La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/03/2019 | FRANCE | N°17NC02326

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 19 mars 2019, 17NC02326


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Comptoir Négoce Equipements a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne :

1°) d'ordonner, à titre principal, la reprise des relations contractuelles pour la réalisation des trois lots du marché conclu le 17 juillet 2014 par la communauté d'agglomération Reims Métropole, relatif à la fourniture de points lumineux et de supports de toutes natures pour les besoins liés à l'éclairage public et aux mises en lumière nécessaires aux travaux de gros entretien, d'extension

et de modernisation des réseaux sur le territoire de la communauté d'agglomération ;
...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Comptoir Négoce Equipements a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne :

1°) d'ordonner, à titre principal, la reprise des relations contractuelles pour la réalisation des trois lots du marché conclu le 17 juillet 2014 par la communauté d'agglomération Reims Métropole, relatif à la fourniture de points lumineux et de supports de toutes natures pour les besoins liés à l'éclairage public et aux mises en lumière nécessaires aux travaux de gros entretien, d'extension et de modernisation des réseaux sur le territoire de la communauté d'agglomération ;

2°) de condamner, à titre subsidiaire, la communauté d'agglomération Reims Métropole à lui verser une somme de 447 827,87 euros pour la période allant du 17 juillet 2014 au 17 juillet 2015 ou une somme de 1 028 647,52 euros sur la durée du marché, assortie des intérêts au taux contractuel à compter de la notification de la demande préalable indemnitaire ;

3°) de désigner, à titre encore plus subsidiaire, un expert en vue de déterminer le montant du bénéfice net qu'elle aurait pu tirer de l'exécution des trois marchés pour les années 2015, 2016 et 2017.

Par un jugement n° 1500644 du 8 août 2017, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande tendant à la reprise des relations contractuelles ainsi que sur la demande indemnitaire à hauteur d'une somme de 348 019,80 euros au titre de la période allant du 1er janvier au 28 février 2015 et a condamné la communauté urbaine du Grand Reims, venue aux droits de la communauté d'agglomération Reims Métropole, à verser à la société Comptoir Négoce Equipements une somme de 172 560,73 euros en réparation des préjudices subis du fait de la résiliation fautive des trois lots, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 mars 2015.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 25 septembre 2017, le 27 mars 2018 et le 5 novembre 2018, la communauté urbaine du Grand Reims, représentée par la SELARL Cabinet Cabanes - Cabanes Neveu Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 8 août 2017 en tant qu'il l'a condamnée à verser à la société Comptoir Négoce Equipements une somme de 172 560,73 euros en réparation des préjudices subis du fait de la résiliation fautive des marchés conclus le 17 juillet 2014 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par la société Comptoir Négoce Equipements ;

3°) de condamner la société Comptoir Négoce Equipements à lui verser une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;

4°) de mettre à la charge de la société Comptoir Négoce Equipements le versement d'une somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- la résiliation des trois marchés en litige a été prononcée par une autorité compétente ;

- une telle irrégularité, à la supposer établie, serait sans incidence sur le bien fondé de la résiliation et n'ouvre pas droit à une indemnité ;

- la résiliation est valablement fondée par un motif d'intérêt général en ce que le document " cadre de remise des propositions " du dossier de consultation des entreprises que les candidats devaient remplir pour les lots n° 1 et n° 2 faisait référence à des marques de fabricants sans comporter la mention " ou équivalent " et en ce que, s'agissant du lot n° 3, le détail quantitatif estimatif (DQE) que les candidats devaient remettre à l'appui de leur offre était pré-renseigné par des marques de fabricants, sans davantage comporter la mention " ou équivalent " ;

- cette référence à des marques déterminées dans les documents de la consultation a ainsi eu pour objet et pour effet d'éliminer certains produits en méconnaissance des dispositions de l'article 6 du code des marchés publics ;

