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03/12/2019 | FRANCE | N°19NC01798

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 03 décembre 2019, 19NC01798


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Besançon a demandé au tribunal administratif de Besançon de prononcer la récusation de M. A..., expert désigné par ordonnance n° 1700611 du 16 janvier 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Besançon.

Par jugement n° 1900304 du 7 mai 2019, le tribunal administratif de Besançon a prononcé la récusation de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 juin, 18 septemb

re et 11 octobre 2019, la société Demathieu Bard Construction, représentée par Me I..., demande à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Besançon a demandé au tribunal administratif de Besançon de prononcer la récusation de M. A..., expert désigné par ordonnance n° 1700611 du 16 janvier 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Besançon.

Par jugement n° 1900304 du 7 mai 2019, le tribunal administratif de Besançon a prononcé la récusation de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 juin, 18 septembre et 11 octobre 2019, la société Demathieu Bard Construction, représentée par Me I..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ou de réformer le jugement du 7 mai 2019 du tribunal administratif de Besançon ;

2°) d'ordonner la reprise des opérations d'expertise sous l'égide de M. A... ;

3°) à titre subsidiaire, en cas de rejet de sa requête, de renvoyer les parties devant le tribunal administratif de Besançon afin qu'un nouvel expert soit désigné ;

4°) de mettre à la charge du CHRU de Besançon une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'expert a qualité pour présenter des observations dans le cadre de la présente instance ;

- le tribunal administratif a omis de statuer sur la tardivité de la requête ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, notamment sur l'exception tirée de la tardivité de la requête ;

- il est entaché d'erreur de droit, faute de retenir la tardivité de la requête ;

- il est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation, les chefs de récusation étant tardifs et non fondés ;

- M. E... A... doit être regardé comme l'assistant de M. L...-E... A... ;

- l'expert ne fait pas preuve de partialité ;

- les parties à l'expertise ont été informées du dépôt des documents relatifs au plan local d'urbanisme dans la Dropbox, le 8 janvier 2019 au plus tard ;

- l'avocat du centre hospitalier se trouve dans un situation déontologique délicate et se positionne en victime pour dénoncer la prétendue partialité de l'expert ;

- le jugement attaqué est entaché d'erreur de droit, dès lors qu'il ne renvoie pas les parties devant le tribunal administratif pour qu'il soit procédé à la désignation d'un nouvel expert.

M. L...-E... A..., expert, a présenté des observations, enregistrées les 19 juillet, 9 et 12 septembre, 8 et 28 octobre 2019.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2019, la société Fondasol, représentée par Me G..., demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à l'arrêt de la cour.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 août, 3 et 11 octobre 2019, le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Besançon, représenté par Me K..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Demathieu Bard Construction une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la fin de non-recevoir soulevée pour la première fois en appel par M. A... est irrecevable et, en outre, non fondée ;

- il résulte des dispositions de l'article R. 621-4 du code de justice administrative que le juge administratif n'est pas tenu de motiver sa décision dans le cadre d'une procédure de demande de récusation d'un expert judiciaire ;

- le tribunal administratif n'a commis aucune erreur de droit en ne motivant pas son jugement ;

- il résulte clairement de la décision du tribunal administratif que celui-ci s'est prononcé au regard de l'ensemble des écritures des parties, y compris le moyen soulevé par la société Demathieu Bard Construction relatif à la prétendue tardiveté de l'introduction de sa requête en récusation de l'expert judiciaire ;

- la rédaction du jugement confirme implicitement que le tribunal a pris en compte l'ensemble des faits de l'espèce et notamment ceux relatifs à la période à laquelle il a pris connaissance du contenu de la note litigieuse à l'origine de sa demande de récusation ;

- le contenu de la note qu'il a découverte sur la Dropbox démontre que l'expert ne mène pas ses opérations d'expertise lui-même, mais grâce à un tiers, en l'occurrence son père ;

- le père de l'expert, qui réalise un travail d'expertise, n'est pas un sapiteur désigné et n'a aucune compétence ou légitimité pour réaliser l'expertise ;

