Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...D...a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner solidairement le département de la Marne et la commune de Cormontreuil à lui verser une somme de 498 711,70 euros en réparation des préjudices que lui ont causés les travaux publics réalisés à proximité de son commerce.
Par un jugement n° 1502086 du 12 octobre 2017, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 décembre 2017 et 11 avril 2018, M. D..., représenté par MeE..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 12 octobre 2017 ;
2°) de condamner solidairement le département de la Marne et la commune de Cormontreuil à lui verser une somme de 498 711,70 euros ;
3°) de mettre solidairement à leur charge le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité sans faute de la commune de Cormontreuil et du département de la Marne est engagée en raison du préjudice anormal et spécial qu'il a subi du fait des travaux réalisés ;
- il a intérêt à agir ;
- les difficultés économiques de son commerce qui avaient débuté lors d'une première période de travaux en 2009, se sont aggravées en 2011, du fait de la durée des travaux alors entrepris qui, pendant sept mois, ont compliqué l'accès des piétons et le stationnement pour les véhicules, et ont dissuadé les clients de s'approvisionner à sa boulangerie située au 21 rue Victor Hugo ;
- il a également eu à faire face à des difficultés d'approvisionnement en matières premières au sein de l'établissement principal dans lequel l'ensemble des denrées étaient fabriquées et à des problèmes de chargement des produits destinés à la livraison ;
- il justifie désormais de la ventilation de son chiffre d'affaires par établissements ;
- son activité a été placée en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire à cause des travaux et il a ainsi subi un préjudice économique d'un montant de 369 711,70 euros, correspondant à la réparation de la perte de chance de céder correctement son fonds de commerce ;
- il a également subi un préjudice moral à hauteur d'une somme de 30 000 euros ;
- son préjudice matériel, représentant la perte de salaire subi depuis la liquidation de son activité, s'élève à une somme de 99 000 euros ;
- subsidiairement, la responsabilité pour faute de la commune est engagée du fait des changements dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies puisque ces modifications ont eu pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique où est situé son commerce.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 mars 2018 et le 15 mars 2018, la commune de Cormontreuil, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. D... le versement d'une somme de 9 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- M. D...ne justifie pas d'un préjudice anormal et spécial ;
- l'accès à la boulangerie est demeuré possible lors des travaux ;
- M. D...a toujours pu assurer l'approvisionnement de son commerce ;
- il n'apporte pas la preuve qui lui incombe d'un lien de causalité entre les travaux réalisés et les préjudices allégués ;
- la baisse de son chiffre d'affaires avait débuté dès l'année 2009, avant la réalisation des travaux rue Victor Hugo ;
- en l'absence de comptabilité analytique, il n'est pas possible de déterminer les chiffres d'affaires et les résultats de chacun des établissements de M.D... ;
- les grands livres comptables de ses établissements pour la période allant d'octobre 2008 à juin 2011 ne démontrent ni la réalité d'un préjudice ni un lien de causalité entre les travaux et les dommages invoqués ;
- M. D...n'apporte pas d'éléments relatifs à une baisse de la fréquentation ;
- la baisse de son chiffre d'affaires est vraisemblablement liée à la gestion déficiente de son activité ;
- il ne justifie pas d'un préjudice lié à la perte de chance de céder son fonds de commerce ;
- M. D...n'apporte pas la preuve que l'accès à son commerce rue Victor Hugo a été impossible au cours de la réalisation des travaux ni après leur achèvement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2018, le département de la Marne, représenté par Me C...de la SELARL C...et Associés, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) subsidiairement, de condamner la commune de Cormontreuil à le garantir à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à son encontre ;
3°) de mettre à la charge de M. D...le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- M. D... n'apporte pas la preuve d'un lien de causalité entre la baisse alléguée de son activité et les travaux entrepris ;
- en l'absence de production par M. D...des pièces comptables pour les années 2007 à 2012 de ses différents établissements, la baisse du chiffre d'affaires ne saurait être considérée comme imputable aux travaux réalisés rue Victor Hugo ;
- au vu des pièces comptables versées au dossier par M.D..., les pertes de chiffre d'affaires semblent liées au développement de son activité par l'ouverture de deux autres établissements ;
- les difficultés économiques de M. D...ont commencé avant la réalisation des travaux de l'année 2011 ;
- M. D...n'a pas subi un préjudice anormal et spécial ;
- les travaux réalisés en 2011 n'ont duré que cinq mois ;
