions et alors même que la requérante a, à plusieurs reprises, été placée en arrêt de travail en raison d'un état anxio-dépressif, les éléments mis en avant par l'intéressée ne permettent pas faire présumer l'existence d'un harcèlement moral imputable au département du Doubs. Par suite, aucune faute ne peut être reprochée à la collectivité à ce titre.

En ce qui concerne le montant de la réparation :

7. Eu égard à la nature des deux fautes retenues contre le département du Doubs et aux circonstances dans lesquelles elles ont été commises, les premiers juges ont suffisamment apprécié le préjudice moral de Mme D... en lui allouant une somme globale de 4 000 euros.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a limité le montant de son indemnisation à la somme de 4 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Sur les frais de justice :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du département du Doubs, qui n'est pas partie perdante dans cette instance, la somme réclamée par Mme D... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la requérante la somme réclamée par le défendeur en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le département du Doubs en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me E... pour Mme C... D..., en application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée et au département du Doubs.

N° 18NC01547 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC01547
Date de la décision : 02/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : SCP LEVY GOSSELIN MALLEVAYS SALAUN

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-07-02;18nc01547 ?
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