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01/10/2019 | FRANCE | N°17NC00410

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 01 octobre 2019, 17NC00410


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les arrêtés du 19 octobre et du 1er décembre 2015 par lesquels le préfet des Ardennes l'a réquisitionné afin d'assurer, dans le cadre de la permanence des soins, des gardes dans le secteur de Monthermé /Nouzonville.

Par un jugement n° 1502580 du 29 décembre 2016, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 fé

vrier 2017, M. A... B..., représenté par la

SCP d'avocats Choffrut-Brener, demande à la cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les arrêtés du 19 octobre et du 1er décembre 2015 par lesquels le préfet des Ardennes l'a réquisitionné afin d'assurer, dans le cadre de la permanence des soins, des gardes dans le secteur de Monthermé /Nouzonville.

Par un jugement n° 1502580 du 29 décembre 2016, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 février 2017, M. A... B..., représenté par la

SCP d'avocats Choffrut-Brener, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 29 décembre 2016 ;

2°) d'annuler les arrêtés du préfet des Ardennes du 19 octobre et du 1er décembre 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

A titre principal :

- les dispositions de l'article R. 6315-4 du code de la santé publique, sur le fondement desquelles ont été pris les arrêtés litigieux, méconnaissent la liberté d'établissement consacrée à l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- l'interdiction du travail forcé telle que consacrée à l'article 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 5 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a été méconnue ;

- les décisions litigieuses méconnaissent les dispositions de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il est victime d'une discrimination qui résulte de l'utilisation de sa seule qualité de non-volontaire pour justifier qu'il soit le seul médecin réquisitionné ;

- si aucun de ces moyens n'était retenu, il conviendrait de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle afin qu'elle se prononce notamment sur la compatibilité du droit de réquisition et de son application par les arrêtés litigieux avec le droit de l'Union ;

A titre subsidiaire :

- la procédure prévue à l'article R. 6315-4 du code de la santé publique n'a pas été respectée ; il n'est pas établi que l'union régionale des professionnels de santé des médecins libéraux de Champagne-Ardenne et les représentants du syndicat MG France ont effectivement été consultés ; les associations de permanence des soins ne semblent pas davantage avoir été consultées ;

- les décisions litigieuses sont entachées d'une erreur de droit et d'un détournement de pouvoir, dès lors qu'il est le seul médecin réquisitionné.

Par un mémoire, enregistré le 8 août 2017, la ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête en se référant aux moyens développés dans les écritures que le préfet des Ardennes a produites en première instance.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant belge, exerce les fonctions de médecin généraliste en Belgique ainsi qu'à Gespunsart, dans le département des Ardennes. Par deux arrêtés des 19 octobre et 1er décembre 2015, le préfet des Ardennes l'a réquisitionné afin d'assurer, dans le cadre de la permanence des soins dans le secteur de Monthermé / Nouzonville , des gardes, d'une part, le samedi 24 octobre 2015 de 12 heures à minuit et le dimanche 25 octobre 2015 de 8 heures à minuit et, d'autre part, le samedi 5 décembre 2015 de 12 heures à 20 heures et de 20 heures à minuit et le dimanche 6 décembre de 12 heures à 20 heures et de 20 heures à minuit. M.B... relève appel du jugement du 29 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

2. L'article L. 6314-1 du code de la santé publique prévoit que la mission de service public de permanence des soins est assurée, en collaboration avec les établissements de santé, notamment par les médecins généralistes qui exercent une activité libérale. Ces dispositions prévoient également que le directeur général de l'agence régionale de santé communique au représentant de l'Etat dans le département les informations permettant à celui-ci de procéder aux réquisitions éventuellement nécessaires à sa mise en oeuvre. Aux termes de l'article R. 4127-77 du même code : " Il est du devoir du médecin de participer à la permanence des soins dans le cadre des lois et des règlements qui l'organisent ".

3. Aux termes de l'article R. 6315-4 du code de la santé publique : " Les médecins participent à la permanence des soins sur la base du volontariat. / En cas d'absence ou d'insuffisance de médecins volontaires pour participer à la permanence des soins sur un ou plusieurs secteurs dans le département, constatée par le conseil départemental de l'ordre des médecins, ce conseil, en vue de compléter le tableau de permanence prévu à l'article R. 6315-2, recueille l'avis des organisations représentatives au niveau national des médecins libéraux et des médecins des centres de santé représentées au niveau départemental et des associations de permanence des soins. Il peut prendre l'attache des médecins d'exercice libéral dans les secteurs concernés. Si, à l'issue de ces consultations et démarches, le tableau de permanence reste incomplet, le conseil départemental adresse un rapport, faisant état des avis recueillis et, le cas échéant, des entretiens avec les médecins d'exercice libéral, au préfet qui procède aux réquisitions nécessaires. Il peut être accordé des exemptions de permanence pour tenir compte de l'âge, de l'état de santé et, éventuellement, des conditions d'exercice de certains médecins (...) ".

