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19/03/2019 | FRANCE | N°18NC01306-18NC01352

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 19 mars 2019, 18NC01306-18NC01352


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société TFN Propreté Est a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une part, d'annuler le lot n°1 du marché de nettoyage conclu le 5 avril 2016 entre la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Champagne-Ardenne et la société Agenor Technipropre et d'autre part, de condamner la CCI de Champagne-Ardenne à lui verser la somme de 70 194,54 euros, dont 3 500 euros au titre des frais de présentation de son offre, en réparation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulièr

e de la procédure de passation de ce marché, assortie des intérêts légaux à co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société TFN Propreté Est a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une part, d'annuler le lot n°1 du marché de nettoyage conclu le 5 avril 2016 entre la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Champagne-Ardenne et la société Agenor Technipropre et d'autre part, de condamner la CCI de Champagne-Ardenne à lui verser la somme de 70 194,54 euros, dont 3 500 euros au titre des frais de présentation de son offre, en réparation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière de la procédure de passation de ce marché, assortie des intérêts légaux à compter de sa requête avec capitalisation annuelle de ceux-ci.

Par un jugement n° 1601052 du 20 mars 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a partiellement fait droit à sa demande en résiliant le marché à compter de la date du jugement et en condamnant la CCI Champagne-Ardenne à verser à la société TFN Propreté Est une somme de 70 194,54 euros assortie des intérêts et de leur capitalisation.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 24 avril 2018 et le 27 juillet 2018 sous le n° 15NC01306, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) Grand Est, représentée par la SCP YvesC..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1601052 du 20 mars 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) de mettre à la charge de la société TFN Propreté Est, la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement n'est pas suffisamment motivé faute d'avoir indiqué les pièces du dossier sur lesquelles il s'est fondé ;

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de l'exception de chose jugée ;

- le tribunal administratif a omis de s'interroger sur le caractère opérant du moyen dont il était saisi, tiré de l'illégalité du sous-critère de la cohérence financière ;

- en se déterminant par les seuls motifs retenus, sans rechercher si le vice invoqué était en rapport direct avec l'intérêt lésé dont la société TFN Propreté Est se prévalait, le tribunal administratif a également commis une erreur de droit alors que l'absence de vice en rapport direct avec l'éviction de l'intéressée faisait obstacle à toute indemnisation ;

- contrairement à ce qu'a décidé le tribunal administratif, il n'est pas établi qu'en l'absence du manquement reproché à la CCI, la société TFN Propreté Est aurait obtenu une note globale de 86,88/100 qui l'aurait classée en première position devant la société Agenor Technipropre laquelle a obtenu la note globale de 82,43/100 ;

- la méthode de notation mise en oeuvre n'a nullement lésé la société TFN Propreté Est, dès lors que celle-ci ne se serait pas non plus vu attribuer le marché si le sous-critère de la cohérence financière n'avait pas été pris en compte ;

- cette méthode de notation n'était pas irrégulière au regard des articles 1er et 53 du code des marchés publics ;

- la résiliation du marché ne pouvait être prononcée par le tribunal administratif dans la mesure où il n'était saisi que de conclusions aux fins d'annulation et d'indemnisation ;

- le tribunal administratif ne pouvait légalement faire droit à la demande d'indemnisation présentée par la société TFN Propreté Est dès lors que ce candidat n'aurait pas remporté le marché en l'absence du manquement invoqué ;

- le montant du préjudice n'est pas justifié ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il y avait lieu de calculer le manque à gagner subi par l'intéressée au regard de la durée théorique du marché, soit trois ans.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 juin 2018 et le 28 août 2018, la société TFN Propreté Est, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la CCI Grand Est au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'autorité de la chose jugée dans le cadre d'un référé précontractuel n'est pas opposable en l'espèce dès lors que l'objet du litige est distinct ;

- elle a parfaitement établi qu'elle a été lésée ou qu'elle risquait de l'être par l'irrégularité de la méthode de notation du critère relatif à la cohérence financière ;

- l'attestation du commissaire aux comptes produite par la CCI Grand Est ne saurait constituer une preuve suffisante et intangible de ce qu'elle n'aurait pas été attributaire du marché querellé ;

- les premiers juges ont motivé de façon détaillée en quoi l'illégalité du sous-critère relatif à la cohérence financière avait lésé l'entreprise ;

- le moyen tiré de l'illégalité de la méthode de notation n'est pas inopérant ;

- cette méthode a permis d'attribuer le marché à une entreprise dont l'offre était plus onéreuse, moins bonne techniquement que la sienne, et se trouvait en outre d'un montant supérieur à la moyenne des offres remises ;

- le tribunal n'a pas statué ultra petita et pouvait prononcer la résiliation du marché en application de la jurisprudence alors même que seule l'annulation du marché était demandée ;

- elle n'était pas dépourvue de toute chance sérieuse d'obtenir le marché ;

- le fait que le marché ait commencé à être exécuté n'a pas d'impact sur son préjudice.

