Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Pierre Lembo a demandé au tribunal administratif de Nancy, à titre principal, de condamner la métropole du Grand Nancy à lui verser la somme de 41 054,40 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre des travaux qu'elle a réalisés et, à titre subsidiaire, de désigner un expert afin de déterminer si les travaux en litige étaient indispensables au respect des règles de l'art.
Par un jugement n° 1602640 du 18 septembre 2018, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 novembre 2018, la SAS Pierre Lembo, représentée par la SCP Oriens Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 18 septembre 2018 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) à titre principal, de condamner la métropole du Grand Nancy à lui verser la somme de 41 054, 40 euros TTC au titre des travaux qu'elle a réalisés ;
3°) à titre subsidiaire, de désigner avant dire droit un expert afin de dire si une épaisseur plus importante des marches d'escalier était indispensable pour respecter les règles de l'art ;
4°) de mettre à la charge de la métropole du Grand Nancy la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa réclamation est recevable ;
- elle doit être regardée comme contestant le décompte général qui n'est, en conséquence, pas devenu définitif ;
- elle a droit à être indemnisée au titre des travaux qu'elle a réalisés qui étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art, d'autant que la modification qu'elle a proposée a été validée sur le plan technique ;
- aucune compensation ne peut être appliquée avec les pénalités de retard ;
- la collectivité n'est pas fondée à demander une majoration de retard non reprise dans le décompte général du marché ;
- la collectivité et le maître d'oeuvre sont responsables du retard des travaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mai 2019, la métropole du Grand Nancy, représentée par Me B..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que la société Arcadis ESG, prise tant en son nom personnel qu'en sa qualité de mandataire du groupement de maîtrise d'oeuvre, soit condamnée à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être mises à sa charge, à titre plus subsidiaire, à ce qu'une compensation soit opérée entre les sommes dues et les pénalités d'un montant de 12 500 euros et, enfin, à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SAS Pierre Lembo sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'existence d'une instance devant le tribunal, antérieure à la notification du décompte général du marché, ne dispensait pas la société Lembo de présenter un mémoire en réclamation ;
- le décompte du marché est devenu définitif et la demande de la société requérante est irrecevable ;
- elle est fondée à demander la condamnation du maître d'oeuvre, qui a rédigé les stipulations contractuelles, en cas de condamnation mise à sa charge ;
- le montant des pénalités de retard devra être déduit de l'indemnité qui sera, le cas échéant, accordée à la société Lembo ;
- les autres moyens soulevés par la SAS Pierre Lembo ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2019, la société Arcadis ESG, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SAS Pierre Lembo sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de la société Lembo est irrecevable ;
- la circonstance qu'elle a présenté un mémoire en réclamation en cours d'exécution du marché et a saisi le tribunal est sans incidence sur l'irrecevabilité de sa demande en l'absence de contestation du décompte général dans les délais prévus par le CCAG Travaux ;
- les autres moyens soulevés par la SAS Pierre Lembo ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C..., présidente assesseur,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me A... pour la société Arcadis ESG.
Considérant ce qui suit :
1. La communauté urbaine du Grand Nancy, aux droits de laquelle vient la métropole du Grand Nancy, a engagé une opération de restructuration de l'espace Thiers comprenant le parking en infrastructure et les voiries adjacentes de la place Thiers. Par une convention du 26 novembre 2010, la maîtrise d'ouvrage déléguée de cette opération a été attribuée à la société Solorem. Par un acte d'engagement du 30 décembre 2009, la maîtrise d'oeuvre de cette opération a été confiée à un groupement solidaire composé de la société Arcadis, mandataire commun, de la société AREP, de la société ELB-Architecture, de la société SEFIBA, de la société SCP Economie et de M. D..., paysagiste. Par un acte d'engagement du 4 janvier 2013, la société Pierre Lembo s'est vu attribuer le lot n°10 " revêtements durs " de ce marché pour un montant initial de 88 532, 40 euros hors taxes (HT), ramené à 65 185,40 euros HT par un avenant n°1 du 17 août 2015. En cours d'exécution des travaux, la société Lembo a appelé l'attention du maître d'oeuvre sur la faible épaisseur des marches de l'escalier en pierre composite, insuffisante pour assurer la sécurité des usagers en raison d'un risque de rupture. Le 30 septembre 2015, elle a adressé un devis pour un montant de 34 212 euros HT, soit 41 054, 40 euros TTC à la métropole du Grand Nancy correspondant à la réalisation de marches en pierre composite ou béton de résine de 8 centimètres (cm) d'épaisseur au lieu des 5 cm prévus par le contrat. En l'absence de réponse du maître d'ouvrage, la société Lembo a demandé au maître d'ouvrage, par un mémoire en réclamation du 8 avril 2016, le paiement de la somme de 41 054, 40 euros TTC. Le silence gardé par le maître d'ouvrage sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. Par un jugement du 18 septembre 2018, dont la société Lembo relève appel, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur la recevabilité de la demande de la société Lembo :
2. L'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux, dans sa version résultant de l'arrêté du 8 septembre 2009 applicable en l'espèce en vertu de l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières du marché litigieux, stipule que : " Dans un délai de quarante-cinq jours compté à partir de la notification du décompte général, le titulaire renvoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'oeuvre, le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché (...) ". Selon l'article 13.4.5 du même cahier : " 13.4.5. Dans le cas où le titulaire n'a pas renvoyé le décompte général signé au représentant du pouvoir adjudicateur, dans le délai de quarante-cinq jours fixé à l'article 13.4.4, ou encore, dans le cas où, l'ayant renvoyé dans ce délai, il n'a pas motivé son refus ou n'a pas exposé en détail les motifs de ses réserves, en précisant le montant de ses réclamations comme indiqué à l'article 50.1.1, ce décompte général est réputé être accepté par lui ; il devient alors le décompte général et définitif du marché. ". L'article 50.1 relatif au mémoire en réclamation du CCAG Travaux stipule que : " 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'oeuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'oeuvre. / Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte général. / Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif. / 50.1.2. Après avis du maître d'oeuvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation. / 50.1.3. L'absence de notification d'une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire. ".
