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19/07/2018 | FRANCE | N°17NC01135

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 19 juillet 2018, 17NC01135


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...F...et Mme A...F...née E...ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à leur verser une somme de 450 500 euros en réparation de leurs préjudices, avec intérêts au taux légal à compter du dépôt de leur demande devant le tribunal.

Par un jugement n° 1502276 du 23 mars 2017, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 18 mai 2017,

le 4 décembre 2017 et le 1er février 2018, M. et MmeF..., représentés par la SELAS Devarenne Associ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...F...et Mme A...F...née E...ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à leur verser une somme de 450 500 euros en réparation de leurs préjudices, avec intérêts au taux légal à compter du dépôt de leur demande devant le tribunal.

Par un jugement n° 1502276 du 23 mars 2017, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 18 mai 2017, le 4 décembre 2017 et le 1er février 2018, M. et MmeF..., représentés par la SELAS Devarenne Associés Grand Est, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 mars 2017 ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 450 500 euros, avec intérêts de droit à compter du 28 octobre 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les frais des expertises réalisées par M. G...pour une somme de 11 323,24 euros toutes taxes comprises et par M. B...pour une somme de 955,30 euros toutes taxes comprises ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils subissent un trouble anormal et spécial de voisinage justifiant une indemnisation ;

- ce trouble est suffisamment caractérisé par les nuisances sonores, olfactives, visuelles et liées à la pollution atmosphériques qu'ils subissent du fait de l'axe routier situé à proximité de leur habitation ;

- ces nuisances se sont continuellement accrues en raison notamment de l'évolution du trafic ;

- l'appréciation du caractère anormal de leur préjudice doit prendre en compte l'article L. 220-2 du code de l'environnement, l'article 16 de l'arrêté du 21 juin 1996 ainsi que l'article 2 de l'arrêté du 5 mai 1995 ;

- les inconvénients résultant de la présence de l'axe routier et de son fonctionnement sont antérieurs à l'acquisition de leur habitation ;

- les modifications apportées à l'axe routier ont eu pour effet de les priver d'un accès direct à la route nationale et les ont obligés à utiliser un chemin pour rejoindre la route D 951.

- leur logement a été identifié comme l'un des " points noirs du bruit " répertoriés par les services de l'Etat ;

- le montant global de leurs préjudices s'élève à la somme de 450 500 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 décembre 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le caractère anormal et spécial des préjudices allégués n'est pas établi ;

- M. et Mme F...ne démontrent pas avoir eu un accès à la route nationale ;

- le préjudice, à le supposer établi, ne peut être indemnisé en raison de la prescription quadriennale.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce qu'en application de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1968, la prescription quadriennale ne peut être soulevée pour la première fois en appel, lorsqu'est déjà intervenu un jugement au fond.

Un mémoire en réponse au moyen relevé d'office a été présenté par le ministre de la transition écologique et solidaire et enregistré le 13 juin 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 95-22 du 9 janvier 1995 ;

- l'arrêté du 5 mai 1995 relatif au bruit des infrastructures routières ;

- l'arrêté du 21 juin 1996 fixant les prescriptions techniques minimales relatives aux ouvrages de collecte et de traitement des eaux usées mentionnées aux articles L. 2224-8 et L. 2224-10 du code général des collectivités territoriales, dispensés d'autorisation au titre du décret n° 93-743 du 29 mars 1993 relatif à la nomenclature des opérations soumises à autorisation ou à déclaration, en application de l'article 10 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau ;

- l'arrêté du 3 mai 2002 pris pour l'application du décret n° 2002-867 du 3 mai 2002 relatif aux subventions accordées par l'Etat concernant les opérations d'isolation acoustique des points noirs du bruit des réseaux routier et ferroviaire nationaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., pour M. et MmeF....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme F...font appel du jugement du 23 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser une somme de 450 500 euros en réparation des préjudices sonores, olfactifs, visuels et liés à la pollution atmosphérique qu'ils soutiennent avoir subis en raison de la présence d'un important axe routier situé à proximité de leur habitation.

Sur la responsabilité :

2. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant dans leur existence que du fait de leur fonctionnement. Il appartient alors aux demandeurs ayant la qualité de tiers par rapport à cet ouvrage d'apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'ils allèguent avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et ces préjudices, qui doivent, en outre, présenter un caractère anormal et spécial.