- cette note démontre que l'expertise n'est pas menée de manière impartiale ;

- la teneur de l'argumentation de l'expert ne fait que confirmer le bien-fondé de sa récusation ;

- l'expert est partial ;

- les questions déontologiques ne relèvent pas de la compétence du tribunal ;

- l'expertise ne porte que sur les modalités contractuelles d'exécution du marché.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 août et 8 octobre 2019, la société Sogea Rhône-Alpes, venant aux droits de la société Sogea Franche-Comté, représentée par Me J..., demande à la cour :

1°) de déclarer irrecevable l'appel incident formé par M. A... ;

2°) de prendre acte de ce qu'elle s'en rapporte à la sagesse de la cour sur la présente requête ;

3°) de prendre acte de ce qu'elle se réserve le droit d'exercer des poursuites indemnitaires avec demande de publication des décisions à intervenir dans l'hypothèse où toute nouvelle accusation, directe ou indirecte, serait portée à son encontre dans le cadre du présent litige ;

4°) de mettre à la charge de la société Demathieu Bard Construction une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle vient aux droits de la société Sogea Franche-Comté, venant elle-même aux droits de la société Verazzi ;

- aux termes de l'article R. 621-6-1 du code de justice administrative, l'expert n'est pas admis à contester la décision le récusant ;

- l'expertise ne peut se poursuivre et s'achever dans des conditions normales de sérénité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 août 2019, la Sarl Philippe Donze, représentée par Me H..., s'en remet à la sagesse de la cour et conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- l'expert n'est pas recevable à contester le jugement qui le récuse ;

- le tribunal n'était pas tenu de motiver son jugement ;

- si elle s'en remet à la sagesse de la cour, aucun motif ne justifie cependant l'annulation du jugement de première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2019, la société AIA architectes ingénieurs associés, la société AIA architectes et la société AIA ingénierie, représentées par Me C..., s'en remettent à la sagesse de la cour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2019, la société CTE, représentée par Me D... B..., s'en remet à la décision de la cour.

Des observations, enregistrées les 26 septembre et 7 octobre 2019, présentées par M. L...-E... A..., n'ont pas été communiquées.

La procédure a été communiquée aux sociétés HGM Ingénierie et Franki Fondation qui n'ont pas produit de mémoire en défense.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le jugement n° 1201770 du 19 juin 2014 du tribunal administratif de Besançon, rectifié par une ordonnance du 2 juillet 2014 ;

- l'arrêt n° 14NC01618 du 19 avril 2016 de la cour administrative d'appel de Nancy ;

- l'ordonnance n° 1401954 du 19 juillet 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Besançon ;

- l'ordonnance n° 16NC01712 du 3 février 2017 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Nancy ;

- l'ordonnance n° 1700611 du 16 janvier 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Besançon désignant M. L...-E... A... en qualité d'expert judiciaire et fixant sa mission ;

- l'ordonnance nos 18NC00263, 18NC00264 du 21 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Nancy modifiant partiellement la mission de M. A....

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F..., présidente-assesseur,

- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,

- les observations de Me I..., représentant la société Demathieu Bard Construction, de Me K..., représentant le Centre hospitalier régional universitaire de Besançon, de Me J..., représentant la société Sogea Rhône Alpes, de Me C..., représentant la société AIA architectes ingénieurs associés, la société AIA architectes et la société AIA ingénierie, en présence de M. L...-E... A....

