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23/11/2017 | FRANCE | N°17NC00876

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 23 novembre 2017, 17NC00876


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...E...épouse F...a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2016 par lequel le préfet de la Haute-Saône lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination elle pourra être éloignée d'office.

Par un jugement n° 1601425 du 29 novembre 2016, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :


Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 avril et 26 septembre 2017, Mme C... E...épouseF...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...E...épouse F...a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2016 par lequel le préfet de la Haute-Saône lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination elle pourra être éloignée d'office.

Par un jugement n° 1601425 du 29 novembre 2016, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 avril et 26 septembre 2017, Mme C... E...épouseF..., représentée par MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1601425 du 29 novembre 2016 du tribunal administratif de Besançon ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Saône du 20 juillet 2016 ;

3°) d'enjoindre au préfet, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son avocate au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Mme E...soutient que :

- il n'existe pas de traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine ;

- elle n'a plus d'attache dans son pays d'origine et son fils s'est vu délivrer une autorisation provisoire de séjour le 15 novembre 2016, de sorte qu'à la date de l'arrêté attaqué, il n'était pas soumis à une obligation de quitter le territoire français ;

- elle ne pouvait pas faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français compte tenu de son état de santé ;

- elle est exposée au risque de subir, dans son pays d'origine, un traitement contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que le traitement que requiert son état de santé n'y est pas disponible.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er septembre et 9 octobre 2017, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

Mme E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 13 mars 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Rees, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C...E...épouseF..., ressortissante arménienne née en 1961, est entrée en France de manière irrégulière le 19 novembre 2013. Sa demande d'asile a été rejetée successivement par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, le 16 juillet 2014, et par la Cour nationale du droit d'asile, le 16 février 2015. Elle a néanmoins obtenu une carte de séjour temporaire en qualité d'étranger malade, dont la validité a été prolongée jusqu'au 29 juin 2016. Le renouvellement de cette carte de séjour lui a cependant été refusé par arrêté du 20 juillet 2016 du préfet de la Haute-Saône, qui a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français dans les trente jours et d'une décision fixant le pays de destination.

2. Mme E...relève appel du jugement du 29 novembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé , sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...) ".

4. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.

5. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi.

6. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

7. Il ressort des pièces du dossier que, dans son avis du 2 juin 2016, le médecin de l'agence régionale de santé de Franche-Comté a estimé que l'état de santé de Mme E...nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et qu'il n'existe pas de traitement approprié dans le pays dont elle est originaire.

8. Pour contredire cet avis favorable à la requérante, le préfet fait valoir que les certificats médicaux qu'elle a produits ne démontrent pas la gravité de son état de santé, qu'un rapport de l'Organisation mondiale de la santé datant de 2011 atteste de la prise en charge du traitement des maladies cardiovasculaires en Arménie, que les médicaments dont a besoin la requérante y sont disponibles et qu'enfin, elle a été opérée en 1999 dans son pays d'origine et a eu accès à ces médicaments à la suite de cette opération.

9. En premier lieu, dans son certificat médical du 23 septembre 2016, le Dr B...indique que MmeE..., qu'il suit depuis 2013, souffre d'une pathologie cardiaque sévère nécessitant un traitement médical continu et a subi une intervention chirurgicale intra-cardiaque le 31 mai 2016 au centre universitaire hospitalier de Nancy. Il ajoute que cette intervention a donné lieu à des complications iatrogènes prises en charge à Vesoul et dont le suivi régulier est assurée par le DrA..., cardiologue. Il précise enfin que les soins en rapport avec la cardiopathie de l'intéressée sont toujours en cours et nécessitent une surveillance rapprochée. Dans un courrier du 19 septembre 2016 au DrB..., le Dr A...fait état de ce que Mme E...présente plusieurs symptomatologies, dont certaines sans lien avec sa pathologie cardiaque.

10. La circonstance que ni le DrB..., ni le Dr A...n'indiquent expressément que l'état de santé de Mme E...nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité n'est en rien de nature à démontrer que tel ne serait pas le cas. Au demeurant, si le Dr B...ne reprend pas la terminologie des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il n'en souligne pas moins expressément le caractère " sévère " de la pathologie cardiaque de l'intéressée.

