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22/11/2018 | FRANCE | N°18NC01044

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 22 novembre 2018, 18NC01044


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 16 octobre 2017 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 1705789 du 15 février 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

:

Par une requête enregistrée le 29 mars 2018, M. A...B..., représenté par Me C..., demande à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 16 octobre 2017 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 1705789 du 15 février 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 mars 2018, M. A...B..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1705789 du 15 février 2018 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 16 octobre 2017 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de l'admettre au séjour et de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, subsidiairement de réexaminer sa situation, et dans les deux cas, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'intervalle ;

4°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son avocate au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. B...soutient que :

En ce qui concerne le refus de séjour :

- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, eu égard à l'ancienneté de son séjour en France, à ses efforts d'intégration sociale et professionnelle, à ses attaches personnelles et familiales en France et à son isolement dans son pays d'origine ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation, dès lors que, bien qu'informé de son état de santé, il ne s'est pas assuré de sa capacité à voyager sans risque vers son pays d'origine ;

- son état de santé ne lui permet pas de voyager sans risque vers son pays d'origine ;

En ce qui concerne la décision relative au pays de destination :

- la décision est illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2018, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.

M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 17 avril 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Rees, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A...B..., ressortissant kosovar né en 1983, est entré irrégulièrement en France le 26 octobre 2009. Ses demandes d'admission au séjour au titre de l'asile, puis en raison de son état de santé et de ses attaches personnelles et familiales en France, ont toutes été rejetées. Le 2 août 2017, il a sollicité une nouvelle fois son admission au séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 16 octobre 2017, le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai.

2. M. B...relève appel du jugement du 15 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

3. Il ressort des pièces du dossier que M. B...s'est vu accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du 17 avril 2018. Dès lors, il n'y a plus lieu de statuer sur ses conclusions tendant à l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne la décision de refus de séjour :

4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance - 2° - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".

5. M. B...soutient qu'il était présent en France depuis 8 ans à la date de l'arrêté attaqué, que son père et son frère y résident, qu'il a vécu pendant 4 ans avec une Française, qu'il n'a plus d'attache dans son pays d'origine, sa mère étant décédée, son autre frère résidant en Serbie et sa soeur, aux Etats-Unis, qu'il maîtrise la langue française et qu'il bénéficie d'une promesse d'embauche en tant que coiffeur. Toutefois, M. B...est célibataire et sans enfant, et alors que son père n'est entré en France qu'en octobre 2017 pour y demander l'asile, que son frère y séjourne de manière irrégulière et que la relation dont il fait état avec une Française a pris fin en 2016, il ne se prévaut d'aucune attache personnelle ou familiale stable en France. Ainsi, bien que la durée de son séjour soit significative, il ne justifie pas qu'elle lui a permis de nouer des liens personnels et familiaux anciens, stables et intenses en France. Par ailleurs, même s'il a quitté son pays d'origine en 2009, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il n'y ait plus d'attache, alors qu'il y a vécu jusqu'à l'âge de 26 ans. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a refusé de l'admettre au séjour. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations et dispositions précitées doit être écarté.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

6. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; (...) ".

7. Il ressort des certificats médicaux produits par M. B...qu'il souffre d'un stress post-traumatique d'intensité sévère associé à un risque suicidaire élevé, pour lequel il bénéficie d'un traitement médicamenteux, ainsi que d'un suivi psychiatrique régulier depuis septembre 2014. Par ailleurs, dans un avis du 30 août 2016, le médecin de l'agence régionale de santé a indiqué que l'état de santé de l'appelant nécessite un traitement dont le défaut peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et que si M. B...peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, son état de santé ne lui permet pas de voyager sans risque vers ce pays. Cet avis, favorable au requérant sur ce dernier point, est de nature à faire présumer que son état de santé ne lui permet pas de voyager sans risque vers son pays d'origine. Le préfet n'en conteste pas le bien-fondé à la date à laquelle il a été émis, et si la décision attaquée est intervenue plus d'un an après, le préfet n'apporte aucun élément de nature à démontrer que l'état de santé de M. B...aurait, entretemps, évolué de telle sorte qu'il avait, à la date de la décision attaquée, recouvré sa capacité à voyager sans risque vers son pays d'origine.

8. Le préfet ne peut, à cet égard, pas utilement faire valoir que M. B...n'avait pas, à la date de la décision attaquée, porté ces éléments à sa connaissance, ce qui, au demeurant, est contredit par les pièces du dossier, en particulier par la demande de titre de séjour.

9. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen qu'il soulève, M. B... est fondé à soutenir que le préfet ne pouvait pas, compte tenu de son état de santé ne lui permettant pas de voyager sans risque vers son pays d'origine, légalement l'obliger à quitter le territoire français. Par suite, il est fondé à demander l'annulation de cette décision, ainsi que, par voie de conséquence, de la décision fixant le pays de destination.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à l'annulation des décisions du 16 octobre 2017 par lesquelles le préfet du Haut-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai. Dès lors, il est fondé à demander l'annulation de l'arrêté attaqué dans cette mesure.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".

12. D'une part, compte tenu de la portée de l'annulation qu'il prononce, le présent arrêt n'implique pas nécessairement qu'un titre de séjour soit délivré à M.B....

13. D'autre part, aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". Dès lors que la loi elle-même prescrit ainsi les conséquences qu'il incombe obligatoirement à l'autorité administrative de tirer de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, il n'y a pas lieu de prononcer, en outre, une injonction pour les prescrire. En revanche, l'article L. 512-4 précité ne précisant pas les délais dans lesquels l'autorité administrative doit exécuter les prescriptions qu'il édicte, il y a lieu d'enjoindre à l'administration de munir M. B...d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours, et de prendre une nouvelle décision sur son cas dans un délai de deux mois, à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 1 500 euros.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Le jugement n° 1705789 du 15 février 2018 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. A...B...dirigées contre les décisions du 16 octobre 2017 par lesquelles le préfet du Haut-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai.

Article 3 : Les décisions du 16 octobre 2017 par lesquelles le préfet du Haut-Rhin a obligé M. A... B...à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai sont annulées.

Article 4 : L'Etat versera à Me C... la somme de 1 500 (mille cinq-cents) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur d'ordonner au préfet compétent de munir M. B... d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours, et de prendre une nouvelle décision sur son cas dans un délai de deux mois, à compter de la notification du présent arrêt.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.

2

N° 18NC01044


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18NC01044
Date de la décision : 22/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme STEFANSKI
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : SCP ROTH-PIGNON LEPAROUX ROSENSTIEHL ET ANDREINI

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2018-11-22;18nc01044 ?
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