Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 441 600 euros en réparation des préjudices qu'il a subis à la suite de sa contamination par le virus de l'hépatite C.
La caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à lui verser les débours qu'elle a exposés en lien avec la contamination de M. C... par le virus de l'hépatite C pour un montant de 16 222,68 euros ainsi que la somme capitalisée de 5 471,06 euros au titre de ses frais futurs estimés à 303,24 euros par an.
Par un jugement n° 1300127 du 19 juillet 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a fait partiellement droit à ces demandes et a condamné l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à verser à M. C... la somme de 40 000 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin la somme de 16 222,68 euros pour la période antérieure au 24 juillet 2014 ainsi qu'une rente de 303,24 euros pour la période postérieure.
Procédure devant la cour :
I. Sous le n° 16NC01988, par une requête, enregistrée le 1er septembre 2016 et un mémoire complémentaire enregistré le 20 mars 2017, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 juillet 2016 en tant qu'il le condamne à verser des sommes à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin.
2°) de mettre à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin ne pouvait pas exercer de recours subrogatoire à son encontre dès lors que l'instance ne peut pas être regardée comme ayant été en cours au 1er juin 2010.
Par un mémoire, enregistré le 27 janvier 2017, la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'ONIAM sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que le moyen invoqué par l'ONIAM n'est pas fondé.
II. Sous le n° 16NC02044, par une requête, enregistrée le 12 septembre 2016 et un mémoire complémentaire, enregistré le 22 février 2017, M. F... C..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 juillet 2016 ;
2°) de porter la somme que l'ONIAM a été condamné à lui verser à 440 600 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM les dépens ainsi qu'une somme de 4 000 sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
II soutient que :
- les premiers juges ont fait une appréciation insuffisante de ses préjudices personnels ; son pretium doloris, son préjudice esthétique, son préjudice d'agrément et son préjudice sexuel pourront être indemnisés à hauteur de, respectivement, 30 000 euros, 5 000 euros, 30 000 euros et 30 000 euros ;
- il justifie avoir subi, du fait de sa contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C, des pertes de revenus qui peuvent être évaluées à la somme de 288 000 euros ; il justifie également de ce que, du fait de cette contamination, il a subi une réduction de sa pension vieillesse qui peut être évaluée à la somme de 57 600 euros.
Par un mémoire enregistré le 16 décembre 2016, la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, représentée par Me E..., fait valoir que la requête de M. C... n'est pas dirigée à son encontre et demande à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'ONIAM sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par des mémoires enregistrés le 9 décembre 2016 et le 20 mars 2017, l'ONIAM, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande, par la voie de l'appel incident, que la somme qu'il a été condamné à verser à M. C... soit ramenée à 28 000 euros.
Il fait valoir que :
- les moyens invoqués par M. C... ne sont pas fondés ;
- les troubles dans les conditions d'existence subis par M. C... et le déficit fonctionnel permanent dont il demeure atteint peuvent être indemnisés à hauteur de, respectivement, 20 000 euros et 8 000 euros.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
- la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, et notamment son article 67 ;
- la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public.