Une note en délibéré présentée par M. A... a été enregistrée le 25 novembre 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 7 janvier 2011, le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Besançon a confié la conception et la réalisation d'un bâtiment destiné à regrouper l'institut régional fédératif du cancer et ses laboratoires à un groupement d'entreprises ayant pour mandataire la SA Demathieu et Bard, également composé des sociétés AIA architectes ingénierie associés, AIA architectes et AIA ingénierie. Lors de l'exécution des travaux, la société Demathieu et Bard, qui estimait être confrontée à des sujétions techniques imprévues, a demandé au maître d'ouvrage de prendre en charge l'incidence financière en résultant. En dépit de la mise en demeure qui lui avait été adressée le 30 mai 2012, la société Demathieu et Bard a refusé de reprendre les travaux qu'elle avait interrompus dans l'attente de la décision du CHRU de Besançon. Ce dernier a décidé, le 28 juin 2012, de faire exécuter une partie du marché aux frais et risques du groupement attributaire. Ces travaux ont été confiés à l'entreprise générale Verazzi-Campenon Bernard Franche-Comté, aux droits de laquelle vient, en dernier lieu, la société Sogea Rhône-Alpes, par un marché conclu le 23 janvier 2013. Par un jugement du 19 juin 2014, rectifié par une ordonnance du 2 juillet 2014, le tribunal administratif de Besançon a jugé que la procédure d'exécution d'une partie du marché aux frais et risques de l'attributaire était justifiée et a rejeté les demandes de la société Demathieu et Bard tendant au paiement d'une somme de 10 663 055,86 euros hors taxes (HT) et à la décharge des pénalités mises à sa charge pour la somme de 3 597 447,92 euros. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 19 avril 2016 de la cour, devenu définitif.

2. Le CHRU de Besançon a notifié à la société Demathieu Bard Construction, venant aux droits de la SA Demathieu et Bard, le décompte général du marché présentant un solde négatif de 16 229 691,45 euros toutes taxes comprises (TTC) à la charge de l'entreprise. Celle-ci a contesté ce décompte par un mémoire en réclamation du 13 septembre 2016, qui a été rejeté par le maître d'ouvrage le 13 octobre 2016. Par une requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Besançon le 11 avril 2017, la société Demathieu Bard Construction a demandé la condamnation du CHRU de Besançon à lui verser la somme de 7 391 718,58 euros HT dans le cadre du règlement du marché. Sur demande de la société Demathieu Bard Construction, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a, par une ordonnance du 16 janvier 2018, désigné M. L...-E... A... en qualité d'expert judiciaire et prescrit une expertise contradictoire portant sur le décompte général et final du marché, les conditions d'exécution du marché eu égard à la technicité des difficultés rencontrées sur le chantier, l'imputabilité de ces difficultés et sur le quantum des préjudices en résultant pour la société Demathieu Bard Construction. Par une ordonnance du 21 juin 2018, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Nancy a partiellement modifié la mission de l'expert.

3. Par un jugement du 7 mai 2019, dont la société Demathieu Bard Construction relève appel, le tribunal administratif de Besançon, saisi par le CHRU de Besançon, a prononcé, sur le fondement de l'article R. 621-6 du code de justice administrative, la récusation de M. A....

Sur la qualité de M. A... dans cette instance :

4. Aux termes de l'article R. 621-6-4 du code de justice administrative : " (...) L'expert n'est pas admis à contester la décision qui le récuse. ". Il ressort de ces dispositions mêmes que M. A... ne saurait contester le jugement du 7 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Besançon a prononcé sa récusation. M. A... doit être regardé, dans le cadre de la présente instance, comme ayant la seule qualité d'observateur. Par suite, ses conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Besançon, à la reprise des opérations d'expertise pour lesquelles il a été désigné et à l'irrecevabilité des écritures en défense présentées par le CHRU de Besançon ne sont pas recevables.

Sur la représentation du CHRU de Besançon :

5. Si la société Demathieu Bard Construction soutient qu'il existe un conflit d'intérêts entre la situation du conseil du CHRU de Besançon dans le cadre de la présente instance et l'assistance juridique, apportée par le même cabinet d'avocats au CHRU de Besançon lors de la passation du marché public de travaux, une telle question qui a trait à la déontologie des avocats est sans incidence sur la recevabilité des mémoires en défense du CHRU de Besançon, qui est représenté par un avocat ayant qualité pour ce faire dans le cadre de la présente instance.

