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11/06/2020 | FRANCE | N°18NC02695-18NC02696

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 11 juin 2020, 18NC02695-18NC02696


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 5 août 2018 par lequel le préfet des Ardennes lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an, d'enjoindre au préfet des Ardennes de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de r

etard, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 5 août 2018 par lequel le préfet des Ardennes lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an, d'enjoindre au préfet des Ardennes de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par jugement n° 1802203 du 9 août 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé la décision du préfet des Ardennes du 5 août 2018 portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et a rejeté le surplus des conclusions de M. A... B....

Procédure devant la cour :

I- Par une requête enregistrée sous le n° 18NC02695 le 5 octobre 2018, M. A... B..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy du 9 août 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 août 2018 par lequel le préfet des Ardennes lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;

3°) d'enjoindre au préfet des Ardennes, à titre principal, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur de fait et d'erreur de droit dès lors que les services préfectoraux ont à tort considéré qu'il n'était pas établi que les titres de séjour lui auraient été précédemment délivrés ;

- la substitution de base légale à laquelle a procédé le tribunal l'a privé de garantie dès lors qu'il a été essentiellement interrogé par les services de police sur un prétendu trouble à l'ordre public et n'a pas été en mesure de s'expliquer sur les conditions de son entrée en France ;

- le droit d'être entendu préalablement à l'adoption de la décision de retour n'a pas été respecté ;

- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et elle est entachée d'erreur d'appréciation quant à la durée de son séjour en France.

II- Par une requête enregistrée sous le n° 18NC02696 le 5 octobre 2018, M. A... B..., représentée par Me C... demande à la cour :

1°) de surseoir à l'exécution du jugement du 9 août 2018 sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les conditions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative sont réunies ;

- des moyens sérieux d'annulation sont développés dans le recours au fond joint à cette requête.

M. A... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions en date du 18 octobre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Goujon-Fischer premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant marocain, a été interpellé par les services de police du commissariat de Charleville-Mézières le 5 août 2018 pour une infraction au code de la route et a été placé en garde à vue. Par un arrêté du 5 août 2018, le préfet des Ardennes, qui a notamment estimé que son comportement constituait une menace pour l'ordre public, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, sur le fondement des dispositions du 7° du I et du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a fixé son pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire pour une durée d'un an. Par un jugement du 9 août 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et rejeté le surplus des conclusions de M. A... B... contre l'arrêté du 5 août 2018. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre, ce dernier relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de ses conclusions et demande à la cour, dans la même mesure, de surseoir à l'exécution de ce jugement.

Sur la requête n° 18NC02695 :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

2. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celuici peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

3. L'examen du jugement attaqué révèle que si le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a considéré que l'obligation faite à M. A... B... de quitter le territoire français ne pouvait pas légalement être fondée sur la menace pour l'ordre public que constituerait, au sens du 7° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le comportement de l'intéressé, il a accueilli favorablement la demande de substitution de base légale dont il était saisi à l'audience par le représentant de l'administration, en jugeant que cette décision aurait pu être prise sur le fondement du 1° du I du même article, qui permet au préfet de prononcer cette mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français.

4. Il ressort des dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment de son article L. 512-1, que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger l'obligation de quitter le territoire français. Ainsi, aucun texte de valeur législative ou réglementaire ne garantit à un ressortissant étranger, avant l'édiction d'une telle mesure d'éloignement, le droit de présenter des observations sur le motif susceptible de justifier légalement cette mesure. En outre, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

