Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La région Lorraine, devenue région Grand Est, a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner solidairement le cabinet Atelier Architectes Gaertner (AAG), la société Alpha Architecture, la société Klein et Sagan, la société Ingerop Grand Est, la société GTM-Halle et la société Socotec à lui verser une somme de 15 355 898 euros en réparation des désordres affectant les sols des bâtiments de l'université de Metz sur le campus Bridoux, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa demande.
Par un jugement n° 1303038 du 19 octobre 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande et a mis à sa charge les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 35 559,22 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 19 décembre 2016, le 5 février 2018, le 12 février 2018, le 14 février 2018, le 27 mars 2018 et le 30 avril 2018, la région Grand Est, représentée par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1303038 du 19 octobre 2016 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de déclarer bien fondée la mise en cause de la société GTM-Halle sur le fondement de la garantie décennale en rejetant en conséquence l'intervention volontaire de la société Weiler, et subsidiairement, dans l'hypothèse où le jugement serait confirmé sur ce point, de la condamner en lieu et place de la société GTM-Halle ;
3°) de condamner solidairement le maître d'oeuvre, les constructeurs et le contrôleur technique à lui verser une indemnité de 15 355 898 euros au titre des dommages subis, majorée des intérêts aux taux légal à compter de l'enregistrement de la présente requête ;
4°) de rejeter les conclusions des autres parties dirigées à son encontre ;
5°) de mettre à la charge des défendeurs la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a rejeté son action dirigée à l'encontre de la société GTM-Halle dès lors que cette société pouvait régulièrement être mise en cause et déclarée responsable sur le fondement de la garantie décennale ;
- l'expertise confiée à M. H...n'est entachée d'aucun vice particulier ;
- l'expertise de M. G...ne lui est pas opposable dans la mesure où elle n'a pas été attraite à la procédure ayant conduit à sa mise en place ;
- elle n'est pas forclose pour agir ;
- le pôle conception, avec plusieurs cabinets d'architectes dont le cabinet Atelier Architectes Gaertner (AAG) est mandataire, en tant que maître d'oeuvre, et la société GTM-Halle qui vient aux droits de la société Weiler, titulaire du lot " gros-oeuvre " en qualité d'entreprise générale et mandataire du marché de conception-réalisation, ont la qualité de constructeurs au sens des principes qui régissent la garantie décennale ;
- le contrôleur technique Socotec est également débiteur de la garantie décennale, dans les limites de la mission qui lui a été confiée ;
- les désordres sont de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs dans la mesure où ils rendent l'immeuble impropre à sa destination et qu'ils compromettent la solidité de l'ouvrage, ainsi que l'a relevé l'expert dans son rapport ;
- les désordres n'étaient pas apparents dans toute leur ampleur à la date de la réception des travaux, aucune réserve n'ayant été émise par le maître d'ouvrage et ils ne se sont manifestés, dans toute leur ampleur, qu'après cette réception ;
- les désordres liés à la présence d'eau dans la chape de maxit n'étaient pas connus lors de la réception et il ne peut lui être reproché d'avoir procédé à la réception de l'ouvrage sans disposer du rapport CEBTP ;
- le coût des travaux de reprise s'élève à la somme de 14 830 898 euros toutes dépenses comprises et le préjudice moral qu'elle a subi en raison des perturbations doit être indemnisé par l'attribution d'une somme de 500 000 euros, outre 25 000 euros au titre des troubles de jouissance ;
- les désordres sont imputables à l'ensemble des intervenants ;
- ni la force majeure ni la faute du maître d'ouvrage ne peuvent être allégués par les constructeurs.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 avril 2017, le 22 février 2018, et le 19 avril 2018, la société GTM-Halle, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la région Grand Est ;
2° à titre subsidiaire, de déclarer irrecevable la demande de la région Grand Est dirigée à son encontre ;
3°) de prononcer la nullité de l'expertise réalisée par M.H... ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, de fixer le coût des travaux à la somme de 183 888 euros ;
5°) de condamner le cabinet AAG, la société Alpha Architecture, la société Klein et Sagan et la société Ingerop Grand Est à la garantir de 70 % de toute condamnation solidaire prononcée contre elle et la société Socotec à concurrence de 30 % d'une telle condamnation ;
