Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 7 mai 2018 par lequel le préfet du Bas-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office à l'expiration de ce délai.
Par un jugement n° 1803312 du 4 octobre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 novembre 2018, Mme D... E..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1803312 du 4 octobre 2018 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler l'arrêté contesté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de réexaminer sa situation, sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme E... soutient que :
- a fraude n'est pas établie et elle remplit les conditions de délivrance d'un titre de séjour prévues par le 6° de l'article L. 313-11 et l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que par la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de l'admettre au séjour et en décidant de l'obliger à quitter le territoire français ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation au regard des dispositions du 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle ne présente aucune menace pour l'ordre public ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
L'instruction a été close le 17 mai 2019.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 février 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, premier conseiller,
- et les observations de Me C..., pour Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... E..., ressortissante camerounaise née le 18 novembre 1980, est entrée en France le 22 mars 2014. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés du 21 janvier 2016, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 17 septembre 2016. Le 2 octobre 2015, elle a également sollicité son admission au séjour sur le fondement des articles L. 313-11-6° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 7 mai 2018, le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office à l'expiration de ce délai.
2. Mme E... relève appel du jugement du 4 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
En ce qui concerne le refus de séjour :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ".
4. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la présomption découlant de l'article 31-2 du code civil, selon lequel le certificat de nationalité, délivré par les tribunaux d'instance, fait foi jusqu'à preuve du contraire, est opposable aux tiers et s'impose donc en principe à l'administration, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le père putatif de l'enfant n'est pas son père biologique, de faire échec à cette fraude, et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
5. Mme E... fait valoir que, contrairement à ce qu'a estimé le préfet, elle peut bénéficier des dispositions de l'article L. 313-11 précité dès lors qu'elle est la mère d'une enfant née le 28 avril 2015, dont la reconnaissance anticipée, le 19 novembre 2014 par M. B..., ressortissant français né en 1943, établit la filiation et la nationalité française et ne présente pas un caractère frauduleux.
6. D'une part, les déclarations de Mme E... quant aux circonstances de sa rencontre avec M. B... et à la nature de leur relation ne sont étayées par aucun élément concret permettant d'en établir la réalité et comportent, en outre, des contradictions et des incohérences. Il ressort ainsi des pièces du dossier, en particulier du rapport d'enquête du service de la police aux frontières du 6 mars 2017, dont la requérante ne discute pas les constatations, qu'elle entretenait des relations amicales avec l'épouse de M. B... avant de venir en France, ce qui remet en cause ses affirmations selon lesquelles elle aurait fait la connaissance de ce dernier de manière fortuite à son arrivée en France. Par ailleurs, elle n'explique pas pourquoi M. B... a accepté de reconnaître officiellement l'enfant alors que, selon elle, il aurait mis fin à leur relation alléguée précisément par crainte de la réaction de son épouse si elle était informée de la naissance de cette enfant. Enfin, ses seules affirmations et l'attestation de M. B... ne suffisent pas à établir que ce dernier, qui n'a jamais vécu avec elle et réside à Paris avec son épouse, participerait à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ou entretiendrait un quelconque lien avec celle-ci.
7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que Mme E... est, depuis le 12 novembre 2010, l'épouse de M. A..., ressortissant camerounais, avec lequel elle a eu un enfant le 23 juillet 2012. Or, M. A... a obtenu 5 visas pour se rendre en France entre le 17 mars 2014 et le 16 juin 2016, dont l'un valable du 25 juin 2014 au 26 août 2014, alors que la fille de la requérante a été conçue pendant cette période. Si la requérante soutient que cette situation aurait été créée artificiellement afin de lui permettre d'obtenir par fraude un visa, que l'acte de mariage et l'acte de naissance de l'enfant seraient des faux et qu'elle n'aurait rencontré M. A..., lors de ses séjours en France, qu'afin de maintenir cette apparence, elle ne l'établit pas. En outre, alors qu'elle a obtenu son visa, elle n'allègue pas avoir depuis entrepris la moindre démarche pour remettre en cause son mariage avec M. A....
8. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances, et alors que Mme E... a refusé qu'un prélèvement salivaire soit effectué sur son enfant née le 28 avril 2015 afin d'effectuer une comparaison génétique qui permettrait d'établir sa filiation, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le préfet a estimé qu'elle avait obtenu de manière frauduleuse la délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un certificat de nationalité française pour sa fille. Dès lors, le préfet du Bas-Rhin a pu légalement se fonder sur ce motif pour refuser de lui délivrer un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français.
9. En deuxième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
10. En troisième lieu, Mme E... ne peut pas utilement se prévaloir des dispositions de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012, qui sont dépourvues de toute portée normative.
11. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme E... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au regard duquel il n'incombait pas au préfet d'examiner d'office sa situation. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut qu'être écarté comme inopérant.
12. En cinquième lieu, la circonstance que Mme E... ne présente aucune menace pour l'ordre public est sans incidence sur la légalité de la décision contestée, dès lors que celle-ci n'est pas fondée sur l'existence d'une telle menace.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
13. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
14. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté, Mme E... séjournait en France depuis un peu plus de quatre ans. Elle ne s'y prévaut d'aucune autre attache que ses deux enfants qui y vivent avec elle et n'établit pas ni même n'allègue être particulièrement bien intégrée dans la société française. Elle n'établit pas non plus être dépourvue de toute attache dans son pays d'origine, où elle a vécu jusqu'à l'âge de 33 ans et où réside notamment son troisième enfant, né d'une précédente union, et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle serait dans l'impossibilité de reconstituer sa cellule familiale au Cameroun, ni que ses enfants ne pourront pas y être scolarisés. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts qu'il a poursuivis en décidant de l'obliger à quitter le territoire français. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
15. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
16. En second lieu, pour les mêmes raisons que celles indiquées au point 14, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'annulation ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, d'astreinte et d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
N°18NC02980 2