Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Heppner a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler, d'une part, la décision du 7 avril 2015 de l'inspecteur du travail par intérim de la 2ème section de l'unité territoriale du Bas-Rhin refusant d'autoriser le licenciement de M. E... B... et, d'autre part, la décision implicite, née le 10 octobre 2015, par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 1506937 du 24 janvier 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 février 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 28 octobre 2019, la société Heppner, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 24 janvier 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 7 avril 2015 de l'inspecteur du travail par intérim de la 2ème section de l'unité territoriale du Bas-Rhin ainsi que la décision implicite née du silence gardé pendant plus de quatre mois par le ministre chargé du travail sur son recours hiérarchique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'enquête réalisée par l'inspecteur du travail a été irrégulière dès lors que ce dernier n'a pas auditionné les personnes dont elle avait produit les témoignages ;
- l'inspecteur du travail a considéré à tort que la demande d'autorisation de licenciement avait été présentée pour un motif disciplinaire ;
- les agissements reprochés à M. B... sont établis et ont des répercussions sur le fonctionnement de l'entreprise rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Par un mémoire, enregistré le 21 octobre 2019, M. B..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Heppner une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la demande présentée par la société devant le tribunal administratif était tardive et, par suite, irrecevable ;
- aucun des moyens invoqués par la société requérante n'est fondé ;
- la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec ses mandats.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me F... pour la société Heppner.
Considérant ce qui suit :
1. Le 9 février 2015, la société Heppner a sollicité l'autorisation de licencier M. B..., employé qualifié affecté au service " exploitation messagerie " et, par ailleurs, délégué du personnel titulaire, délégué syndical et membre titulaire du comité d'établissement ainsi que du comité central d'entreprise. La société a fait valoir à l'appui de sa demande que M. B... avait commis des faits qui étaient de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible son maintien dans l'entreprise. Par une décision du 7 avril 2015, l'inspecteur du travail compétent pour statuer sur cette demande a refusé d'autoriser le licenciement de M. B.... Le recours hiérarchique formé par la société contre cette décision a été rejeté par une décision implicite de rejet née le 10 octobre 2015 du silence gardé du ministre chargé du travail pendant plus de quatre mois. La société Heppner relève appel du jugement du 24 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-4 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. (...) ".
3. Il n'est pas contesté qu'au cours de son enquête, l'inspecteur du travail a entendu les deux parties en cause et notamment l'employeur. Contrairement à ce que soutient la société requérante, le caractère contradictoire de l'enquête n'imposait pas à l'inspecteur du travail d'auditionner les salariés qui avaient rédigé les témoignages qu'elle avait produits à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement. Le défaut d'audition de ces témoins n'est ainsi pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie.
4. En deuxième lieu, d'une part, lorsqu'un employeur demande à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier un salarié protégé, il lui appartient de faire précisément état, dans sa demande, des motifs justifiant, selon lui, le licenciement et, d'autre part, l'inspecteur du travail ne peut se fonder sur d'autre motifs que ceux énoncés dans la demande.
5. En l'espèce, l'inspecteur du travail a indiqué, dans la décision litigieuse, qu'il lui appartenait de rechercher si les faits en cause étaient établis et s'ils étaient de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail de M. B..., compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise. Il ressort clairement des termes de la décision litigieuse que l'inspecteur du travail ne s'est pas fondé sur d'autre motifs que ceux énoncés dans la demande d'autorisation de licenciement. Notamment, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, s'il est vrai que, dans la partie de sa décision intitulée " appréciation des faits ", il a relevé qu'une grande partie des faits évoqués étaient antérieurs de plusieurs mois à l'engagement par l'employeur " des poursuites disciplinaires " à l'encontre de M. B..., cette seule mention ne suffit pas à établir que l'inspecteur du travail aurait recherché si les faits reprochés au salarié étaient fautifs, alors au demeurant qu'il n'a tiré aucune conséquence de ladite antériorité sur une éventuelle prescription de ces faits. Par suite, le moyen tiré de ce que l'inspecteur du travail a commis une erreur de droit en se fondant sur un terrain différent de celui invoqué par l'employeur doit être écarté.
6. En troisième lieu, un salarié protégé qui se rend coupable de harcèlement moral sur son lieu de travail méconnaît, y compris lorsque ces actes sont commis dans l'exercice des fonctions représentatives, son obligation de ne pas porter atteinte, dans l'enceinte de l'entreprise, à la santé et à la sécurité des autres membres du personnel, laquelle découle de son contrat de travail. De tels faits sont ainsi, en principe, de nature à constituer le fondement d'une demande de licenciement pour motif disciplinaire. Toutefois, si l'employeur fonde sa demande d'autorisation de licenciement non sur un tel motif disciplinaire mais sur la circonstance que le comportement du salarié est par lui-même, indépendamment de sa qualification de harcèlement, de nature à rendre impossible son maintien dans l'entreprise, il lui appartient d'établir que les répercussions effectives du comportement du salarié sur le fonctionnement de l'entreprise sont, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail, de nature à justifier son licenciement.
7. En l'espèce, plusieurs représentants syndicaux se sont plaints auprès de leur employeur du comportement de M. B... dans l'exercice de ses fonctions syndicales. Il ressort des pièces du dossier et notamment des témoignages produits par la société qu'il existait des conflits entre M. B... et le secrétaire du CHSCT, ainsi qu'entre M. B... et la secrétaire du comité d'établissement, tenant notamment au fonctionnement de ces instances représentatives et aux décisions prises par ces dernières, en particulier s'agissant du choix de la destination d'un voyage organisé par le comité d'établissement. Les deux salariés en cause, qui appartiennent à la même organisation syndicale que M. B..., se sont plaints de critiques incessantes et de remarques désobligeantes et de ce que l'intéressé leur a envoyé de très nombreux courriers électroniques. Ils indiquent tous deux avoir ressenti l'attitude de M. B... comme des faits constitutifs de harcèlement moral. Ce sentiment est corroboré par un courrier du 2 décembre 2014 adressé à la société Heppner dans lequel le médecin du travail indique que trois salariés détenant des mandats syndicaux se sont plaints du comportement de M. B.... Toutefois, à supposer même que ce comportement puisse être assimilé à un harcèlement moral, l'employeur n'a, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, pas fondé sa demande d'autorisation de licenciement sur un motif disciplinaire. Il ressort des pièces du dossier et notamment du témoignage de la secrétaire du comité d'établissement et du courrier du médecin du travail que cette situation conflictuelle a cessé au plus tard à compter du mois de septembre 2014. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces produites par la société Heppner que la perturbation du fonctionnement des institutions représentatives du personnel engendrée par les faits en cause aurait été telle qu'elle aurait rendu indispensable le départ du salarié de l'entreprise. Il n'est ainsi pas établi que les agissements de M. B... auraient été de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé. La société requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'inspecteur du travail et le ministre chargé du travail ont refusé d'autoriser le licenciement de M. B....
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Heppner n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société Heppner au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Heppner une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Heppner est rejetée.
Article 2 : La société Heppner versera à M. B... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Heppner, à M. E... B... et à la ministre du travail.
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N° 18NC00480