Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 13 mars 2018 et des mémoires enregistrés le 17 janvier 2019 et le 12 avril 2019, la société Cinéma du Colisée, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler la décision de la Commission nationale d'aménagement cinématographique rejetant le recours formé par elle contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique du Doubs du 8 septembre 2017 autorisant la SAS Lumina 2000 à procéder à l'extension du cinéma Mégarama d'Audincourt par la création de 4 salles et 520 places supplémentaires ;
2°) d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement cinématographique de réexaminer son recours dans un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a pas été entendue par la Commission nationale d'aménagement cinématographique en méconnaissance de l'article R. 212-7-28 du code du cinéma et de l'image animée alors même que son recours aurait été tardif ;
- ce recours a en réalité été introduit dans le délai imparti par l'article L. 212-10-3 du code du cinéma et de l'image animée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 janvier 2019 et le 30 janvier 2019, la Commission nationale d'aménagement cinématographique, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Cinéma du Colisée le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le délai de recours ouvert à la société requérante contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique du Doubs expirait le 22 octobre 2017 de sorte que le recours déposé le 23 octobre 2017 au secrétariat de la commission était tardif ;
- au demeurant, en l'absence de transmission par courrier recommandé avec accusé de réception, la société requérante n'établit pas la réception du recours à la date du 23 octobre 2017 ;
- en application de l'article R. 212-7-22 du code du cinéma et de l'image animée, la société requérante devait justifier de la recevabilité de son recours, notamment en termes de délai, ce qu'elle n'a pas fait ;
- la société requérante ne justifie pas que la décision attaquée ainsi que l'ensemble des annexes étaient jointes à son recours ;
- aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à la commission d'organiser une procédure contradictoire préalable avant de rejeter le recours de la société requérante pour irrecevabilité ;
- l'article R. 212-7-28 du code du cinéma et de l'image animée, qui ouvre la possibilité à l'auteur d'un recours d'être entendu par la Commission nationale n'est applicable que si le recours n'est pas tardif ;
- le vice de procédure invoqué n'est pas susceptible d'avoir influencé le sens de la décision attaquée ou d'avoir effectivement privé la requérante d'une garantie.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du cinéma et de l'image animée ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant la SAS Lumina 2000.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 8 septembre 2017, la commission départementale d'aménagement cinématographique du Doubs a fait droit à la demande d'autorisation d'exploitation cinématographique déposée par la SAS Lumina 2000 pour l'extension du Mégarama d'Audincourt par la création de 4 salles et 520 places supplémentaires, 8 B rue du Docteur Duvernoy à Audincourt. La société Cinéma du Colisée a formé un recours contre cette décision devant la Commission nationale d'aménagement cinématographique. Par décision non datée, notifiée à la société Cinéma du Colisée le 18 janvier 2018, qui constitue la décision attaquée, la Commission nationale d'aménagement cinématographique a rejeté ce recours comme irrecevable.
Sur la légalité de la décision attaquée :
2. Aux termes de l'article L. 212-10-3 du code du cinéma et de l'image animée : " A l'initiative (...) de toute personne ayant intérêt à agir, la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique peut, dans un délai d'un mois, faire l'objet d'un recours devant la Commission nationale d'aménagement cinématographique. / La Commission nationale d'aménagement cinématographique se prononce dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine (...) ". Aux termes de l'article R. 212-7-18 du même code : " La décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique est : (...) 2° Affichée, à l'initiative du préfet, pendant un mois à la porte de la mairie de la commune d'implantation. (...) L'exécution de la formalité prévue au 2° fait l'objet d'une mention au recueil des actes administratifs de la préfecture (...) ". Aux termes de l'article R. 212-7-19 de ce code : " Lorsque la décision accorde l'autorisation demandée, le préfet fait publier, aux frais du bénéficiaire, un extrait de cette décision dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans le département (...) ". Aux termes de l'article R. 212-7-24 du même code : " Le délai de recours d'un mois prévu à l'article L. 212-10-3 du code du cinéma et de l'image animée court : (...) 4° Pour toute autre personne ayant intérêt à agir : (...) b) Si le recours est exercé contre une décision d'autorisation, à compter de la plus tardive des mesures de publicité prévues aux articles R. 212-7-18 et R. 212-7-19. / La saisine de la Commission nationale d'aménagement cinématographique est un préalable obligatoire à un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. ". Enfin aux termes de l'article R. 212-7-22 de ce code : " Lorsqu'il est introduit par des personnes autres que le préfet ou le médiateur du cinéma, le recours est adressé, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au président de la Commission nationale d'aménagement cinématographique. / Sous peine d'irrecevabilité, le recours est motivé et fait état de l'intérêt à agir de chaque requérant (...) ".