11. En deuxième lieu, l'extrait d'un rapport de l'Organisation mondiale de la santé de 2011 que produit le préfet se borne à indiquer qu'il existe en Arménie une politique/stratégie/plan d'action intégré et spécifique pour les maladies cardiovasculaires. Ce document, sommaire et non circonstancié, ne saurait suffire à démontrer que le traitement spécifique que requiert l'état de santé de la requérante est disponible dans son pays d'origine.

12. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le traitement prescrit à la requérante comprend le Préviscan, le Bisopropol, l'Atorvastarine, l'Amildoride et le Diffu K, le docteur A...précisant, dans son certificat médical du 19 septembre 2016, que le Préviscan est désormais indiqué à vie pour la patiente. Or, la liste des médicaments existants en Arménie que produit le préfet ne mentionne pas le Préviscan (ni la fluindione, qui le compose), le Bisopropol et l'Atorvastarine. Si le préfet soutient que cette liste n'est pas exhaustive, il n'en produit aucune autre comprenant ces médicaments.

13. Le préfet soutient également que Mme E...aurait bénéficié de ces médicaments en Arménie à la suite de l'intervention chirurgicale qu'elle y a subie en 1999. Il fonde cette affirmation sur le courrier adressé par le Dr A...au Dr B...le 23 avril 2015, où le premier indique, après avoir évoqué cette opération, que " son traitement était représenté par : Préviscan, Antadorone, Bisopropol, Amildoride et Diffu K ".

14. Toutefois, alors qu'à la date du courrier, la requérante était déjà soignée en France depuis deux ans, il ne ressort pas des pièces du dossier que le traitement antérieur dont il fait état est également celui dont avait pu bénéficier l'intéressée en Arménie. En tout état de cause, à supposer même que Mme E...ait eu accès à ces médicaments dans son pays en 1999, il résulte de ce qui a été dit au point 12 qu'il n'est pas démontré qu'ils y étaient disponibles à la date de l'arrêté attaqué.

15. Il résulte de ce qui précède que Mme E...est fondée à soutenir que le préfet a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que, par suite, c'est à tort que le tribunal a écarté ce moyen.

16. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés tant devant le tribunal administratif de Strasbourg que devant la cour en appel.

Sur les autres moyens :

17. En premier lieu, le préfet soutient que, l'arrêté attaqué ayant été notifié le 3 août 2016, le délai de recours d'un mois était expiré lorsque, le 5 septembre 2016, la demande a été déposée au tribunal.

18. Il ressort des pièces du dossier que si l'arrêté a été notifié le 3 août 2016, le préfet n'apporte aucun élément pour établir la date à laquelle cette notification a été réceptionnée, et, par suite, la date à laquelle le délai de recours à commencer à courir. Au surplus, à supposer même que l'arrêté ait été notifié le 3 août 2016, le délai de recours aurait été prorogé du dimanche 4 septembre au lundi 5 septembre à minuit.

19. La fin de non-recevoir soulevée par le préfet ne peut, dès lors, qu'être écartée.

20. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 15, que Mme E...est fondée à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français et, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de destination, sont illégales du fait de l'illégalité de la décision de refus de renouvellement de son titre de séjour.

21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés par la requérante tant en première instance qu'en appel, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. Dès lors, elle est fondée à demander l'annulation de ce jugement, ainsi que celle de l'arrêté du préfet de la Haute-Saône du 20 juillet 2016.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

22. En l'absence d'élément sur l'état de santé actuel de la requérante, le présent arrêt implique seulement, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, au préfet de la Haute-Saône de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans l'attente qu'il se prononce à nouveau, une autorisation provisoire de séjour.

Sur les conclusions relatives à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

23. Mme E...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Dès lors, son avocat peut se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me D...de la somme de 1 500 euros qu'elle demande.

Par ces motifs,

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1601425 du 29 novembre 2016 du tribunal administratif de Besançon est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 20 juillet 2016 par lequel le préfet de la Haute-Saône a refusé à Mme C... E...épouse F...le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination elle pourra être éloignée d'office, est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Saône de procéder, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, au réexamen de la situation de Mme C...E...épouse F...et de lui délivrer, dans l'attente qu'il se prononce à nouveau, et dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt, une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à Me D...la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me D...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...E...épouse F...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Saône.

2

N° 17NC00876


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17NC00876
Date de la décision : 23/11/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. MESLAY
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : SELARL DEVEVEY KABBOURI DRAVIGNY

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-11-23;17nc00876 ?
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