En réponse à une mesure d'instruction, la CCI Grand Est a produit le 24 janvier 2019 les pièces demandées par la cour.

En application de l'article L. 611-1 du code de justice administrative, une partie seulement de ces pièces expurgées de toute information couverte par le secret des affaires a été communiquée aux parties.

Par un mémoire enregistré le 19 février 2019, la société Atalian Propreté Est, anciennement TFN Propreté Est, a présenté ses observations à la suite de cette communication.

Elle soutient en outre que la cour ne pourra pas se fonder sur les pièces qui ne lui ont pas été communiquées alors qu'elle avait des chances sérieuses d'emporter le marché.

Vu les autres pièces du dossier.

II. Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 2 mai 2018 et le 27 juin 2018, sous le n° 18NC01352, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) Grand Est, représentée par la SCP YvesC..., demande à la cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 20 mars 2018.

Elle soutient que :

- l'exécution de la décision de première instance est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables ;

- ses moyens d'annulation sont sérieux.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 juin 2018 et le 1er février 2019, la société TFN Propreté Est, dénommée désormais, Atalian Propreté Est, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la CCI Grand Est au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'appelante ne démontre pas, ni ne prétend que l'exécution du jugement, en tant qu'il l'a condamnée à indemniser son préjudice et à lui rembourser les frais exposés et non compris dans les dépens est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables pour elle ;

- elle ne présente aucun moyen sérieux à l'appui de sa requête.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Wallerich, président assesseur,

- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,

- les observations de MeC..., représentant la CCI Grand Est.

- et les observations de MeB..., représentant la société Atalian Propreté Est.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 4 novembre 2015, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Champagne-Ardenne, désormais fusionnée au sein de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) Grand Est, a lancé une consultation en vue de l'attribution d'un marché public de prestations de service pour le nettoyage de ses locaux comportant deux lots. Les sociétés TFN Propreté Est, AG-Net et Agenor Technipropre ont toutes trois présenté une offre pour le lot n°1. La société AG-Net ayant été déclarée attributaire de ce lot, la société TFN Propreté Est a été informée du rejet de son offre par un courrier du 14 janvier 2016. Par une ordonnance n°1600086 du 3 février 2016, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la procédure de passation du marché et autorisé le pouvoir adjudicateur à reprendre la procédure à compter de l'analyse des offres. A l'issue d'une seconde analyse des offres, la société Agenor Technipropre a été déclarée attributaire du lot n°1 et la société TFN Propreté Est a été informée du rejet de son offre par un courrier du 7 mars 2016. Le référé précontractuel qu'a formé cette dernière a également été rejeté par ordonnance n° 1600473 du 31 mai 2016 et l'acte d'engagement a été signé le 5 avril 2016. La CCI de Champagne-Ardenne ayant enfin gardé le silence sur la demande indemnitaire préalable qu'elle avait présentée le 27 mai 2016, la société TFN Propreté Est a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui, par jugement du 20 mars 2018, a prononcé la résiliation du marché et a condamné la CCI Champagne Ardenne à lui verser, outre intérêts et capitalisation, une somme de 70 194,54 euros en indemnisation de son manque à gagner en raison de l'irrégularité de son éviction. La CCI Grand Est relève appel de ce jugement et demande également qu'il soit sursis à son exécution.

2. Les deux requêtes, nos 18NC01306 et 18NC01352, sont dirigées contre un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement :

3. En premier lieu, pour estimer que la société TFN Propreté avait une chance sérieuse d'emporter le marché, le tribunal a indiqué, après avoir rappelé les dispositions utiles du règlement de consultation et analysé les notes obtenues par les sociétés candidates, qu'" en l'absence du manquement commis par la chambre de commerce et d'industrie, la société TFN Propreté Est aurait obtenu une note globale de 86,88/100 qui l'aurait classée en première position devant la société Agenor Technipropre qui a obtenu la note globale de 82,43/100 ". Contrairement à ce que soutient l'appelante, les premiers juges n'étaient pas tenus de désigner précisément les pièces du dossier sur lesquelles s'est appuyée cette motivation laquelle, en l'espèce, répond suffisamment aux exigences de l'article L. 9 du code de justice administrative.