6°) de mettre à la charge de la région Grand Est une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le recours à son encontre est irrecevable dans la mesure où, en tant que société mère de la société Weiler, elle n'est pas débitrice de la garantie décennale ;
- l'expertise est irrégulière et entachée de nullité dans la mesure où l'expert a délégué la détermination du coût des travaux au cabinet Iosis sans demander au juge la désignation d'un sapiteur et cette évaluation est par suite intervenue en méconnaissance du principe d'impartialité ;
- ce rapport doit être écarté des débats ;
- l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance de Metz est opposable aux différents constructeurs et la région et l'université ont été présentes tout au long de son déroulement ;
- les désordres étaient pleinement apparents lors de la réception sans réserve des travaux ;
- ils ne compromettaient pas la solidité de l'ouvrage et ne rendaient pas celui-ci impropre à sa destination ;
- le rapport d'expertise est entaché de contradictions quant à la cause des désordres dans la mesure où l'expert indique qu'ils proviennent de la chape tandis que d'autres passages indiquent qu'ils ont pour origine le dallage sous la chape et l'absence de drainage ;
- il n'est pas établi que les travaux de remise en état préconisés par l'expert soient justifiés alors que le montant des travaux de remise en état excède le montant du marché initial et que le chiffrage n'en est pas détaillé ;
- la condamnation devra être prononcée hors taxes, la région ne démontrant pas être dans l'impossibilité de déduire tout ou partie de la TVA ;
- le coût des travaux après application d'un abattement pour vétusté et prise en compte d'un coefficient TDC (toutes dépenses confondues) doit être fixé à la somme de 183 888 euros ;
- la région Lorraine n'est plus propriétaire des bâtiments et ne peut se prévaloir de troubles de jouissance ou de préjudice moral ;
- la cour devra procéder d'emblée à un partage de responsabilité entre les différents intervenants, les désordres litigieux trouvant leur origine exclusive dans les fautes commises par la maîtrise d'oeuvre pour 70% et le contrôleur technique pour 30 % ;
- la société Socotec n'a pas vérifié si ses préconisations en matière de drainage avaient été respectées ;
- la société Ingerop Grand Est était liée au groupement de maîtrise d'oeuvre par un contrat de cotraitance ;
- la société Ingerop Grand Est l'a mise en cause sans expliquer en quoi elle serait à l'origine des désordres constatés ;
- ces fautes justifient les appels en garantie formés contre le groupement de maîtrise d'oeuvre pour 70 % de l'éventuelle condamnation solidaire prononcée à son encontre et la société Socotec à concurrence de 30 % de cette condamnation.
Par un mémoire en intervention volontaire, enregistré le 3 avril 2017, le 22 février 2018, et le 19 avril 2019, la SNC Weiler, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de prononcer la nullité de l'expertise réalisée par M.H... ;
3°) de fixer le coût des travaux à la somme de 183 888 euros ;
4°) de condamner le cabinet AAG, la société Alpha Architecture, la société Klein et Sagan et la société Ingerop Grand Est à la garantir à hauteur de 70 % de toute condamnation solidaire prononcée elle et la société Socotec à concurrence de 30 % d'une telle condamnation ;
5°) de mettre à la charge de la région Grand Est une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le recours à l'encontre de sa société mère, la société GTM-Halle, est irrecevable dans la mesure où cette dernière n'est pas débitrice de la garantie décennale ;
- l'expertise est irrégulière et entachée de nullité dans la mesure où l'expert a délégué la détermination du coût des travaux au cabinet Iosis sans demander au juge la désignation d'un sapiteur et que cette évaluation est par suite intervenue en méconnaissance du principe d'impartialité ;
- ce rapport doit être écarté des débats ;
- l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance de Metz est opposable aux différents constructeurs et la région et l'université ont été présentes tout au long de son déroulement ;
- les désordres étaient pleinement apparents lors de la réception sans réserve des travaux ;
- ils ne compromettaient pas la solidité de l'ouvrage et ne rendaient pas celui-ci impropre à sa destination ;
- le rapport d'expertise est entaché de contradictions quant à la cause des désordres dans la mesure où l'expert indique qu'ils proviennent de la chape tandis que d'autres passages indiquent qu'ils ont pour origine le dallage sous la chape et l'absence de drainage ;
- il n'est pas établi que les travaux de remise en état préconisés par l'expert soient justifiés alors que le montant des travaux de remise en état excède le montant du marché initial et que le chiffrage n'en est pas détaillé ;