3. L'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. L'ensemble des conséquences financières de l'exécution du marché sont retracées dans ce décompte même lorsqu'elles ne correspondent pas aux prévisions initiales. En outre, il résulte des stipulations précitées du cahier des clauses administratives générales de 2009 qu'il incombe au titulaire du marché de reprendre, dans un mémoire en réclamation produit à la suite de la notification du décompte général dans les délais contractuels, les réclamations formulées antérieurement et qui n'ont pas encore fait l'objet d'un règlement définitif. A défaut du respect de ces stipulations, le décompte général devient définitif, nonobstant l'existence d'un litige pendant devant le juge administratif.
4. D'une part, il résulte de l'instruction que, la société Lembo a adressé un mémoire en réclamation au maître d'ouvrage et à la société Solorem, le 8 avril 2016, en cours d'exécution du marché. Elle demandait en particulier le paiement de la somme de 41 054, 40 euros TTC au titre des travaux supplémentaires qu'elle estime avoir dû réaliser en raison de la modification de l'épaisseur des marches d'escalier. En l'absence de réponse de la métropole du Grand Nancy, la société Lembo a introduit sa demande tendant au paiement de cette somme devant le tribunal administratif de Nancy, le 25 août 2016,
5. D'autre part, le décompte général du lot n°10 a été notifié à la société Lembo, le 17 juillet 2017, postérieurement à l'introduction de sa demande devant le tribunal administratif de Nancy. Ce décompte ne reprenait pas la demande de la société Lembo au titre des travaux supplémentaires. Cependant, il ne résulte pas de l'instruction que la société Lembo a contesté ce décompte en adressant un mémoire en réclamation au maître d'ouvrage dans le délai de 45 jours prévu par les stipulations du CCAG de 2009 citées au point 2. Si la société Lembo fait valoir qu'elle a contesté, dans ses écritures devant le tribunal, l'absence de reprise de sa demande au titre des travaux supplémentaires, que le mémoire en réclamation du 8 avril 2016 permet au juge administratif de se prononcer en toute connaissance de cause et qu'elle doit être regardée comme contestant le décompte général, ses écritures devant le tribunal administratif de Nancy ne sauraient valoir mémoire en réclamation sur le décompte général du marché au sens des stipulations du CCAG de 2009 citées au point 2.
6. Par suite, le décompte du lot n°10 " revêtements durs " du marché de restructuration de l'espace Thiers à Nancy étant devenu définitif, la demande de la société Lembo présentée devant le tribunal administratif de Nancy était, en conséquence, irrecevable.
7. Il résulte de ce qui précède que la société Lembo n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Sa requête doit, en conséquence, être rejetée.
Sur les conclusions présentées par la voie de l'appel incident et de l'appel provoqué par la métropole du Grand Nancy :
8. Le présent arrêt fait droit aux conclusions présentées à titre principal par la métropole du Grand Nancy en défense. Par suite, il n'y a pas lieu d'examiner les conclusions qu'elle présente par la voie de l'appel incident tendant à ce que les pénalités de retard d'un montant de 12 500 euros retenues par le décompte général soient déduites des sommes à verser à la société Lembo qui pourraient être mises à sa charge.
9. En l'absence de condamnation de la métropole du Grand Nancy, les conclusions qu'elle présente, par la voie de l'appel provoqué, tendant à ce que la société Arcadis ESG soit condamnée, en son nom personnel et en sa qualité de mandataire du groupement de maîtrise d'oeuvre, à la garantir des sommes qui pourraient être mises à sa charge, doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la métropole du Grand Nancy, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Lembo demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Lembo le versement de la somme de 1 000 euros chacune à la métropole du Grand Nancy et à la société Arcadis ESG sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SAS Pierre Lembo est rejetée.
Article 2 : La SAS Lembo versera respectivement à la métropole du Grand Nancy et à la société Arcadis ESG une somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Pierre Lembo, à la métropole du Grand Nancy et à la société Arcadis ESG.
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N°18NC02972