4. En second lieu, en relevant que " saisi par un tiers, (...), de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours (...) se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer ", le tribunal s'est nécessairement interrogé sur le caractère opérant du moyen tiré du caractère irrégulier de la méthode de notation à l'origine de l'éviction du demandeur de première instance et n'a donc pas omis de répondre à l'argumentation en défense qui avait été soulevée en ce sens par la CCI Champagne Ardenne.

5. Il résulte de ce qui précède que la CCI Grand Est n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur l'exception de chose jugée :

6. Contrairement à ce que soutient la CCI Grand Est, la circonstance qu'un concurrent évincé ait d'abord formé un référé précontractuel afin d'obtenir l'annulation de la procédure de passation ne fait pas obstacle à ce qu'il saisisse ensuite le juge administratif d'un recours en contestation de la validité du contrat, dont l'objet est différent. Elle n'est donc pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif ait écarté l'exception de chose jugée qu'elle avait soulevée en première instance au regard du rejet par ordonnance du 31 mars 2016, devenue définitive, du référé précontractuel présenté par la société TFN Propreté Est.

Sur la validité du contrat :

7. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours de conclusions indemnitaires ainsi que d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi.

8. Le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini. Les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

9. Saisi par un tiers, dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

10. Aux termes de l'article 1er du code des marchés publics, alors en vigueur : " (...) II.-Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ces obligations sont mises en oeuvre conformément aux règles fixées par le présent code. ". Aux termes du I de l'article 53 du même code : " Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique, (...). D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ; 2° Soit, compte tenu de l'objet du marché, sur un seul critère, qui est celui du prix. ".

11. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en oeuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.

12. Il ressort de l'article 15-1 du règlement de consultation applicable au marché litigieux que le pouvoir adjudicateur a, pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse, retenu deux critères portant respectivement sur la valeur technique des offres et leur valeur financière, pondérés chacun à 50%. Ces dispositions prévoyaient également que le critère de la valeur financière était décomposé en trois sous-critères, eux-mêmes pondérés : le prix global de la tranche A (22%), le prix de la tranche B (6%) et la cohérence financière de la tranche A (22%).

13. Or, en décidant s'agissant de la notation du sous-critère de la cohérence financière de la tranche A, de retenir une méthode faisant dépendre la note de la comparaison du montant des offres avec la moyenne de toutes les offres reçues selon un échelonnement prévoyant d'attribuer la note de 22/22 aux offres d'un montant au plus, inférieur ou supérieur de 5% à cette moyenne, la note de 16/22 aux offres d'un montant au plus, inférieur ou supérieur de 6 à 10% à cette moyenne et ainsi de suite, le pouvoir adjudicateur a défini une méthode de notation ayant pour effet de priver de portée tant le sous-critère du prix global de la tranche A que celui de la valeur technique des offres.

14. Il résulte ainsi de l'instruction que l'offre de la société TFN Propreté Est a obtenu pour le critère de la valeur technique une note de 45/50 contre 40,50/50 pour la société Agenor Technipropre, société attributaire du marché en litige. En considération du seul critère du prix des offres pour les tranches A et B du marché, la société TFN Propreté Est aurait obtenu une note de 19,88/28 soit 35/50 pour le critère de la valeur financière contre 19,93/28 soit 35,58/50 pour la société Agenor Technipropre. Alors qu'à ce stade, le cumul des notes obtenues était favorable à la société TFN Propreté Est, l'application du sous-critère de la " cohérence financière de la tranche A ", consistant à attribuer la meilleure note à l'entreprise ayant proposé le prix le plus proche de la moyenne des offres, a conduit à n'attribuer à la société TFN Propreté Est qu'une note de 16/22 dès lors que son offre était inférieure de 8,45% à la moyenne des offres, soit un total au titre du critère de la valeur financière, de 35,88/50 alors que la société attributaire a obtenu la note maximale de 22/22 pour une offre supérieure de 2,41% à la moyenne des offres, soit un total au titre du critère de la valeur financière de 41,93/50.

15. Il suit de ce qui précède que cette méthode de notation, qui ne saurait être justifiée, contrairement à ce que soutient l'appelante, par le souci de détecter les offres anormalement basses dont le traitement s'opère exclusivement selon les modalités prévues à l'article 55 du code des marchés publics, est de nature à conduire à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie et qu'elle doit, par suite, être regardée comme irrégulière au regard des principes et règles énoncés aux articles 1er et 53 du code des marchés publics.