3. Par un arrêté du 13 février 1980, les travaux d'élargissement de la route nationale 51 et le contournement de la commune d'Yvernaumont en deux fois deux voies ont été déclarés d'utilité publique, avec une mise en service effective en 1982. A la suite de ces travaux, la maison d'habitation de M. et MmeF..., située au lieudit " La Poste " à Yvernaumont, s'est trouvée implantée à trente-trois mètres de cet axe routier. Par un décret du 26 septembre 1994 valant déclaration d'utilité publique, le créneau d'Yvernaumont a ensuite fait l'objet d'un classement autoroutier.

4. En premier lieu, si M. et Mme F...se plaignent de nuisances sonores, olfactives, visuelles et liées à la pollution atmosphérique qui résultent de la présence de l'ouvrage et du trafic routier qui s'y écoule, il résulte de l'instruction qu'ils ont acquis leur maison d'habitation par acte notarié du 12 octobre 1990 et ne pouvaient donc ignorer, à cette date, les inconvénients susceptibles de résulter de l'existence et de l'importance de l'ouvrage qui présentait alors déjà deux fois deux voies, et de la circulation sur cet axe routier.

5. A cet égard il ne résulte pas de l'instruction que le classement autoroutier de cette voie en 1994, postérieurement à l'acquisition de leur propriété par M. et MmeF..., aurait occasionné de nouveaux travaux modifiant les caractéristiques de l'infrastructure et aggravant ainsi les inconvénients dont ils se plaignent, alors, par ailleurs, que la vitesse est demeurée limitée à 110 km par heure.

6. Enfin, M. et Mme F...n'établissent pas que les modifications apportées à l'axe routier aient eu pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile leur accès à la voie publique.

7. En deuxième lieu, d'une part, M. et Mme F...ne démontrent pas que les nuisances dont ils se plaignent, excèdent effectivement, en l'espèce, les inconvénients normaux que doivent subir les riverains d'un ouvrage public en se bornant à se prévaloir des dispositions de l'article L. 220-2 du code de l'environnement, qui donne la définition générale de la pollution atmosphérique, ou des dispositions de l'article 16 de l'arrêté du 21 juin 1996 fixant les prescriptions techniques minimales relatives aux ouvrages de collecte et de traitement des eaux, lequel est inapplicable aux ouvrages routiers.

8. D'autre, part, aux termes de l'article 10 du décret n° 95-22 du 9 janvier 1995 relatif à la limitation du bruit des aménagements et infrastructures de transports terrestres : " Le présent décret s'applique : 1° Aux infrastructures nouvelles et aux modifications ou transformations significatives d'une infrastructure existante, dont l'acte décidant l'ouverture d'une enquête publique en application de l'article L. 11-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ou du décret du 23 avril 1985 susvisé, ou l'acte prorogeant les effets d'une déclaration d'utilité publique, est postérieur de plus de six mois à la date de publication de l'arrêté mentionné à l'article 4 ; / 2° Lorsqu'elles ne font pas l'objet d'une enquête publique, aux modifications ou transformations significatives d'une infrastructure existante, dont le début des travaux est postérieur de plus de six mois à la même date ". Aux termes de l'article 3 de ce décret : " Ne constituent pas une modification ou une transformation significative, au sens de l'article 1er : / 1° Les travaux d'entretien, de réparation, d'électrification ou de renouvellement des infrastructures ferroviaires; / 2° Les travaux de renforcement des chaussées, d'entretien ou de réparation des voies routières; / 3° Les aménagements ponctuels des voies routières ou des carrefours non dénivelés ". L'arrêté du 5 mai 1995 relatif au bruit des infrastructures, pris pour l'application de ce décret a été publié au Journal officiel le 10 mai 1995. Cet arrêté fixe, en son article 2, les niveaux maximaux admissibles pour la contribution sonore d'une infrastructure nouvelle, au sens de ces dispositions.

9. Il ne résulte pas de l'instruction que des modifications ou des transformations significatives de l'infrastructure routière en litige, seraient, par rapport à sa consistance antérieure à l'année 1980, intervenues après le 10 novembre 1995, date d'entrée en vigueur des dispositions précitées du décret du 9 janvier 1995. Il suit de là que M. et Mme F...ne peuvent davantage se prévaloir pour établir le caractère anormal du préjudice sonore qu'ils invoquent de la méconnaissance des dépassements éventuels des niveaux sonores définis et mesurés dans les conditions prévues par ce décret et l'arrêté pris pour son application.