5. Il ressort du procès-verbal de l'audition menée le 5 août 2018 par les services de police du commissariat de Charleville-Mézières dans le cadre de l'interpellation de M. A... B... que celui-ci a pu présenter ses observations sur les conditions de son séjour en France et la perspective d'un retour dans son pays d'origine. Son droit d'être entendu préalablement à la décision d'éloignement prise à son encontre n'impliquait pas qu'il soit mis à même de présenter des observations préalables de façon spécifique sur le fondement textuel susceptible de servir de base légale à cette mesure. Il suit de là que, contrairement à ce que soutient l'appelant, la substitution de base légale à laquelle a procédé le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy n'a pas privé M. A... B... d'une garantie attaché au texte substitué. Dans ces conditions et alors, en outre, que les parties ont été mises en mesure de présenter leurs observations à l'audience sur cette substitution, le jugement attaqué n'est pas irrégulier.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant de la légalité externe de l'arrêté du 5 août 2018 :

6. En premier lieu, l'arrêté du 5 août 2018 énonce les considérations de droit et les éléments de fait propres à la situation personnelle du requérant, sur lesquels le préfet de MeurtheetMoselle a fondé sa décision portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cet arrêté doit être écarté.

7. En deuxième lieu, comme il a dit au point 5, M. A... B... a été mis à même, lors de son audition par les services de police du commissariat de Charleville-Mézières du 5 août 2018 de présenter ses observations sur les conditions de son séjour en France et la perspective d'un retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision lui ayant fait obligation de quitter le territoire français méconnaîtrait son droit à être entendu doit être écarté.

S'agissant de la légalité interne de l'arrêté du 5 août 2018 :

8. En premier lieu, dans son arrêté du 5 août 2018, le préfet des Ardennes a mentionné, d'une part, qu'interpellé par les services de police du commissariat de Charleville-Mézières le même jour, M. A... B... n'avait pas présenté de documents de voyage et n'avait introduit aucune demande de titre de séjour, d'autre part, que l'intéressé n'avait pas exécuté une précédente mesure d'éloignement, prononcée en 2010, et s'était au contraire maintenu en France sans être titulaire d'un premier titre de séjour. Contrairement à ce que soutient le requérant, le préfet n'a en revanche pas indiqué qu'il n'avait introduit aucune demande de titre de séjour, ni qu'aucun titre de séjour ne lui aurait été précédemment délivré. Ainsi, et en tout état de cause, les moyens tirés de ce que ces dernières allégations seraient entachées d'erreur de fait et d'erreur de droit doivent être écartées.

9. En second lieu, si M. A... B... fait valoir qu'il a séjourné plusieurs années en France à compter de 1989, qu'il a de fortes attaches amicales et personnelles sur le territoire français, dont il s'est éloigné peu de temps pour résider en Belgique, alors qu'il ne dispose plus d'attaches familiales au Maroc depuis le décès de ses parents et de sa soeur et qu'il a récemment créé une entreprise de conseil en gestion, il ressort des pièces du dossier que, célibataire et sans enfant, il a quitté la France pour la Belgique en 2009, n'est revenu s'installer en France qu'en 2018, ne justifie de la présence d'aucun membre de sa famille en France et n'apporte aucune précision sur la nature et l'ancienneté des liens personnels qu'ils dit avoir noués. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances, notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre du requérant n'a pas porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Elle n'a dès lors méconnu ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'est entachée d'aucune erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de l'intéressé.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à annuler les décisions du préfet des Ardennes du 5 août 2018 l'obligeant à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et fixant son pays de destination. Les conclusions aux fins d'injonction de M. A... B... doivent être rejetées par voie de conséquence.

Sur la requête n° 18NC02696 :

11. La cour statuant par le présent arrêt sur la requête tendant à l'annulation du jugement de première instance, les conclusions de l'intéressé tendant au sursis à exécution de ce jugement ont perdu leur objet et il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés aux instances :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

13. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes demandées par M. A... B... au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 18NC02696 présentées aux fins de sursis à exécution du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy du 9 août 2018.

Article 2 : La requête n° 18NC02695 et le surplus des conclusions de la requête n° 18NC02696 sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Ardennes.

2

N° 18NC02695, 18NC02697


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC02695-18NC02696
Date de la décision : 11/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : ANNIE LEVI-CYFERMAN - LAURENT CYFERMAN

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-06-11;18nc02695.18nc02696 ?
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