1. Considérant que les requêtes n°16NC01988 et 16NC02044 sont dirigées contre un même jugement, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt ;
2. Considérant que M. C... a subi cinq opérations chirurgicales entre 1984 et 1985 à l'hôpital Stéphanie de Strasbourg ; qu'estimant que sa contamination par le virus de l'hépatite C, diagnostiquée en 1998, était imputable aux transfusions sanguines réalisées lors de ces interventions, il a présenté, le 3 mai 2010, une demande d'indemnisation des préjudices en lien avec cette contamination ; qu'il a refusé l'offre qui lui avait été proposée le 7 décembre 2012 par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et a introduit un recours devant le tribunal administratif de Strasbourg afin d'obtenir la réparation de ses préjudices ; que, par un jugement du 19 juillet 2016, le tribunal administratif a condamné l'ONIAM à verser à M. C... une somme de 40 000 euros et à rembourser ses débours à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin ; que, l'ONIAM relève appel de ce jugement en tant qu'il a fait droit aux conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin ; que M. C... fait appel de ce jugement en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 40 000 euros ;
Sur la demande de la CPAM du Bas-Rhin :
3. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1142-22 du code de la santé publique dans sa rédaction issue du II de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, entré en vigueur à la même date que le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 pris pour son application, soit le 1er juin 2010, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est chargé " de l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang en application de l'article L. 1221-14 " ; qu'il résulte des dispositions initiales du IV de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 selon lesquelles l'ONIAM se substitue à l'EFS dans les procédures tendant à l'indemnisation des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14, en cours à la date d'entrée en vigueur de cet article et n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable, que le législateur a entendu, dans ces procédures, substituer l'ONIAM à l'EFS tant à l'égard des victimes que des tiers payeurs ; qu'aux termes du IV du même article 67, dans sa rédaction issue de la loi du 17 décembre 2012 : " Les tiers payeurs ne peuvent exercer d'action subrogatoire contre l'office si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré. " ; qu'il résulte du III de l'article 72 de la loi du 17 décembre 2012 que ces dernières dispositions s'appliquent aux actions juridictionnelles en cours à la date du 1er juin 2010, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ;
4. Considérant que l'ONIAM fait valoir que la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin ne pouvait pas exercer une action subrogatoire à son encontre en vue d'obtenir le remboursement de ses débours alors que la présente instance ne peut pas être regardée comme étant en cours au 1er juin 2010 ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 3 mai 2010 reçu le 12 mai 2010, M. C... a demandé à l'ONIAM de l'indemniser des préjudices qu'il a subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C ; qu'une telle demande constituait pour M. C... un préalable nécessaire à la saisine du tribunal administratif de Strasbourg ; que, par suite, le présent contentieux doit être regardé comme ayant été en cours au 1er juin 2010, au sens des dispositions précitées ; que, dès lors, la caisse d'assurance maladie du Bas-Rhin pouvait exercer à l'encontre de l'ONIAM, qui s'était substitué à l'Etablissement français du sang, l'action subrogatoire dont elle dispose en vertu de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg l'a condamné à rembourser ses débours à la caisse d'assurance maladie du Bas-Rhin ;
Sur les préjudices de M. C... :
En ce qui concerne les préjudices à caractère économique :
6. Considérant que M. C... n'a pas achevé le BTS qu'il avait débuté en 1982 et a eu une activité professionnelle très réduite ; que l'expert mandaté par l'ONIAM dans le cadre de la procédure amiable a indiqué que l'hépatite C dont il est porteur l'a empêché " de parfaire sa formation et d'avoir la carrière professionnelle qu'il voulait " ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que M. C..., qui présentait des séquelles de poliomyélite du membre inférieur droit responsables d'un raccourcissement de ce membre, d'une luxation invétérée de la hanche droite et d'une scoliose lombaire importante, a subi de nombreuses et lourdes interventions au cours des années 1984 et 1985, à la suite desquelles il a présenté notamment d'importantes douleurs et une paralysie du nerf sciatique poplité externe droit ; que, par suite, ainsi que l'ont indiqué les premiers juges, l'appréciation donnée par l'expert, qui a procédé par simple affirmation, ne permet pas, à elle seule, eu égard notamment à son caractère général et imprécis, d'établir le lien de causalité entre la contamination par le virus de l'hépatite C dont a été victime M. C... et les