Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer, à titre principal, la décharge, ou, subsidiairement, la réduction de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur le revenu à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2008, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1700187 du 15 février 2018, le tribunal administratif de Nancy, après avoir dit qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme B... à concurrence du dégrèvement de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur le revenu prononcé par le directeur départemental des finances publiques de Meurthe-et-Moselle, au titre de l'année 2008, a, d'une part, réduit la base de l'impôt sur le revenu assignée à Mme B... au titre de l'année 2008, à concurrence de 21 375 euros dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, d'autre part, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 avril 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 3 août 2018, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement du tribunal administratif de Nancy du 15 février 2018 ;
2°) de remettre à la charge de Mme B... les impositions et majorations correspondantes dont la décharge a été prononcée par le jugement attaqué.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé recevable la demande de première instance de Mme B..., la circonstance qu'elle exerce une activité occulte ne pouvant à elle seule entraîner l'application automatique du délai de reprise de dix ans dérogatoire au droit commun ;
- au cas particulier, l'administration a fait usage du droit de reprise triennal de droit commun, et non du droit de reprise exceptionnel de dix ans ;
- ce n'est que dans l'hypothèse où l'administration fiscale fait usage de son droit de reprise de dix ans que le contribuable bénéficie, en application des dispositions de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales, d'un délai spécial de réclamation de dix ans ;
- au cas particulier, le service ne pouvait faire usage du droit de reprise exceptionnel de dix ans, compte tenu de la progressivité de sa mise en place ;
- dès lors que le délai spécial de réclamation dont disposait Mme B... expirait le 31 décembre 2013, tandis que le délai général de réclamation expirait le 31 décembre 2012, sa réclamation contentieuse était tardive ;
- c'est à bon droit que le tribunal administratif a jugé non établie l'existence d'une société de fait entre Mme B... et M. A... pour l'exercice de l'activité d'achat revente de stupéfiants ;
- Mme B... n'établit pas le caractère exagéré de ses impositions, la seule circonstance que soient rapporté, dans le jugement du tribunal correctionnel de Lure du 12 janvier 2010, les allégations de Mme B... relatives à des prélèvements opérés par un intermédiaire ne suffisant pas à établir l'existence de tels prélèvements.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 3 septembre 2018, Mme B..., représentée par Me D..., conclut :
1°) au rejet de la requête du ministre de l'action et des comptes publics ;
2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en qualifiant l'activité de vente de produits stupéfiants d'activité occulte, l'administration s'est placée sous le régime de l'article L. 169 alinéa 2 du livre des procédures fiscales qui lui accorde un droit de reprise de dix ans, de sorte qu'elle bénéficiait d'un délai de dix ans pour présenter sa réclamation, laquelle n'était par conséquent pas tardive ;
- contrairement à ce que soutient le ministre, le délai de reprise de dix ans est applicable au cas particulier ;
- l'administration fiscale ne s'est pas placée dans le cadre du délai de reprise de droit commun de trois ans ;
- la réalité de la société de fait entre M. A... et elle-même est établie ;
- dès lors qu'à défaut de toute comptabilité, ses allégations ont permis de déterminer son bénéfice, celles figurant dans les procès-verbaux d'audition, reprises dans les motifs du jugement du tribunal correctionnel de Lure, ne sauraient être écartées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Di Candia, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... a fait l'objet d'une enquête pénale à l'issue de laquelle elle a été prévenue, notamment, des chefs d'accusation d'importation non déclarée de marchandise prohibée en récidive et de contrebande de marchandise prohibée en récidive. Informée, dans le cadre de l'exercice de son droit de communication, de l'acquisition par Mme B... de stupéfiants en vue de les revendre, l'administration a engagé une vérification de comptabilité de cette activité occulte et illicite. A l'issue de ce contrôle fiscal, et alors que Mme B... a été condamnée le 12 janvier 2010 à une peine de trois ans d'emprisonnement par le tribunal correctionnel de Lure, le vérificateur a évalué d'office les profits retirés de ce trafic à la somme de 65 600 euros au titre de l'année 2008. Mme B... n'ayant pas la qualité d'adhérente à un centre de gestion agréé, l'administration fiscale a multiplié ces bénéfices par le coefficient de 1,25 prévu au 7 de l'article 158 du code général des impôts. La somme ainsi obtenue de 82 000 euros a été imposée dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. La cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle Mme B... a été assujettie a été mise en recouvrement, avec les pénalités dont ces droits ont été assortis, le 30 avril 2010. Mme B... en a demandé la décharge au tribunal administratif de Nancy. En cours