Sur la régularité du jugement :

6. Aux termes de l'article R. 621-6 du code de justice administrative : " Les experts ou sapiteurs mentionnés à l'article R. 621-2 peuvent être récusés pour les mêmes causes que les juges (...). La partie qui entend récuser l'expert ou le sapiteur doit le faire avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de la récusation. Si l'expert ou le sapiteur s'estime récusable, il doit immédiatement le déclarer au président de la juridiction ou, au Conseil d'Etat, au président de la section du contentieux. ". Selon l'article R. 621-6-4 du même code : " Si l'expert acquiesce à la demande de récusation, il est aussitôt remplacé. / Dans le cas contraire, la juridiction, par une décision non motivée, se prononce sur la demande, après audience publique dont l'expert et les parties sont avertis (...) ". En vertu de l'article L. 721-1 du même code : " La récusation d'un membre de la juridiction est prononcée, à la demande d'une partie, s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité. ".

7. En précisant que le juge se prononce par une " décision non motivée ", l'article R. 621-6-4 du code de justice administrative n'a pas entendu écarter l'application de la règle générale de motivation des décisions juridictionnelles, rappelée à l'article L. 9 de ce code. Il a seulement entendu tenir compte des exigences d'une bonne administration de la justice ainsi que des particularités qui s'attachent à une demande de récusation, laquelle est notamment susceptible, selon la teneur de l'argumentation du requérant, de porter atteinte à la vie privée de l'expert ou de mettre en cause sa probité ou sa réputation professionnelle. Aussi appartient-il au juge d'adapter la motivation de sa décision, au regard de ces considérations, en se limitant, le cas échéant à énoncer qu'il y a lieu, ou qu'il n'y a pas lieu, de faire droit à la demande.

8. Devant le tribunal administratif de Besançon, le CHRU de Besançon avait présenté sept motifs de récusation de l'expert, auxquels la société Demathieu Bard Construction avait opposé, pour chacun d'entre eux, une fin de non-recevoir tirée de leur tardiveté en se fondant sur les dispositions de l'article R. 621-6 du code de justice administrative selon lesquelles : " La partie qui entend récuser l'expert ou le sapiteur doit le faire avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de la récusation ".

9. Or, en énonçant qu'" après avoir pris en compte les écritures des parties et les observations de M. A... et avoir recueilli l'ensemble des observations orales présentées par les parties présentes à l'audience ainsi que celles de M. A..., le tribunal estime qu'il y a lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de prononcer la récusation de M. A... ", le tribunal administratif de Besançon, qui a suffisamment motivé son jugement sur les motifs pour lesquels il estimait devoir faire droit à la récusation de M. A..., a cependant omis de statuer sur la recevabilité de la cause de récusation à laquelle il a fait droit. En se référant aux écritures des parties et à leurs observations orales, il ne peut être regardé comme ayant écarté la fin de non-recevoir soulevée en défense par la société Demathieu Bard Construction tirée de la tardiveté de la demande du CHRU de Besançon qui n'était pas inopérante et que le jugement attaqué ne vise pas. Par suite, le jugement du tribunal administratif de Besançon du 7 mai 2019 doit être annulé.

10. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par le CHRU de Besançon devant le tribunal administratif de Besançon.

Sur la demande de récusation présentée par le CHRU de Besançon :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de récusation :