16. Il résulte également de l'instruction que le marché litigieux a été conclu à compter du 1er février 2016, pour une durée d'un an reconductible tacitement deux fois pour la même durée, soit jusqu'au 31 janvier 2019. Or à la date du jugement attaqué, ce contrat avait été exécuté pour plus des deux tiers de sa durée. Par suite, et alors qu'eu égard à ce qui a été dit au point 9 ci-dessus, le juge administratif peut régulièrement, lorsqu'il est seulement saisi d'une demande d'annulation du contrat, se borner à n'en prononcer que la résiliation, la nature du manquement commis par le pouvoir adjudicateur, constitué par l'irrégularité de la méthode de notation des offres, était de nature à justifier la résiliation immédiate du marché en litige.

17. Il résulte de ce qui précède que la CCI Grand Est n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a prononcé, à compter de la date de son jugement, la résiliation du marché signé le 5 avril 2016.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

18. D'une part, lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

19. D'autre part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de justice administrative : " Les exigences de la contradiction mentionnées à l'article L. 5 sont adaptées à celles de la protection du secret des affaires répondant aux conditions prévues au chapitre Ier du titre V du livre Ier du code de commerce ".

20. Si la CCI Grand Est se prévaut d'une attestation de son commissaire aux comptes aux termes de laquelle la société TFN Propreté Est n'aurait pas été lésée par le manquement retenu, dès lors que, indépendamment même de l'application du sous-critère de la cohérence financière, cette société ne se serait pas vu attribuer le marché, elle n'avait fourni, en première instance, aucune précision sur le détail des notes attribuées aux différents candidats et en particulier des trois premiers classés. Par une mesure d'instruction du 23 janvier 2019, la cour l'a, par conséquent, invitée à lui communiquer ces éléments et, en application des dispositions précitées de l'article L. 611-1 du code de justice administrative, elle n'a ensuite communiqué aux parties que la lettre du 2 mars 2016 adressée à la société AG Net Propreté Multiservice, candidate non retenue, dont ont été occultés les éléments susceptibles d'être couverts par le secret des affaires et qui, n'étant pas utiles pour la solution du litige, ne sont pas susceptibles de fonder celle-ci. Il résulte de cette instruction que la société AG Net Propreté Multiservice a obtenu une note de 43,25/50 sur le critère de la valeur technique et une note de 38,71/50 au titre de la valeur financière dont 16,71/22 pour la tranche A, 6/6 pour la tranche B et 16/22 pour la cohérence financière. Après neutralisation de ce dernier sous-critère, elle aurait ainsi obtenu une note de 22,71/28 soit 40,55/50 au titre de la valeur financière et totaliserait une note globale de 83,8/100 contre 80/100 pour la société TFN Propreté Est. Il s'ensuit que la société TFN Propreté Est dont l'offre aurait été, dans tous les cas, classée après celle de la société AG Net Propreté Multiservice n'est pas fondée à soutenir qu'elle avait une chance sérieuse d'obtenir le marché et pouvait ainsi prétendre à l'indemnisation de son manque à gagner.

21. En revanche, la société TFN Propreté Est qui n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché a droit au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre, soit un montant non contesté de 3 500 euros.

22. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la CCI Grand Est est seulement fondée à demander que l'indemnité, que le tribunal administratif l'a condamnée à verser à la société TFN Propreté Est, soit ramenée à la somme de 3 500 euros.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :

23. La cour se prononçant par le présent arrêt sur le bien-fondé du jugement du 20 mars 2018, les conclusions de la CCI Grand Est tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés aux instances :

24. Pour l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la société Atalian Propreté Est doit être regardée comme la partie perdante et par suite, il y a lieu de mettre à sa charge le versement à la CCI Grand Est d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Pour le même motif, les conclusions qu'elle a présentée sur le fondement de ces dispositions, à l'encontre de la CCI Grand Est doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 70 194,54 euros que la chambre de commerce et d'industrie Grand Est a été condamnée à verser à la société TFN Propreté Est, devenue Atalian Propreté Est, par l'article 2 du jugement n° 1601052 du 20 mars 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est ramenée à 3 500 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1601052 du 20 mars 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1601052 du 20 mars 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.

Article 4 : La société Atalian Propreté Est versera à la chambre de commerce et d'industrie Grand Est une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la chambre de commerce et d'industrie Grand Est et des conclusions de la société Atalian Propreté Est est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la chambre de commerce et d'industrie Grand Est, à la société Atalian Propreté Est et à la société Agénor Technipropre.

2

N° 18NC01306-18NC01352


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18NC01306-18NC01352
Date de la décision : 19/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-005 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés. Formalités de publicité et de mise en concurrence.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Marc WALLERICH
Rapporteur public ?: M. LOUIS
Avocat(s) : SCP YVES RICHARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-03-19;18nc01306.18nc01352 ?
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