- la condamnation devra être prononcée hors taxes, la région ne démontrant pas être dans l'impossibilité de déduire tout ou partie de la TVA ;
- le coût des travaux après application d'un abattement pour vétusté et prise en compte d'un coefficient TDC (toutes dépenses confondues) doit être fixé à la somme de 183 888 euros ;
- la région Lorraine n'est plus propriétaire des bâtiments et ne peut se prévaloir de troubles de jouissance ou de préjudice moral ;
- la cour devra procéder d'emblée à un partage de responsabilité entre les différents intervenants, les désordres litigieux trouvent leur origine exclusive dans les fautes commises par la maîtrise d'oeuvre pour 70% et le contrôleur technique pour 30 % ;
- la société Socotec n'a pas vérifié si ses préconisations en matière de drainage avaient été respectées ;
- la société Ingerop Grand Est était liée au groupement de maîtrise d'oeuvre par un contrat de cotraitance ;
- la société Ingerop Grand Est l'a mise en cause sans expliquer en quoi elle serait à l'origine des désordres constatés ;
- ces fautes justifient les appels en garantie formés contre le groupement de maîtrise d'oeuvre pour 70 % de l'éventuelle condamnation solidaire prononcée à son encontre et la société Socotec à concurrence de 30 % de cette condamnation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2018, la société Ingerop Grand Est, venant aux droits du bureau d'études techniques SISA, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement et à défaut in solidum, la maîtrise d'ouvrage, le groupement de maîtrise d'oeuvre, la société Weiler aux droits de laquelle vient la société GTM-Halle et le bureau de contrôle technique Socotec à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;
2°) à titre infiniment subsidiaire, de limiter le coût des travaux de reprise à la somme de 183 888 euros ;
3°) de rejeter les demandes de la région au titre du préjudice moral et du préjudice de jouissance ;
4°) de mettre à la charge des parties succombantes et à défaut, in solidum, la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les désordres étaient apparents à la réception et leur évolution était prévisible ;
- elle n'est pas mise en cause par la région Grand Est ;
- le caractère décennal des désordres n'est pas établi ;
- aucun manquement ne peut lui être reproché ;
- elle doit être garantie par la région Grand Est, la société Weiler, le groupement de maîtrise d'oeuvre et la société Socotec de toute condamnation prononcée à son encontre ;
- les préjudices ne sont pas justifiés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2018, la société Socotec France, représentée par MeE..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) subsidiairement, de rejeter les conclusions d'appel en garantie présentées à son encontre par la société GTM-Halle et la société Ingerop Grand Est ;
3°) de condamner la société Weiler, la société GTM-Halle, la société AAG, la société Alpha Architecture, la société Klein et Sagan et la société Ingerop Grand Est à la relever de toute condamnation prononcée à son encontre, tant en principal qu'en frais et intérêts ;
4°) de mettre à la charge de la région Grand Est, ou, à défaut, solidairement, de la société Weiler, la société GTM-Halle, la société AAG, la société Alpha Architecture, la société Klein et Sagan et la société Ingerop Grand Est le versement de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de condamner aux dépens d'appel la région Grand Est ou toute partie succombant.
Elle soutient que :
- c'est sans erreur que les premiers juges ont estimé que les conditions de mise en jeu de la responsabilité décennale n'étaient pas réunies en l'espèce ;
- la région ne démontre pas l'imputabilité des désordres à l'activité de contrôleur technique ;
- les appels en garantie à son encontre doivent être rejetés dès lors qu'elle a démontré avoir respecté les obligations lui incombant dans le cadre des missions qui lui ont été confiées par le maître d'ouvrage et que sa responsabilité ne saurait être engagée pour imprudence ni manquement à son devoir de conseil ;
- les préjudices de la région doivent être limités à 183 888 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2018, les sociétés Atelier d'Architecture Gaertner, Alpha Architecture et Klein et Sagan, devenue Michel Klein, représentés par MeA..., demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de la région Grand Est le versement d'une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner la société Weiler, aujourd'hui société GTM-Halle , à les garantir de toute condamnation prononcée à leur encontre ;
4°) de condamner la société Ingerop Grand Est à les garantir de toute condamnation prononcée à leur encontre ;
5°) de condamner la société Socotec à les garantir de toute condamnation prononcée à leur encontre ;
6°) de limiter l'indemnisation à la somme de 320 000 euros.