- cette référence a également eu pour effet d'éliminer de nombreux candidats de la procédure de passation, seule la société Comptoir Négoce Equipements ayant été en mesure de répondre à la consultation ;

- d'ailleurs, lors de la consultation organisée en 2006, sans spécifications techniques par référence à des marques déterminées, vingt-sept candidats avaient soumissionné à l'attribution des lots et lors de la consultation engagée après la résiliation des lots en litige, sept offres ont été déposées ;

- en outre, la plainte d'un opérateur économique auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi a attesté des effets anticoncurrentiels de la référence à certaines marques ;

- la circonstance que les fournisseurs des différentes marques imposées par le pouvoir adjudicateur n'aient pas été dans une relation d'exclusivité avec la société Comptoir Négoce Equipements est sans incidence quant à l'effet dissuasif de l'absence de mention " ou équivalent " dans les documents de la consultation dès lors que les produits demandés étaient parfaitement courants, fabriqués et commercialisés par de nombreuses marques et pas seulement celles visées dans les cahiers des charges ;

- il n'est pas établi que les titulaires des marchés passés à la suite de la résiliation des lots en litige ont fourni en réalité des matériels des marques initialement demandées sans produire d'équivalent et, au demeurant, cette circonstance est sans incidence quant à la méconnaissance avérée des dispositions de l'article 6 du code des marchés publics ;

- la résiliation pour motif d'intérêt général n'est pas constitutive d'une faute quand bien même la personne publique serait à l'origine de l'irrégularité qui l'a conduite à la prononcer ;

- la société Comptoir Négoce Equipements ne peut prétendre à une indemnisation des bons de commande non passés, ce préjudice étant éventuel dès lors que les lots ont été conclus sans minimum garanti ;

- la circonstance que la société Comptoir Négoce Equipements a été titulaire de précédents marchés ayant donné lieu à un certain volume de commandes est sans incidence quant à la réalité et au quantum du préjudice éventuellement subi au titre des lots résiliés ;

- le caractère certain du préjudice ne saurait être démontré à partir des conditions d'exécution du marché ultérieurement passé par la communauté urbaine du Grand Reims et il en est de même pour son quantum, s'agissant des commandes qui auraient pu être passées entre le 1er avril et le 17 juillet 2015 dès lors que ce nouveau marché comportait des prix et des produits différents ;

- le préjudice de perte de marge nette de la société Comptoir Négoce Equipements présente un caractère purement éventuel ;

- subsidiairement, la société Comptoir Négoce Equipements n'établit pas de manière suffisante le taux de marge de 14,7 % sur lequel elle assoit sa demande ;

- la société Comptoir Négoce Equipements exécute actuellement, au titre des marchés relancés, les mêmes prestations que celles dont elle avait la charge dans le cadre de précédents marchés ;

- elle n'établit pas la réalité d'un préjudice lié à l'acquisition de moyens humains pour répondre à l'appel d'offres des lots en litige et à leur exécution et subsidiairement, le quantum de ce préjudice ne peut couvrir que la période allant jusqu'au 1er avril 2015, date de prise d'effet de la résiliation ;

- la communauté urbaine du Grand Reims a déjà réglé l'intégralité des prestations réalisées par la société Comptoir Négoce Equipements pour un montant de 348 019,80 euros toutes taxes comprises ;

- l'irrégularité éventuelle de la résiliation n'a pas lésé la société Comptoir Négoce Equipements ;

- l'article 33 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS) de 2009 prévoit des stipulations particulières d'indemnisation en cas de résiliation pour un motif d'intérêt général ;

- certains passages des écritures de la société Comptoir Négoce Equipements sont diffamatoires et justifient l'allocation d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;

- l'utilité d'une expertise n'est pas établie.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 février 2018, 19 octobre 2018, 6 novembre 2018, la société Comptoir Négoce Equipements, représentée par Me B...de la SELARL CabinetB... - A... - Associés, demande à la cour :

1°) avant dire droit, de désigner un expert ;

2°) de rejeter la requête d'appel ;