d'instance devant le tribunal administratif, acceptant de déterminer les profits de Mme B... sur la base de la quantité d'héroïne retenue par le jugement du tribunal correctionnel de Lure, inférieure à celle retenue dans la proposition de rectification du 24 février 2010, l'administration fiscale a, sur le fondement de l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales, ramené le montant du profit réalisé par Mme B... au titre de l'année 2008 à la somme de 38 000 euros et prononcé un dégrèvement partiel d'un montant de 21 788 euros. Par un jugement n° 1700187 du 15 février 2018, le tribunal administratif de Nancy, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de décharge correspondant au montant du dégrèvement accordé par l'administration fiscale, a prononcé en faveur de Mme B... une décharge supplémentaire au motif que des prélèvements effectués par un intermédiaire n'avaient pas été déduits du montant du bénéfice de Mme B.... Il a en conséquence évalué les profits retirés du trafic de Mme B... au titre de l'année 2008 à la somme de 16 625 euros et a accordé la décharge des droits et pénalités correspondants. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel de ce jugement en tant qu'il a fait droit partiellement aux conclusions de Mme B.... Par la voie de l'appel incident, Mme B... demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande de première instance.
Sur la recevabilité de la demande de Mme B... devant le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales : " Dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations ". Aux termes de l'article L. 169 du même livre, dans sa rédaction applicable au litige : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. / (...) Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite ".
3. Il résulte des dispositions citées au point précédent de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales que le délai de réclamation dont dispose le contribuable est égal au délai de reprise dont a effectivement usé l'administration fiscale à son égard. En conséquence, même si les dispositions de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales précitées prévoient, par exception, un délai spécial de reprise de dix ans lorsque le contribuable exerce une activité occulte, ces dispositions n'ont pas pour effet de porter le délai de réclamation d'un contribuable exerçant une telle activité occulte à dix ans lorsque l'administration a usé de son droit de reprise à son égard dans le délai de droit commun de trois ans. Or, il est constant que l'administration fiscale a mis en oeuvre son droit de reprise à l'égard de Mme B... concernant le trafic auquel elle s'est livrée en 2008 dans le délai de trois ans, la proposition de rectification ayant été régulièrement notifiée à la requérante le 25 février 2010. Dès lors, à supposer même que l'administration ait entendu opposer à Mme B... l'exercice d'une activité occulte, la requérante ne peut utilement soutenir qu'elle disposait d'un délai de réclamation de dix ans.
4. Il résulte de l'instruction que Mme B... a adressé à l'administration fiscale une réclamation préalable tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2008 le 17 novembre 2016. Compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, le délai de réclamation prévue par les dispositions de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales expirait le 31 décembre 2013. Mme B... ne conteste pas, par ailleurs, que le délai de réclamation prévu par les dispositions de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales était également expiré lorsqu'elle a présenté sa réclamation. Dès lors, c'est à bon droit que le ministre opposait en première instance une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la réclamation présentée par Mme B... le 17 novembre 2016 au regard du délai prévu par les dispositions précitées. Par suite, la requête présentée par l'intéressée devant le tribunal administratif de Nancy était irrecevable.
5. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a prononcé au profit de Mme B... une décharge, en droits et pénalités, d'une partie de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2008 correspondant à une réduction de sa base d'imposition de 21 375 €, d'autre part a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu de réformer en ce sens ledit jugement. En revanche, par la voie de l'appel incident, Mme B... n'est quant à elle pas fondée à demander l'annulation du même jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande de première instance.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens ou la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par suite, la demande présentée par Mme B... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doit être rejetée.
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 1700187 du tribunal administratif de Nancy du 15 février 2018 sont annulés.
Article 2 : La cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle Mme B... a été assujettie au titre de l'année 2008 et les pénalités correspondantes, dont le tribunal administratif a prononcé la décharge, sont remises à sa charge.
Article 3 : Les conclusions de Mme B... devant le tribunal administratif de Nancy, à l'exception de celles visées à l'article 1er dudit jugement, ainsi que l'ensemble de ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à Mme B....
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N° 18NC01189