Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E...A...a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 27 avril 2018 par lequel le préfet de l'Yonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Par un jugement n° 1801159 du 3 mai 2018, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a, d'une part, annulé cet arrêté et a, d'autre part, enjoint au préfet de l'Yonne de délivrer à M. E...A...une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 juin 2018, le préfet de l'Yonne, représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 3 mai 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E...A...devant le tribunal administratif de Nancy.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a annulé son arrêté en retenant le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 8° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les autres moyens de la demande ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. E...A..., pour lequel il n'a pas été produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Wallerich, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant guinéen, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, au mois d'avril 2018. Se déclarant mineur, il a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du conseil départemental de l'Yonne qui ont procédé à une évaluation de sa minorité. L'intéressé ayant été reconnu majeur, notamment à la suite d'un test osseux, le préfet de l'Yonne par un arrêté du 27 avril 2018, lui a fait obligation de quitter le territoire français, sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un jugement du 3 mai 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté. Le préfet de l'Yonne relève appel de ce jugement.
Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :
2. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans ; (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. Aux termes de l'article 388 du code civil : " Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé. /Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur. Le doute profite à l'intéressé. /En cas de doute sur la minorité de l'intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d'un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires ".
4. Pour justifier l'obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre
de M.A..., le préfet de l'Yonne s'est fondé notamment sur les circonstances que selon le rapport des services de l'aide à l'enfance du département de l'Yonne, qui l'ont pris en charge dans un premier temps et ont procédé à une évaluation de sa minorité et de son état d'isolement, l'intéressé serait majeur et que les résultats des examens radiographiques de son bassin, de son poignet et de sa main gauche, réalisés au centre d'imagerie médicale d'Avallon, sur réquisition du procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Auxerre, ont mis en évidence que l'intéressé a un âge osseux supérieur à dix-huit ans. S'il ressort de l'avis du médecin qui a procédé aux tests osseux que ces résultats doivent être relativisés compte tenu d'un possible écart d'un à deux ans, l'évaluation réalisée par les services du conseil départemental repose également sur les incohérences du récit de l'intéressé, son parcours pour venir en France ainsi que sur la scolarité suivie par sa fratrie. Dans cette mesure, et en l'absence de tout acte d'état civil, le préfet de l'Yonne doit être regardé comme apportant les éléments de nature à établir que M. A...était majeur à la date de la décision contestée.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif a retenu un motif erroné pour annuler son arrêté.
6. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif de Nancy.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, par un arrêté du 28 août 2017 régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département du même jour, le préfet de l'Yonne a donné à Mme Françoise Frugier, secrétaire générale de la préfecture, délégation pour signer " tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents " à l'exception de certains actes dont ne fait pas partie la décision attaquée. Ce même arrêté prévoit en son article 2 qu'en cas d'absence ou d'empêchement de MmeC..., ses fonctions seront exercées par MmeD..., directrice de cabinet et signataire de l'arrêté contesté. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme C...n'aurait pas été absente ou empêchée le 27 avril 2018, date des décisions litigieuses. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté doit être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union (...) 2. Ce droit comporte notamment : - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Aux termes de son article 51 : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union (...) ".
9. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne C-383/13 PPU du 10 septembre 2013, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et en particulier du rapport de son audition du 26 avril 2018 par les services de gendarmerie départementale d'Avallon que contrairement à ce qui est allégué, M. A...été informé de ce qu'une décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai était susceptible d'être prononcée à son encontre. L'intéressé a ainsi été mis à même de présenter, de manière effective et utile, les informations pertinentes tenant à sa situation personnelle avant que ne soit prise la mesure d'éloignement. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour :
10. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) III. - L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger (...). / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
11. Il ressort de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.
12. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace.
13. La décision en litige vise les dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et énonce que M. A...est célibataire, dépourvu de toute attache familiale sur le territoire français et que la sollicitation d'un droit au séjour sur une fausse identité dans le but d'obtenir un avantage indu caractérise une menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, la décision attaquée comporte l'ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde et est ainsi suffisamment motivée.
14. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. A...n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision en litige.
15. Il ressort des pièces du dossier que M. A...ne justifie pas d'une entrée régulière sur le territoire français et que celle-ci est récente. En outre, il est célibataire, sans enfant, et se déclare sans ressources. Par ailleurs, il n'établit pas être isolé dans son pays d'origine où résident son père et sa fratrie. Il résulte de ces éléments que le préfet de l'Yonne n'a pas, en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, fait une inexacte application des dispositions précitées.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Yonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 27 avril 2018 en litige. Il y a lieu, par suite, d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Nancy.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1801159 du 3 mai 2018 du tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Nancy est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... A....
Copie en sera adressée au préfet de l'Yonne.
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N° 18NC01715