3°) d'annuler le jugement en tant qu'il n'a pas condamné la communauté urbaine du Grand Reims au titre des préjudices subis pour les années 2016 et 2017 ;

4°) de condamner la communauté urbaine du Grand Reims à lui verser au titre de l'année 2016 une somme de 170 560,73 euros en réparation des préjudices subis du fait de la résiliation fautive des trois marchés publics ;

5°) de condamner la communauté urbaine du Grand Reims à lui verser au titre de l'année 2017 une somme de 170 560,73 euros en réparation des préjudices subis du fait de la résiliation fautive des trois marchés publics ;

6°) de mettre à la charge de la communauté urbaine du Grand Reims le versement d'une somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête n'est pas recevable en l'absence de délibération autorisant la présidente de la communauté urbaine du Grand Reims à ester en justice ;

- la résiliation a été prononcée par une autorité incompétente ;

- elle n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général ;

- la société Comptoir Négoce Equipements n'a jamais été le distributeur exclusif des marques figurant dans les cahiers des charges ;

- les marques référencées dans ces cahiers n'ont eu aucune incidence sur la concurrence dès lors que tous les opérateurs économiques pouvaient, sans aucune restriction, les proposer ;

- les cahiers des charges faisaient également référence à plusieurs marques, et, de ce fait, n'ont pas été susceptibles de favoriser un distributeur en particulier ;

- ainsi, la référence à plusieurs marques n'a pas eu pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques au sens de l'article 6 du code des marchés publics et encore moins de favoriser l'attribution du marché à la société Comptoir Négoce Equipements ;

- le motif d'intérêt général invoqué pour le lot n° 3 n'est pas fondé en l'absence de référence à une quelconque marque de produit ;

- la référence à des marques dans les cahiers des charges constitue une faute exclusivement imputable à la communauté urbaine du Grand Reims et qui est seule à l'origine de ses préjudices ;

- dans le cas d'un marché à bons de commande irrégulièrement résilié qui ne comporte pas un minimum en valeur ou quantité, le titulaire est en droit de réclamer le manque à gagner de tous les préjudices subis dès lors qu'il est en mesure d'en établir le caractère certain ;

- postérieurement à la résiliation du marché, la communauté urbaine du Grand Reims a attribué des prestations qui entraient dans le champ des marchés résiliés à d'autres prestataires, de sorte qu'en l'absence de résiliation, ces prestations lui étaient nécessairement garanties car les lots auraient été reconduits ;

- son taux de marge nette de 14,70 % ressort de sa comptabilité analytique et il est certifié par son commissaire aux comptes sans jamais avoir été contesté ;

- la résiliation prononcée par la communauté urbaine du Grand Reims étant fautive, les stipulations de l'article 33 du CCAG-FCS de 2009 limitant à 5 % le montant de l'indemnité ne sont pas applicables ;

- les quantités commandées par la communauté urbaine du Grand Reims n'ont pas varié depuis 2011 ;

- si elle avait pu exécuter le marché jusqu'au terme de l'année 2015, elle aurait pu espérer réaliser un bénéfice net annuel de 185 088,12 euros et sur la durée totale du marché, son bénéfice net aurait été de 740 352,48 euros ;

- le préjudice est certain non seulement pour l'année 2015 mais aussi pour les années 2016 et 2017 puisqu'il est établi que la communauté urbaine du Grand Reims a continué à commander des fournitures correspondant aux trois lots résiliés ;

- une expertise pourrait s'avérer utile pour déterminer le volume et le montant des commandes correspondant à l'objet des lots du marché résilié et que la communauté urbaine du Grand Reims a effectuées auprès des sociétés SCEE et SPIE Est ainsi qu'avec d'autres opérateurs économiques.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des marchés publics ;

- la loi du 29 juillet 1881 ;

- l'arrêté du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel, premier conseiller,

- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour la communauté urbaine du Grand Reims ainsi que celles de Me A...pour la société Comptoir Négoce Equipements.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) et au Journal officiel de l'Union Européenne (JOUE), la communauté d'agglomération Reims Métropole a lancé une procédure de passation sous la forme d'un appel d'offres ouvert pour l'attribution d'un marché public ayant pour objet, sur une durée d'un an renouvelable deux fois, la fourniture de points lumineux, supports et pièces détachées. Le marché a été décomposé en trois lots distincts ayant pour objet la fourniture de points lumineux (lot n° 1), la fourniture de supports (lot n°2) et la fourniture de pièces détachées (lot n°3). Ces trois lots ont été attribués à la société Comptoir Négoce Equipements et l'exécution des prestations a débuté le 1er janvier 2015. Dès le 5 février 2015, toutefois, la communauté d'agglomération Reims Métropole l'a informée de la résiliation des trois lots à compter du 1er avril 2015 en se prévalant des risques liés aux incertitudes qui auraient affecté la consultation. Saisi par la société Comptoir Négoce Equipements d'une demande tendant à la reprise des relations contractuelles, assortie de conclusions indemnitaires, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions en reprise des relations contractuelles mais a condamné la communauté urbaine du Grand Reims, venue aux droits de la communauté d'agglomération Reims Métropole, à verser à la société Comptoir Négoce Equipements une somme de 172 560,73 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 25 mars 2015, en réparation des préjudices subis, au titre de l'année 2015, du fait de la résiliation des trois lots, regardée comme fautive. La communauté urbaine du Grand Reims relève appel de cette condamnation et, par la voie de l'appel incident, la société Comptoir Négoce Equipements fait également appel du jugement en tant qu'il n'y a pas inclus l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis au titre des années 2016 et 2017.

Sur la recevabilité de l'appel principal :

2. Aux termes de l'article L. 5211-2 du code général des collectivités territoriales : " A l'exception de celles des deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 2122-4, les dispositions du chapitre II du titre II du livre Ier de la deuxième partie relatives au maire et aux adjoints sont applicables au président et aux membres du bureau des établissements publics de coopération intercommunale, en tant qu'elles ne sont pas contraires aux dispositions du présent titre ". Aux termes de l'article L. 5211-9 de ce code : " Le président est l'organe exécutif de l'établissement public de coopération intercommunale (...) / Il représente en justice l'établissement public de coopération intercommunale (...) ". Selon l'article L. 5211-10 du même code : " Le président, les vice-présidents ayant reçu délégation ou le bureau dans son ensemble peuvent recevoir délégation d'une partie des attributions de l'organe délibérant (...) ". Enfin, selon l'article L. 2122-22 de ce code : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (...) 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'organe délibérant d'un établissement public de coopération intercommunale peut légalement donner à l'organe exécutif une délégation générale pour ester en justice au nom de l'établissement.

3. Par une délibération du 9 janvier 2017, le conseil de la communauté urbaine du Grand Reims a donné délégation à la présidente de décider, au nom de la communauté urbaine, des actions en justice, en demande ou en défense devant l'ensemble des juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la société Comptoir Négoce Equipements et tirée de l'absence d'habilitation à ester en justice de la présidente de la communauté urbaine du Grand Reims doit être écartée.

Sur le motif retenu par le tribunal administratif pour déterminer le droit à indemnisation et tiré du caractère fautif de la résiliation :

4. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 29 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services, applicable en vertu de l'article 5 du cahier des clauses administratives particulières du marché : " Le pouvoir adjudicateur peut également mettre fin, à tout moment, à l'exécution des prestations pour un motif d'intérêt général (...) ".

5. Aux termes du IV de l'article 6 du code des marchés publics, alors en vigueur : " Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier ou d'une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu'une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l'objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle et à la condition qu'elle soit accompagnée des termes : " ou équivalent (...) ". Pour l'application de ces dispositions, il y a lieu d'examiner si la spécification technique a ou non pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits, puis, dans l'hypothèse seulement d'une telle atteinte à la concurrence, si cette spécification est justifiée par l'objet du marché ou, si tel n'est pas le cas, si une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle et à la condition qu'elle soit accompagnée des termes " ou équivalent ".