11. Il résulte de l'instruction que M. L...-E... A... a créé une " Dropbox " afin de faciliter l'accès des parties à l'expertise aux documents qu'il y déposait. Le CHRU de Besançon fait valoir que, le 15 février 2019, à l'occasion de l'examen de la demande de M. A... tendant à la désignation d'un sapiteur dont celui-ci a informé les parties à l'expertise le 12 février 2019, il a pris connaissance d'un document intitulé " réflexion via le PLU : à avancer progressivement " daté du 1er janvier et mis en ligne le 8 janvier 2019, qui n'avait pas été rédigé par l'expert. Il résulte de l'instruction que par un premier courriel du 8 janvier 2019 à 13h52 adressé aux parties à l'expertise, M. A... les a informées d'un rendez-vous à la mairie de Besançon pour consulter le dossier de permis de construire, leur a fait part de l'implantation du bâtiment litigieux de l'hôpital de Besançon en zone de sensibilité géologique "g1" et les a invitées à prendre connaissance des " extraits pertinents " de documents en pièces jointes et également disponibles sur la " Dropbox ". Par un second courriel du même jour à 14h01, il a joint les documents mentionnés dans son courriel précédent, au nombre desquels ne figure pas le document intitulé " réflexion via le PLU : à avancer progressivement " mais différents documents du plan local d'urbanisme de Besançon. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que le CHRU de Besançon aurait nécessairement été informé de la mise à disposition sur la " Dropbox " du document intitulé " réflexion via le PLU : à avancer progressivement " dès le 8 janvier 2019, alors qu'il ne s'y connectait pas quotidiennement et que M. A... avait envoyé en pièces jointes de son courriel du 8 janvier 2019 les documents relatifs au plan local d'urbanisme de Besançon qu'il estimait pertinents, sans qu'il ne soit, par suite, nécessaire de se connecter à la " Dropbox " pour en prendre connaissance. Le courriel adressé, le 10 janvier 2019, par le CHRU de Besançon en réponse à M. A... se réfère d'ailleurs aux pièces jointes au courriel du 8 janvier 2019 et non aux documents déposés dans la " Dropbox ". Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que le CHRU de Besançon a eu connaissance de la note en litige avant le 15 février 2019, date à laquelle il indique avoir consulté la " Dropbox " pour prendre connaissance de la demande de M. A... du 12 février 2019 tendant à la désignation d'un sapiteur.

12. Il suit de là que la demande de récusation adressée par le CHRU de Besançon au tribunal administratif le 21 février 2019 doit être regardée comme ayant été présentée dès la révélation de la cause de récusation au sens des dispositions précitées de l'article R. 621-6 du code de justice administrative. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la société Demathieu Bard Construction, tirée de la tardivité de la cause de récusation tenant à ce que l'expert ne réalise pas lui-même les opérations d'expertise, ne peut qu'être écartée.

En ce qui concerne la demande de récusation :

13. En premier lieu, aux termes de l'article R. 621-3 du code de justice administrative : " (...) Par le serment, l'expert s'engage à accomplir sa mission avec conscience, objectivité, impartialité et diligence. ".

14. Le document " réflexion via le PLU : à avancer progressivement " du 1er janvier 2019 mentionné au point 11, rédigé par le père de l'expert, ne se borne pas à faire un état des lieux et à analyser, de manière objective, les règles d'urbanisme applicables sur le territoire de la commune de Besançon, mais prend nettement position sur les conditions estimées contestables dans lesquelles un permis de construire a été délivré au CHRU de Besançon. Certaines des énonciations de cette note mettent directement en cause le CHRU de Besançon, qui aurait sciemment méconnu les dispositions du plan local d'urbanisme en vigueur. Cette note, rédigée en appui à la demande de désignation d'un sapiteur, révèle ainsi un parti-pris avant même tout examen du dossier de demande de permis de construire, dont M. A... a pu prendre connaissance le 15 janvier 2019, et avant tout débat contradictoire entre les parties sur ce point. Elle ne saurait, par suite, être regardée comme une simple mission d'assistance technique à l'expert mais vise nettement à orienter le cours de l'expertise et la réflexion de M. A.... Or, en mettant cette note sur la " Dropbox " qui peut être consultée par l'ensemble des parties, M. A... doit être regardé comme s'en étant approprié les termes. Une telle circonstance constitue, à elle seule, une raison sérieuse d'estimer que l'expert ne mène pas l'expertise personnellement et en toute objectivité et impartialité.