3. D'une part, il résulte des dispositions précitées de l'article R. 212-7-24, que, pour les personnes mentionnées au 4° de cet article, le délai de recours d'un mois contre une décision d'autorisation court à compter de la plus tardive des deux dates correspondant, l'une au premier jour d'une période d'affichage en mairie d'une durée d'un mois, l'autre à la seconde des deux insertions effectuées dans la presse régionale ou locale. D'autre part, dans les cas où ce délai de recours qui n'est pas un délai franc, expire normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant. Enfin, les dispositions précitées de l'article R. 212-7-22 ayant pour objet d'établir la matérialité et la date de réception du recours qu'elles prévoient en imposant à leur auteur de l'adresser au président de la commission nationale par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, il ne peut être dérogé à cette formalité substantielle que par un procédé présentant des garanties équivalentes.
4. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 8 septembre 2017 par laquelle la commission départementale d'aménagement commercial du Doubs a autorisé le projet d'aménagement porté par la SAS Lumina 2000 a, d'une part, été affichée à la mairie de la commune d'Audincourt du 21 juillet au 23 octobre 2017, et, d'autre part, été publiée dans deux journaux de la presse régionale les 18 et 22 septembre 2017. Ainsi, le délai ouvert à la société Cinéma du Colisée pour former un recours contre cette décision d'autorisation devant la Commission nationale d'aménagement cinématographique a commencé à courir le 22 septembre 2017 pour expirer, en principe, le 22 octobre 2017. Ce dernier jour étant un dimanche, le délai de recours a été prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant, soit le lundi 23 octobre 2017 inclus.
5. Il est constant que le recours formé par le conseil de la société Cinéma du Colisée contre la décision de la commission départementale n'a pas été adressé à la commission nationale par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Toutefois, selon les mentions mêmes de la décision attaquée, ce recours a été déposé en mains propres au secrétariat de la commission nationale le 23 octobre 2017 ce qui ressort également de l'examen de ce document qui est revêtu d'un tampon du Centre national du cinéma et de l'image animée, chargé d'assurer ce secrétariat en application de l'article R. 212-6-12 du code du cinéma et de l'image animée. Le dépôt en mains propres de ce recours auprès du secrétariat de la commission nationale qui en a attesté la réception par l'apposition d'un tampon qui en établit la date présente, dans les circonstances de l'espèce, des garanties équivalentes à la formalité prévue par l'article R. 212-7-22 du code du cinéma et de l'image animée et, contrairement à ce que soutient la commission nationale, sa recevabilité n'était subordonnée ni à la justification, par la société Cinéma du Colisée, des éléments nécessaires à la computation du délai de recours, ni à la production d'autres pièces. Il s'en suit que ce recours n'était pas tardif et ne pouvait être légalement déclaré irrecevable pour ce motif.
6. Si le président de la Commission nationale d'aménagement cinématographique soutient également que la société Cinéma du Colisée n'avait pas justifié de son intérêt à agir et que son recours pouvait ainsi légalement être rejeté au regard de ce nouveau motif, il ne produit aucune délibération de la commission nationale sollicitant de la cour une telle substitution de motifs à laquelle, par suite, il ne peut être fait droit. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que l'établissement exploité par la société Cinéma du Colisée est situé dans la zone d'influence du projet porté par la SAS Lumina 2000 ce qui lui conférait un intérêt suffisant pour contester la décision qui l'a autorisé.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que la société Cinéma du Colisée est fondée à demander l'annulation de la décision de la Commission nationale d'aménagement cinématographique qui lui a été notifiée le 18 janvier 2018.
Sur la demande d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".
9. L'exécution du présent arrêt implique que le recours dirigé par la société Cinéma du Colisée contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique du Doubs du 8 septembre 2017 qui a autorisé le projet d'aménagement présenté par la SAS Lumina 2000 soit réexaminé par la Commission nationale d'aménagement cinématographique. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre à cette dernière de procéder à ce réexamen dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
11. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à la société Cinéma du Colisée de la somme de 1 500 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre, par la Commission nationale d'aménagement cinématographique.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision de la Commission nationale d'aménagement cinématographique, notifiée le 18 janvier 2018 à la société Cinéma du Colisée et rejetant son recours contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique du Doubs du 8 septembre 2017 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la Commission nationale d'aménagement cinématographique de réexaminer le recours de la société Cinéma du Colisée dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la société Cinéma du Colisée la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la Commission nationale d'aménagement cinématographique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cinéma du Colisée, à la Commission nationale d'aménagement cinématographique et à la SAS Lumina 2000.
Copie en sera adressée pour information au ministre de la culture et au médiateur du cinéma.
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N° 18NC00702