6. Il résulte du document " cadre de remise des propositions " des lots n° 1 et n° 2 en litige figurant au règlement de la consultation que les candidats étaient tenus, à peine d'irrégularité de leur offre, de recourir aux fabricants présélectionnés par le pouvoir adjudicateur, pour huit sur quatorze produits s'agissant du lot n° 1 et deux sur cinq pour le lot n° 2. Par ailleurs, le détail quantitatif estimatif du lot n° 3 que les candidats devaient également remettre à peine d'irrégularité de leur offre était intégralement pré-renseigné par le pouvoir adjudicateur quant aux produits des fabricants à utiliser. Il résulte de l'instruction et il n'est d'ailleurs pas contesté que pour aucun de ces trois lots, les références à des fabricants ou à des produits de fabricants ainsi imposées par le pouvoir adjudicateur n'étaient accompagnées, dans les documents du marché, de la mention " ou équivalent ".

7. Or, il résulte de l'instruction et notamment de la lettre de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du 9 janvier 2015 adressée à la communauté urbaine du grand Reims à la suite d'une plainte d'une entreprise distributrice de matériel d'éclairage de l'agglomération rémoise, qu'en 2006, pour la satisfaction, sur ce territoire, de besoins identiques en fourniture de points lumineux et de supports, vingt-sept candidats, parmi lesquels se trouvaient à la fois des fabricants et des distributeurs, avaient présenté des offres pour les quatre lots à attribuer, alors que les documents de cette consultation comportaient la mention " ou équivalent ". A l'inverse, il n'est pas contesté que les deux consultations suivantes organisées par la même collectivité en 2010 puis en 2014 pour la satisfaction des mêmes besoins en matière d'éclairage public, et dont les documents ne comportaient pas cette mention, n'ont donné lieu qu'à la présentation de la seule candidature de la société Comptoir Négoce Equipements, qui a ainsi obtenu les marchés. Il résulte enfin de l'instruction qu'à la suite de la résiliation des marchés en litige, et alors que pour la consultation lancée en juillet 2015 et ayant le même objet, la mention " ou équivalent " avait été rétablie, ce sont sept offres qui ont, cette fois, été remises.

Il doit être déduit des constatations qui précèdent que la référence fermée à des marques dans les documents de la consultation des lots en litige a eu pour effet, au sens de l'article 6 du code des marchés publics, de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou produits, et ce, indépendamment même de la circonstance, à la supposer avérée, qu'à la date de conclusion des marchés ultérieurement résiliés, la société Comptoir Négoce Equipements et les fabricants mentionnés dans les documents de la consultation aient pu ne pas être liés par des contrats d'exclusivité.

8. Il ne résulte enfin pas de l'instruction et il n'est pas davantage allégué que la référence à des marques ou aux produits de fabricants dans les lots en litige était justifiée par l'objet des marchés ni qu'une description suffisamment précise et intelligible de cet objet n'était pas possible sans elle.

9. Dans ces conditions, la communauté urbaine du Grand Reims a pu légalement estimer qu'en raison du risque d'illégalité affectant la conclusion de ces marchés au regard des dispositions du IV de l'article 6 du code des marchés publics, leur résiliation pouvait être prononcée pour motif d'intérêt général sur le fondement des stipulations précitées l'article 29 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la communauté urbaine du Grand Reims est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a estimé que la résiliation des lots nos 1, 2 et 3 pour un motif d'intérêt général était fautive et qu'il a déterminé, en conséquence, le droit à indemnité de la société Comptoir Négoce Equipements.