- au cours de cette période, des mesures spécifiques ont été prises afin de sauvegarder l'accès à la boulangerie ;
- il a bénéficié des aménagements liés aux travaux ;
- seule une perte de bénéfice peut être indemnisée ;
- la perte de bénéfice est imputable à la politique de développement entreprise par M. D..., qui a ouvert une troisième enseigne et dont l'imprudence a causé la faillite de son établissement ;
- subsidiairement, la commune de Cormontreuil doit être condamnée, en sa qualité de maître d'ouvrage des travaux de réfection du trottoir, à le garantir à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à son encontre.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michel, premier conseiller,
- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,
- et les observations de Me E...pour M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., boulanger-pâtissier, a acquis le 24 août 2004 un fonds de commerce situé au 21 rue Victor Hugo à Cormontreuil et a développé son activité par l'acquisition de deux nouveaux fonds le 15 février 2007 et le 15 février 2011, situés respectivement 5 avenue du Roussillon à Cormontreuil et 1 rue Brûlart à Reims. Il relève appel du jugement du 12 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la commune de Cormontreuil et du département de la Marne à lui verser une somme de 498 711,70 euros en réparation des préjudices économique, matériel et moral que lui ont causés les travaux publics réalisés à proximité de son établissement principal du 21 rue Victor Hugo.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. D'une part, le maître de l'ouvrage est responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public. Il appartient toutefois à la victime qui entend obtenir réparation des dommages qu'elle estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle elle a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice.
3. D'autre part, si, en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant soit de changements effectués dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies publiques, soit de la création de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique.
4. Il résulte de l'instruction que dans le cadre d'un programme de travaux sur la route départementale n° 8 et dans le centre-ville de la commune de Cormontreuil, des aménagements de la voirie et des trottoirs de la route de Taissy ont été réalisés de juin à novembre 2009 et que les derniers travaux de cette opération, réalisés pendant près de sept mois en 2011, ont notamment concerné la réfection de la rue Victor Hugo, où se trouve le premier établissement de M.D..., et ont conduit à une modification du plan de circulation dans ce secteur.
5. En premier lieu, M. D...ne demande pas, au titre de la réparation de son préjudice économique, l'indemnisation de la perte de marge commerciale qui serait la conséquence des opérations en litige, mais seulement celle de la perte de chance qu'il aurait, selon lui, subie du fait de la mise en liquidation judiciaire de son activité, de la possibilité de céder son fonds de commerce pour un montant qu'il estime à 369 711,70 euros. Toutefois, alors qu'il n'établit pas ni même n'allègue avoir eu l'intention, avant les travaux, de céder ce fonds, il ne résulte pas de l'instruction, au vu notamment des pièces versées au dossier par M.D..., que ces travaux soient la cause directe de la situation ayant conduit au redressement puis à la liquidation de son activité. Par suite, ses conclusions tendant à la réparation de son préjudice économique par le versement d'une indemnité correspondant à cette estimation ne peuvent qu'être rejetées.
6. De même, en deuxième lieu, si M. D...soutient avoir subi une perte de salaire de 99 000 euros depuis la liquidation de son activité, il n'établit pas davantage que cette situation aurait pour causes directes la réalisation des travaux en litige ou les modifications apportées à la circulation générale. Dès lors, ses conclusions tendant à la réparation de ce préjudice matériel doivent être rejetées.
7. En dernier lieu, les pièces versées au dossier par M. D...ne permettent pas d'établir que, d'une part, la pathologie dorsale qui lui a valu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé le 19 juin 2014 et les troubles anxio-dépressifs dont il souffre, et, d'autre part, l'état de santé de son épouse et leur divorce en 2013, présenteraient un lien de causalité directe avec les opérations en litige. Par conséquent, ses conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice moral qu'il estime à la somme de 30 000 euros ne peuvent qu'être également rejetées.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département de la Marne et de la commune de Cormontreuil, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement de la somme que M. D... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D...le versement des sommes que le département de la Marne et la commune de Cormontreuil demandent sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du département de la Marne et de la commune de Cormontreuil présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à la commune de Cormontreuil et au département de la Marne.
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N° 17NC03033