10. En troisième lieu, s'agissant de l'aggravation des nuisances sonores invoquée par les requérants, le rapport d'expertise de M. G...du 17 juin 2015, indique que le nombre de véhicules-jour est passé de 12 868 en 2001 à 16 776 en 2011 et que cette augmentation a été progressive, variant de 0,02 % à 6,26 % selon les années. Entre 2007 et 2011, selon ce même rapport, l'augmentation annuelle moyenne du trafic a été de 5,7 % pour les voitures et de 5,2 % pour les camions, selon les données du gestionnaire de la voie, reprises par M. B...dans son propre rapport d'expertise. Le rapport de M. G...fait également état de mesures de bruit prises en 2004, selon un document fourni par la préfecture, relevant un niveau sonore de 64,5 dB (A) de jour et de 58 dB (A) de nuit. En juin 2012, d'autres mesures avaient relevé un niveau sonore de 68,5 dB (A) de jour et de 62 dB (A) de nuit. L'expert a lui-même relevé, en février 2013, un niveau sonore de 66,5 dB (A) de jour et de 59,1 dB (A) de nuit, qui demeure d'ailleurs inférieur aux seuils réglementaires fixés par l'arrêté du 5 mai 1995 précité. Si l'expert a déduit de ces mesures un accroissement de 4 dB entre 2004 et 2012, précisant qu'une augmentation de 3 dB correspond à un doublement de l'énergie sonore, il apparaît cependant que le niveau sonore de jour relevé en février 2013 était inférieur à celui de juin 2012 de 2 dB. Dans ces conditions, compte tenu de la préexistence de l'ouvrage dans ses caractéristiques techniques essentielles à la date d'acquisition de leur maison par les requérants, le bruit résultant de la circulation des véhicules sur cet ouvrage ne peut être regardé comme ayant provoqué, en l'espèce, une modification des nuisances sonores subies par M. et MmeF..., dans des proportions telles qu'elles excèderaient celles que doivent normalement supporter, dans l'intérêt général, les propriétaires voisins d'une autoroute.

11. Par ailleurs, si M. et Mme F...se prévalent d'une lettre de la direction départementale des territoires du 10 novembre 2017 selon laquelle l'étude menée dans le cadre du plan de prévention du bruit dans l'environnement de l'Etat a identifié leur logement comme " points noirs du bruit ", leur permettant de bénéficier d'une subvention pouvant s'élever jusqu'à 80 % du montant total toutes taxes comprises des travaux d'isolation acoustique, cette circonstance ne permet pas d'établir, eu égard à l'antériorité de l'ouvrage par rapport à leur installation dans les lieux, une aggravation significative des nuisances sonores subies par M. et Mme F...et, par suite l'anormalité du préjudice qu'ils allèguent.

12. En dernier lieu, aucune des autres pièces produites à l'instance ne permet davantage d'établir l'existence, au regard de l'état antérieur des lieux, d'une aggravation des nuisances olfactives, visuelles et liées à la pollution atmosphérique, dans des proportions telles qu'elle excèderait les nuisances dont peuvent être appelés à supporter, dans l'intérêt général, les propriétaires voisins d'une autoroute.

13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription soulevée par le ministre en défense, que les préjudices invoqués par M. et Mme F... ne présentent pas un caractère anormal justifiant une indemnisation et que par suite, ces derniers sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande indemnitaire.

Sur les dépens :

14. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Sous réserve de dispositions particulières, les dépens sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties ".

15. Par le jugement du 23 mars 2017, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a mis les frais d'expertise, taxés et liquidés à une somme totale de 11 323,24 euros toutes taxes comprises à la charge définitive de M. et MmeF....

16. M. et Mme F...ont la qualité de partie perdante à la présente instance et ne se prévalent d'aucune circonstance particulière justifiant que ces frais soient mis à la charge d'une autre partie. Les conclusions tendant à ce que les frais d'expertise soient mis à la charge de l'Etat doivent donc être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens, le versement de la somme que M. et Mme F... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme F...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...F..., à Mme A...F...née E...et au ministre de la transition écologique et solidaire.

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N° 17NC01135


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17NC01135
Date de la décision : 19/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-03 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Alexis MICHEL
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST

Origine de la décision
Date de l'import : 31/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2018-07-19;17nc01135 ?
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