Elles soutiennent que :
- le désordre était présent à la réception mais la pérennité de l'ouvrage, sa solidité ou sa destination ne sont pas menacées depuis la réception ;
- la responsabilité contractuelle ne peut plus être engagée alors qu'aucune faute n'a été commise à la réception ;
- l'exécution des travaux de chape, confiée à l'entreprise Weiler, est la cause et l'origine des désordres ;
- la maîtrise d'oeuvre, à l'exception du BET Ingerop, doit ainsi être mise hors de cause ;
- leurs conclusions d'appel en garantie sont fondées dès lors que la société Socotec n'a jamais émis la moindre observation à l'instar du BET Ingerop sur les choix constructifs de la société Weiler ;
- les désordres ne nécessitent pas de démolition mais une réparation partielle ;
- l'indemnisation doit être limitée à un montant de 320 000 euros.
Par une ordonnance du 2 mai 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 2 mai 2018.
Un mémoire présenté pour les sociétés Atelier d'Architecture Gaertner, Alpha Architecture et Klein et Sagan, devenue Michel Klein, a été enregistré le 9 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Wallerich, président,
- les conclusions de Jean-Jacques Louis, rapporteur public,
- les observations de Me Martinez White Pedro, avocat de Région grand Est,
- les observations de MeA..., pour le cabinet AAG, la société Alpha Architecture et la société Michel Klein,
- les observations de MeF..., pour la société Ingerop Grand Est,
- les observations de MeE..., pour la société Socotec,
- et les observations de Me B...pour les sociétés Weiler et GTM-Halle.
Considérant ce qui suit :
1. La région Lorraine, devenue depuis, la région Grand Est, a confié le 27 mars 1992 au groupement composé des entreprises Weiler, AAG, Alpha Architecture, Klein et Sagan et Ingerop Grand Est un marché de conception-réalisation dans le cadre de l'aménagement de locaux en vue de l'installation du premier cycle scientifique de l'université de Metz sur le campus Bridoux. La mission de contrôle technique a été confiée à la société Socotec. Les travaux du bâtiment ont été réceptionnés sans réserve le 27 septembre 1993. Dans une correspondance du 3 mars 2000, la présidente de l'université de Metz a demandé à la région Lorraine de faire le nécessaire pour réparer les désordres affectant les sols des bâtiments de l'université, qui subissent notamment un décollement généralisé des revêtements de sols PVC, compromettant selon elle le bon fonctionnement du bâtiment. Par un courrier du 29 mars 2000, la région Lorraine a enjoint au mandataire du groupement, la société Weiler, de proposer des mesures propres à remédier aux désordres. Le 26 septembre 2003, elle a sollicité du tribunal administratif de Strasbourg la désignation d'un expert et par une ordonnance de référé du 6 octobre 2003 le président du tribunal a désigné M. H...en qualité d'expert. Ce dernier a déposé son rapport au greffe du tribunal le 23 avril 2009. La région Lorraine a saisi, le 9 juillet 2013, le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à la condamnation des constructeurs, sur le fondement de la garantie décennale, au versement d'une somme de 15 355 898 euros en réparation des désordres. La région Grand Est relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
Sur la régularité des opérations d'expertise :
2. Il appartient au juge, saisi d'un moyen mettant en doute l'impartialité d'un expert, de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l'une ou plusieurs des parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité. En particulier, doivent en principe être regardées comme suscitant un tel doute les relations professionnelles s'étant nouées ou poursuivies durant la période de l'expertise.
3. Il résulte de l'instruction que M. H...a eu recours, pour l'évaluation des travaux de réfection des sols, à un sapiteur, le cabinet Iosis, pour évaluer le coût des travaux sans toutefois en solliciter l'autorisation du président du tribunal administratif de Strasbourg alors que ce cabinet a été mandaté par la région et qu'il était un prestataire habituel de cette collectivité. Toutefois, l'irrégularité du rapport d'expertise ne faisait pas obstacle à ce qu'il soit retenu à titre d'information par le juge de première instance, dès lors qu'il a été versé au dossier et soumis, de ce fait, au débat contradictoire entre les parties et qu'au demeurant, le tribunal n'a pas eu à se fonder sur les éléments de chiffrage élaborés par le sapiteur. Le jugement n'est donc entaché d'aucune irrégularité à cet égard.