préjudices économiques invoqués par ce dernier ; qu'il résulte, par ailleurs, des attestations émanant du directeur de l'école dans laquelle il a effectué son BTS et d'un ancien camarade de classe que ses résultats scolaires ont commencé à se dégrader dès la fin du premier trimestre de l'année scolaire 1983/1984 alors que la transfusion à laquelle peut être imputée sa contamination par le virus de l'hépatite C date du mois de mai 1984 ; qu'en outre, M. C..., qui n'a exercé aucune activité professionnelle entre 1994 et 1999, ne produit aucun élément antérieur au diagnostic de son hépatite C permettant notamment de considérer qu'il présentait entre 1984 et 1997 des symptômes de cette hépatite qui l'auraient empêché d'achever ses études ou de mener une vie professionnelle, alors, qu'au demeurant, les formes d'évolution rapide de l'hépatite C présentent un caractère exceptionnel ; qu'à cet égard le certificat médical établi par son médecin traitant en 2013 pour les besoins de la cause et dont les termes sont peu précis ne permet pas de l'établir ; que, par ailleurs, M. C..., qui n'a exercé une activité professionnelle que de manière très épisodique depuis 1985, n'apporte pas davantage d'éléments de nature à justifier que la faiblesse de ses périodes d'activités postérieures au diagnostic de sa sérologie positive au virus de l'hépatite C serait effectivement en lien avec celle-ci alors que l'ONIAM produit un certificat médical établi en 2010 indiquant que, du fait de son problème à la hanche droite, l'intéressé présente, par intermittence, des crises hyperalgiques et que l'arrêt de l'activité professionnelle qu'il avait débutée en 1999 est lié à une telle crise hyperalgique ; que, par suite, M. C... ne justifie pas que les pertes de revenus et les pertes de droits à la retraite dont il se prévaut seraient effectivement en lien avec sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :
7. Considérant que les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale n'impose de procéder à une évaluation distincte par poste de préjudice que pour autant que le tiers payeur établit qu'il a versé ou versera à la victime une prestation indemnisant un préjudice relevant de ce poste, et ne fait donc pas obstacle à ce que les postes de préjudice ne donnant lieu au versement d'aucune prestation imputable fassent l'objet d'une indemnisation globale au profit de la victime ;
8. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le préjudice esthétique dont se prévaut M. C... et résultant de sa boiterie de la jambe droite serait en lien avec sa contamination par le virus de l'hépatite C ou aurait été favorisé par cette dernière ; qu'une partie du préjudice d'agrément dont il se prévaut est en lien avec la paralysie du nerf poplité externe qu'il a présentée et à ses problèmes de hanche et une partie de son préjudice sexuel est, quant à lui, lié à la maladie de Lapeyronie dont il a été atteint ; qu'en revanche, M. C... justifie d'un préjudice moral en lien avec les inquiétudes qu'il éprouve légitimement du fait de sa contamination et des conséquences graves qui peuvent en découler ; que, par ailleurs, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. C... est atteint d'une fibrose hépatique de stade 2, qu'il a fait l'objet d'un traitement par association d'Interféron et de Ribavirine qu'il n'a pas supporté et qui a dû être arrêté et qu'il a présenté des épisodes d'asthénie et de dépression ; que l'expert a évalué ses souffrances physiques à 3,5 sur une échelle de 1 à 7, son déficit fonctionnel temporaire partiel à 20 % et a fixé à 10 %, à compter de 2012, son déficit fonctionnel permanent en lien avec sa contamination par le virus de l'hépatite C ; que, par suite, le tribunal administratif n'a pas fait une évaluation insuffisante des chefs de préjudices personnels de M. C... en lui allouant à ce titre la somme globale de 40 000 euros ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que M. C... n'est pas fondé à faire valoir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a limité le montant de son indemnisation à 40 000 euros ; que, l'ONIAM n'est pas davantage fondé à solliciter une diminution du montant de cette indemnité ;
Sur les dépens :
14. Considérant que la présente instance n'a donné lieu à l'exposé d'aucun dépens ; que, par suite les conclusions de M. C... tendant à ce que les dépens soient mis à la charge de l'ONIAM sont sans objet et doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
16. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la CPAM du Bas-Rhin une somme au titre des frais exposés par l'ONIAM et non compris dans les dépens et à ce qu'il soit mis à la charge de ce dernier la somme sollicitée par M. C... au même titre ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la CPAM du Bas-Rhin et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée.
Article 2 : La requête de M. C... est rejetée.
Article 3 : L'ONIAM versera une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié M. F... C..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin.
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N° 16NC01988 et 16NC02044