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04/02/2020 | FRANCE | N°18NC00598

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 04 février 2020, 18NC00598


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône à réparer les préjudices qu'il a subis en raison d'une faute commise lors de sa prise en charge au sein de cet établissement.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'établissement hospitalier à lui rembourser ses débours.

Par un jugement n° 1601853 du 19 décembre 2017, le tribunal

administratif de Besançon a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une req...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône à réparer les préjudices qu'il a subis en raison d'une faute commise lors de sa prise en charge au sein de cet établissement.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'établissement hospitalier à lui rembourser ses débours.

Par un jugement n° 1601853 du 19 décembre 2017, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 mars 2018, M. A... B..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 19 décembre 2017 ;

2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône à lui verser la somme de 50 000 euros au titre des préjudices qu'il a subis ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône une somme de 2 000 euros sur le fondement les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- le centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône a manqué à son obligation d'information en ne l'informant pas des risques que comportait le traitement par laser qu'il a reçu à compter du 5 novembre 2014 ;

- ce défaut d'information lui a fait perdre une chance d'échapper au risque qui s'est réalisé.

Par des mémoires, enregistrés le 18 juin 2018 et le 19 novembre 2019, la caisse primaire de la Haute-Saône a indiqué qu'elle ne souhaitait pas intervenir dans la présente instance.

Par des mémoires, enregistrés le 24 septembre 2018 et le 8 novembre 2019, le centre hospitalier Nord Franche-Comté, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- aucun des moyens invoqués par le requérant n'est fondé ;

- aucune faute n'a été commise dans la prise en charge du requérant ;

- ce dernier n'a pas perdu de chance de se soustraire à l'intervention réalisée sur son oeil gauche ; à titre subsidiaire, le taux de perte de chance est très faible ;

- le requérant ne détaille pas ses chefs de préjudices ;

- le dommage dont il demande réparation est en lien avec son état antérieur.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 février 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., qui est atteint d'une cécité totale de l'oeil droit et qui a subi plusieurs interventions de l'oeil gauche avant son arrivée en France au mois de juillet 2009, a été pris en charge par le service d'ophtalmologie du centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône le 5 novembre 2014 et a subi, le même jour, un traitement par laser de l'oeil gauche afin de résorber l'opacification capsulaire postérieure de cet oeil siliconé. Dans les suites de ce traitement, M. B... a présenté des douleurs et une diminution de son acuité visuelle. Il a recherché la responsabilité du centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône à raison du défaut d'information des risques de l'intervention pratiquée le 5 novembre 2014 et réitérée les 14 et 26 novembre. Il relève appel du jugement du 19 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur la responsabilité du centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône :

2. Lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation. Un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, de sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance.

3. En l'espèce, M. B... a subi, les 5, 14 et 26 novembre 2014, trois interventions par laser sur son oeil gauche aphaque consistant à réaliser une ouverture dans la partie postérieure de la capsule du cristallin, qui était devenue opaque. Ces opérations ont toutefois provoqué le passage, dans la chambre antérieure de cet oeil, d'une partie du silicone présent dans l'oeil et qui avait été posé lors de précédentes interventions. Il ne résulte pas de l'instruction que le patient aurait été informé du risque de passage du silicone en chambre antérieure après capsulotomie qui constitue, selon l'expert qui a diligenté l'expertise ordonnée dans le cadre d'une procédure de référé, " une complication connue, prévisible mais imparable " de l'intervention pratiquée. De plus s'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise qu'il n'existait aucune possibilité thérapeutique moins risquée que cette intervention nécessaire pour prévenir une évolution de l'état de la capsule du cristallin et de la rétine dont l'issue certaine était une quasi cécité, il n'est pas établi que cette cécité serait survenue à très brève échéance. Dans ces conditions, l'intervention pratiquée ne peut être regardée comme ayant été impérieusement requise, de sorte que M. B... ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refuser, ni même de différer cette intervention.

4. L'intéressé est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le défaut d'information fautif ne l'avait pas privé d'une chance d'échapper aux conséquences que comportait le traitement au laser pratiqué sur son oeil gauche.

Sur les préjudices :

5. La faute commise par les praticiens d'un hôpital qui omettent d'informer le patient des risques de décès ou d'invalidité encourus à raison d'un acte médical n'entraîne, pour le patient, que la perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé. La réparation du dommage résultant de cette perte de chance doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice qui tient compte du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'acte médical et, d'autre part, les risques encourus en cas de renonciation à cet acte.

6. En l'espèce, il résulte de l'instruction et notamment du rapport l'expertise que, si le risque de passage de silicone en chambre antérieure est une complication connue et prévisible des interventions subies par M. B..., il n'existait pas d'alternative thérapeutique moins risquée et que l'état de l'intéressé aurait évolué vers la cécité à plus ou moins brève échéance en l'absence de traitement. Dans ces conditions, la chance perdue par le requérant de se soustraire aux conséquences dommageables qui ont résulté de sa prise en charge par le centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône doit être évaluée à 10 %.

7. M. B... doit être regardé comme sollicitant une indemnisation au titre des préjudices de toute nature subis et, notamment, de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que l'intéressé, dont l'état n'était pas consolidé, présentait, à la date de l'expertise, une altération très importante de la rétine avec des chances quasi nulles de récupération visuelle. Il résulte par ailleurs de l'instruction qu'en mars 2013, lors de la dernière évaluation réalisée avant les opérations des 5, 14 et 26 novembre 2014, l'intéressé, alors âgé de 30 ans, présentait une vision de l'oeil gauche inférieure à 1/20, se limitant à la possibilité de compter ses doigts à une distance de 1,50 mètres. Le déficit de vision centrale était par ailleurs associé à une altération importante du champ visuel se caractérisant par une absence de perception au niveau de l'hémichamp supérieur et par une diminution importante de la sensibilité au niveau de l'hémichamp inférieur. M. B..., qui n'exerçait aucune activité professionnelle, indique qu'il bénéficiait d'une certaine autonomie et qu'il pouvait notamment aller chercher ses enfants à l'école. Il sera fait une juste appréciation des préjudices de toute nature et notamment du déficit fonctionnel et du préjudice moral subis par M. B... du fait de la perte de vision qu'il a subie à la suite des interventions litigieuses en les évaluant à la somme totale de 35 000 euros. Par suite et compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu, il y a lieu de condamner le centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône à verser à M. B... une somme de 3 500 euros.

8. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande et, d'autre part, qu'il y a lieu de condamner le centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône à verser à M. B... une somme de 3 500 euros.

Sur les dépens :

9. Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme totale de 1 465,74 euros par ordonnance du président du tribunal administratif de Besançon du 31 mars 2016, sont mis à la charge du centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me D..., avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône le versement à Me D... de la somme de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon n° 1601853 du 19 décembre 2017 est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône est condamné à verser à M. B... la somme de 3 500 euros.

Article 3 : Les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 465,74 euros, sont mis à la charge du centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône.

Article 4 : Le centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône versera à Me D... une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône.

2

N° 18NC00598


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC00598
Date de la décision : 04/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-01-04 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. Existence d'une faute. Manquements à une obligation d'information et défauts de consentement.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Guénaëlle HAUDIER
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : SIMPLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-02-04;18nc00598 ?
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