Sur la responsabilité décennale :
4. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient de quelque manière imputables.
En ce qui concerne l'action dirigée contre de la société GTM-Halle :
5. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, si la société GTM-Halle est la société mère de la société Weiler, cocontractante de la région Lorraine, il est constant qu'elle n'a elle-même conclu aucun contrat de louage d'ouvrage avec la région. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que cette société aurait pris une part quelconque aux travaux, objet du litige. Elle ne peut, dès lors, être regardée comme ayant la qualité de constructeur et la région n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande tendant à la mise en cause de sa responsabilité sur le fondement des principes qui régissent la garantie décennale.
En ce qui concerne l'action dirigée contre les autres constructeurs :
6. Il résulte de l'instruction que les désordres liés au décollement des revêtements de sols des bâtiments de l'université de Metz sur le campus Bridoux se sont manifestés en cours de chantier et ont été constatés en mars-avril 1993. Si le phénomène était, initialement, limité et localisé à une salle du bâtiment 11, comme l'indique le compte rendu de chantier n°41 du 23 juillet 1993, la situation s'est ensuite dégradée et rapidement étendue comme l'indique le compte rendu de chantier n°43 du 6 août 1993 qui fait état de l'existence de ces décollements de sols en insistant sur leur " tendance à se généraliser sur l'ensemble des chapes Maxit, se manifestant différemment en fonction de la nature des revêtements de sols ". Alors que le compte rendu de chantier n°45 du 20 août 1993 relève que la société Weiler a demandé une expertise au Centre expérimental de recherches et d'études du bâtiment et des travaux publics (CEREBTP) afin de déterminer l'origine des décollements, la persistance de ces désordres a été signalée dans les comptes rendus suivants n° 46, 47 et 48 à partir desquels l'expert a relevé qu'il s'agissait de " défauts d'exécutions généralisés qui ont été décelés en cours de travaux ". Or, et sans attendre les résultats de l'expertise confiée au CEREBTP, le maître d'ouvrage a autorisé la société Weiler à reposer les revêtements de sols, " vu l'urgence de disposer des salles pour la rentrée universitaire ", et il a prononcé, le 27 septembre 1993, la réception des travaux sans réserves. Dans cette mesure, la région ne peut être regardée comme n'ayant pas été avertie de l'existence et de l'importance des désordres ni du caractère prévisible de leur généralisation, lorsqu'elle a prononcé sans réserve la réception définitive des travaux. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que ces désordres seraient d'une nature différente de ceux qui font l'objet de l'action en garantie engagée par la région, leur caractère apparent lors de la réception de l'ouvrage fait obstacle à la mise en jeu de la responsabilité décennale des constructeurs.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la région Grand Est n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande et a laissé à sa charge les frais d'expertise. Par voie de conséquence les conclusions subsidiaires présentées par les défendeurs sont sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du cabinet Atelier Architectes Gaertner, de la société Alpha Architecture, de la société Michel Klein, de la société Ingerop Grand Est, de la société GTM-Halle et de la société Socotec qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties tenues aux dépens ou les parties perdantes, le versement de quelque somme que ce soit à la région Grand Est, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région Grand Est le versement à la société GTM-Halle, à la société Weiler, au cabinet Atelier Architectes Gaertner, à la société Alpha Architecture, à la société Michel Klein, à la société Ingerop Grand Est et à la société Socotec une somme de 1 500 euros chacun au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la région Grand Est est rejetée.
Article 2 : La région Grand Est versera à la société GTM-Halle, à la société Weiler, au cabinet Atelier Architectes Gaertner, à la société Alpha Architecture, à la société Michel Klein, à la société Ingerop Grand Est et à la société Socotec une somme de 1 500 euros, chacun, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la région Grand Est, à la société GTM-Halle, à la société Weiler, au cabinet Atelier Architectes Gaertner, à la société Alpha architecture, à la société Michel Klein, à la société Ingerop Grand Est et à la société Socotec.
N° 16NC02814