Sur les moyens invoqués à titre principal :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites ". Une restriction à la liberté d'établissement à l'intérieur de l'Union européenne peut être admise au titre des mesures dérogatoires prévues par le traité si elle est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général et si les mesures restrictives s'appliquent de manière non discriminatoire, sont propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

5. A supposer, ainsi que le soutient le requérant, que les dispositions précitées du code de la santé publique sur le fondement desquelles ont été pris les arrêtés litigieux et qui autorisent le préfet à réquisitionner des médecins non-volontaires pour effectuer des gardes puissent être regardées comme constituant une restriction à la liberté d'établissement, ces dispositions sont indistinctement applicables à tous les médecins généralistes exerçant une activité libérale, quel que soit leur lieu d'exercice ou leur nationalité, et poursuivent un objectif d'intérêt général de santé publique. Ces dispositions sont propres à garantir la permanence des soins et, dès lors notamment qu'elles ne prévoient des réquisitions qu'à titre subsidiaire, en l'absence de volontaires disponibles, elles n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Enfin, si le requérant se prévaut de l'impossibilité pour un médecin d'effectuer des gardes à la fois en Belgique et en France, il n'apporte aucun élément sur la fréquence et la nature des gardes qu'il serait tenu d'effectuer en Belgique. Par suite, contrairement à ce que soutient M. B... et alors même qu'elles impliquent qu'un médecin exerçant en France et dans un autre pays de l'Union puisse être amené à effectuer des gardes dans ces deux pays, les dispositions litigieuses ne sont pas contraires aux stipulations de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relatives à la liberté d'établissement.

6. En deuxième lieu, l'article 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 5 la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne prévoient que " Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ".

7. Il ressort des pièces du dossier que les procédures de réquisition litigieuses n'ont été utilisées qu'en l'absence de volontaires pour assurer la permanence des soins à certaines dates. En outre, contrairement à ce que semble indiquer le requérant, les tableaux de permanence des soins dans le département des Ardennes sont établis par trimestre. Si les médecins réquisitionnés ne sont avertis que quelques jours avant la garde qu'ils doivent effectuer, ce délai peut se justifier par la recherche de solutions moins contraignantes. De surcroît, la participation à la permanence des soins constitue une obligation déontologique pour les médecins en vertu notamment des dispositions précitées l'article R. 4127-77 du code de la santé publique. Enfin les dispositions de l'article R. 6315-4 du code de la santé publique permettent aux médecins de solliciter des exemptions de permanence, celles-ci étant accordées " pour tenir compte de l'âge, de l'état de santé et, éventuellement, des conditions d'exercice de certains médecins ". Par suite et compte tenu en outre du caractère ponctuel et rémunéré des gardes imposées à M. B..., ce dernier n'est pas fondé à soutenir que les stipulations précitées auraient été méconnues.

8. En dernier lieu, M. B... fait valoir qu'il est victime d'une discrimination dès lors qu'il est le seul médecin réquisitionné et qu'il est réquisitionné au seul motif qu'il n'est pas volontaire pour assurer des gardes. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point précédent, la participation à la permanence des soins constitue une obligation déontologique pour les médecins en vertu de l'article R. 4127-77 du code de la santé publique. L'intéressé ne conteste par ailleurs pas que les treize autres médecins libéraux généralistes installés dans le secteur de garde concerné assurent des gardes sur la base du volontariat. De plus, il n'établit, ni même n'allègue qu'il effectuerait davantage de gardes que ces praticiens. Dans ces conditions, le requérant n'est en tout état de cause pas fondé à soutenir que les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combinées à celles de l'article 4, auraient été méconnues.

9. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle soulevée par le requérant, que les moyens invoqués à titre principal par M. B... ne peuvent qu'être écartés.

Sur les moyens invoqués à titre subsidiaire :

10. En premier lieu, les dispositions de l'article R. 6315-4 du code de la santé publique prévoient, d'une part, que l'absence ou l'insuffisance de médecins volontaires est constatée par le conseil départemental de l'ordre des médecins qui, pour compléter le tableau de garde, " sollicite l'avis de l'union régionale des professionnels de santé représentant les médecins, des représentants des médecins des centres de santé au niveau départemental et des associations de permanence des soins " et, d'autre part, que " si à l'issue de ces consultations et démarches, le tableau de garde reste incomplet, le conseil départemental de l'ordre des médecins adresse un rapport au directeur général de l'agence régionale de santé ". Le directeur général de l'agence régionale de santé communique ces éléments au préfet, afin que celui-ci procède, le cas échéant, aux réquisitions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 6314-1 du code de la santé publique.

11. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier et notamment des mentions figurant sur les rapports du conseil départemental de l'ordre des médecins et des courriers adressés par ce dernier que la présidente de l'union régionale des professionnels de santé des médecins libéraux de Champagne-Ardenne et le représentant du syndicat MG France ont été consultés préalablement à la saisine du directeur général de l'agence régionale de santé. Par ailleurs, si M. B... fait valoir qu'il n'est pas établi que les associations de permanence des soins auraient été consultées, il n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il existait de telles associations dans le secteur concerné. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la procédure prévue à l'article R. 6315-4 du code de la santé publique n'aurait pas été respectée.

12. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la procédure de réquisition litigieuse n'a été utilisée qu'en l'absence de volontaires pour assurer la permanence des soins à certaines dates et, d'autre part, qu'hormis M. B..., l'ensemble des médecins généralistes du secteur de Monthermé / Nouzonville s'étaient portés volontaires pour assurer des gardes dans le cadre de la permanence des soins. Le choix de M. B... pour assurer les gardes litigieuses répondait ainsi à l'objectif que l'ensemble des médecins généralistes du secteur participe à la permanence des soins, conformément à l'obligation déontologique découlant des dispositions de l'article R. 4127-77 du code de la santé publique. Dès lors, M. B..., qui n'établit ni même n'allègue avoir effectué davantage de gardes que ses confrères du secteur de Monthermé / Nouzonville, n'est pas fondé à soutenir que les arrêtés préfectoraux seraient entachés d'une erreur de droit ou d'un détournement de pouvoir.

13. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre des solidarités et de la santé.

2

N° 17NC00410


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NC00410
Date de la décision : 01/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-035-01 Santé publique. Professions médicales et auxiliaires médicaux. Permanence de soins (services de garde).


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Guénaëlle HAUDIER
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : SCP CHOFFRUT-BRENER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-10-01;17nc00410 ?
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