Sur le préjudice :

11. Aux termes de l'article 33 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de fournitures et de service : " Lorsque le pouvoir adjudicateur résilie le marché pour motif d'intérêt général, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations admises, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 %. / Le titulaire a droit, en outre, à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d'apporter toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l'indemnité dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché. / Ces indemnités sont portées au décompte de résiliation, sans que le titulaire ait à présenter une demande particulière à ce titre ".

12. En premier lieu, il résulte des stipulations précitées qui déterminent l'étendue et les modalités de l'indemnisation du cocontractant en cas de résiliation pour motif d'intérêt général, que la société Comptoir Négoce Equipements ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte de marge nette qu'elle invoque au titre de son préjudice du fait de la résiliation fautive des marchés pour les années 2015, 2016 et 2017.

13. En deuxième lieu, si la société Comptoir Négoce Equipements demande le versement d'une somme de 25 125,13 euros hors taxes pour la période allant du 17 juillet 2014 au 17 juillet 2015, correspondant au coût d'un de ses salariés ayant eu pour fonction de répondre à l'appel d'offre et de suivre l'exécution des lots, elle n'établit pas que ce coût n'aurait pas été incorporé dans le prix de son offre.

14. En dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la communauté urbaine du Grand Reims n'aurait pas réglé à la société Comptoir Négoce Equipements l'ensemble des prestations commandées qu'elle avait réalisées au titre des trois lots en litige jusqu'à la date de prise d'effet de la résiliation.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté urbaine du Grand Reims est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'a condamnée à verser à la société Comptoir Négoce Equipements la somme de 172 560,73 euros, en principal, en réparation des préjudices subis du fait de la résiliation des trois lots du marché conclu le 17 juillet 2014. Pour les mêmes motifs, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, il y a lieu de rejeter les conclusions de la société Comptoir Négoce Equipements tendant à ce que, par la voie de l'appel incident, cette indemnisation soit augmentée de 341 121,46 euros.

Sur les conclusions de la communauté urbaine du Grand Reims tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :

16. Les quatrième à sixième alinéas de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui, en vertu des dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, sont applicables au Conseil d'Etat, aux cours administratives d'appel et aux tribunaux administratifs, disposent que : " Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. / Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. / Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers ".

17. Le passage du premier mémoire en défense de la société Comptoir Négoce Equipements, enregistré le 8 février 2018, qui, au point IV-4 de sa page 19, commence par les mots " La Cour administrative " et se terminant par les mots " pour les années 2015, 2016 et 2017 " excède le droit à la libre discussion et présente un caractère diffamatoire. Par suite, il y a lieu d'en prononcer la suppression. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la communauté urbaine du Grand Reims tendant à la condamnation de leur auteur à des dommages-intérêts.

Sur les frais liés à l'instance :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la communauté urbaine du Grand Reims, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Comptoir Négoce Equipements demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Comptoir Négoce Equipements le versement d'une somme de 1 500 euros à la communauté urbaine du Grand Reims sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1500644 du 8 août 2017 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé en tant qu'il a condamné la communauté urbaine du Grand Reims à verser à la société Comptoir Négoce Equipements une somme de 172 560,73 euros en principal.

Article 2 : Le passage du premier mémoire en défense de la société Comptoir Négoce Equipements, enregistré le 8 février 2018, qui, au point IV-4 de sa page 19, commence par les mots " La Cour administrative " et se terminant par les mots " pour les années 2015, 2016 et 2017 " est supprimé.

Article 3 : La société Comptoir Négoce Equipements versera à la communauté urbaine du Grand Reims une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la communauté urbaine du Grand Reims et l'appel incident de la société Comptoir Négoce Equipements sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté urbaine du Grand Reims et à la société Comptoir Négoce Equipements.

2

N° 17NC02326


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17NC02326
Date de la décision : 19/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-04-02-03 Marchés et contrats administratifs. Fin des contrats. Résiliation. Droit à indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Alexis MICHEL
Rapporteur public ?: M. LOUIS
Avocat(s) : CABINET CABANES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-03-19;17nc02326 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award