15. En second lieu, il ressort également des pièces du dossier qu'au cours des opérations d'expertise, ainsi d'ailleurs que dans le cadre de la présente instance, M. A... a gravement mis en cause le CHRU de Besançon. Il a en particulier adressé, le 28 avril 2019, alors que les opérations d'expertise étaient encore en cours, un signalement au titre de l'article L. 511-1 du code de la construction et de l'habitation au maire de la commune de Besançon faisant état du péril " aléatoire qui pourrait être imminent " résultant de l'implantation du bâtiment du CHRU de Besançon, en invoquant le principe de précaution. Ce " signalement " a été adressé en copie au préfet du Doubs, au directeur régional de l'Agence régionale de la santé, au procureur de la République et au président du tribunal administratif de Besançon. Les termes de ce courrier qui mettent publiquement en cause le CHRU de Besançon et, dans le cadre de la présente instance, son conseil juridique, excèdent les limites des questions techniques en débat et traduisent l'existence d'une animosité certaine entre l'expert et le CHRU de Besançon, de nature à perturber gravement le déroulement des opérations d'expertise, qui constitue également une raison sérieuse de mettre en doute l'impartialité de l'expert.

16. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres motifs de récusation soulevés par le CHRU de Besançon, il y a lieu de prononcer la récusation de M. L...-E... A..., désigné en qualité d'expert dans le cadre de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Besançon par l'ordonnance du 16 janvier 2018, pour les deux motifs mentionnés aux points 14 et 15 du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant à la reprise immédiate des opérations d'expertise par M. A... :

17. Le présent arrêt prononçant la récusation de M. A..., les conclusions de la société Demathieu Bard Construction tendant à la reprise immédiate de ses opérations d'expertise ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à la désignation d'un nouvel expert :

18. Il résulte des dispositions de l'article R. 621-6 du code de justice administrative citées au point 6 du présent arrêt, qu'alors même que la décision prononçant la récusation d'un expert est soumise à des formes spécifiques, il appartient à la juridiction qui a ordonné l'expertise de la prononcer. En l'espèce, l'expertise a été ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif statuant en application de l'article R. 532-1 du code de justice administrative. Selon l'article R. 532-5 du code de justice administrative, il appartient au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article R. 532-1 du même code, de désigner l'expert chargé de l'expertise qu'il ordonne. Lorsqu'il est fait droit à une demande de récusation en application de l'article R. 621-6-1 du même code, ce même juge, ou la formation collégiale à laquelle l'affaire a le cas échéant été renvoyée, est donc compétent pour désigner un nouvel expert.

19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Besançon pour qu'il statue à nouveau, comme en matière de référé, sur les conclusions tendant à la désignation d'un nouvel expert en remplacement de l'expert récusé.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHRU de Besançon, qui n'est pas dans la présente instance la partie principalement perdante, la somme que demande la société Demathieu Bard Construction au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.

21. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions que présentent le CHRU de Besançon et la société Sogea Rhône-Alpes, venant aux droits de la société Sogea Franche-Comté, au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1900304 du 7 mai 2019 du tribunal administratif de Besançon est annulé.

Article 2 : M. L...-E... A..., désigné en qualité d'expert dans le cadre de l'expertise ordonnée par l'ordonnance n°1700611 du tribunal administratif de Besançon du 16 janvier 2018, modifiée partiellement par l'ordonnance nos 18NC00263, 18NC00264 du 21 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Nancy, est récusé.

Article 3 : L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Besançon pour qu'il statue sur les conclusions tendant à la désignation d'un nouvel expert en remplacement de l'expert récusé.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la société Demathieu Bard Construction et les conclusions présentées par M. A... sont rejetés.

Article 5 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier régional universitaire de Besançon et la société Sogea Rhône-Alpes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier régional universitaire de Besançon, aux sociétés Demathieu Bard Construction, AIA Architectes Ingénieurs Associés, AIA Architectes, AIA Ingénierie, HGM Ingénierie, Fondasol, Franki Fondation, Sogea Rhône-Alpes, à la Sarl Philippe Donze et à la Sarl CTE.

Copie en sera transmise, pour information, à M. L...-E... A....

N°19NC01798 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01798
Date de la décision : 03/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-05-02 Procédure. Incidents. Récusation.


Composition du Tribunal
Président : M. DEVILLERS
Rapporteur ?: Mme Christine GRENIER
Rapporteur public ?: M. LOUIS
Avocat(s) : FIDUCIAL LEGAL BY LAMY

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-12-03;19nc01798 ?
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