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20/07/2017 | FRANCE | N°16NC00998

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 20 juillet 2017, 16NC00998


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A...et Mme E...-A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Lembach à leur verser une somme de 200 000 euros en réparation des préjudices subis en raison du refus de permis de construire illégal opposé le 18 juin 2009.

Par un jugement n° 1402885 du 17 mars 2016, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 mai 2016, M. et MmeA..., représentés par Me Knaebel, demandent à

la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de condam...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A...et Mme E...-A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Lembach à leur verser une somme de 200 000 euros en réparation des préjudices subis en raison du refus de permis de construire illégal opposé le 18 juin 2009.

Par un jugement n° 1402885 du 17 mars 2016, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 mai 2016, M. et MmeA..., représentés par Me Knaebel, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de condamner la commune de Lembach à leur verser une somme de 200 000 euros au titre de leur préjudice matériel, assortie des intérêts légaux à compter de l'arrêt à intervenir.

3°) de mettre à la charge de la commune de Lembach une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- en raison du refus de permis de construire illégal, ils n'ont pas pu reconstruire leur maison dans un délai de deux ans et ont reçu des indemnisations de leur assureur inférieures à celles qu'ils auraient perçues s'ils avaient pu reconstruire la maison dans ce délai ;

- leur préjudice est constitué de la différence d'indemnisation par l'assureur en ce qui concerne le coût de démolition et reconstruction, la perte d'usage du bien ainsi que leur préjudice financier et moral ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a indiqué qu'ils ont perçu 241 648 euros alors qu'ils n'ont pas perçu un montant si élevé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2017, la commune de Lembach conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce que soit mise à la charge de M. et Mme A...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions tenant à l'indemnisation du préjudice moral, nouvelles en appel, sont irrecevables en l'absence de démonstration d'un préjudice nouveau ;

- le lien de causalité entre le refus illégal de permis de construire et le dommage n'est pas établi, dès lors qu'ils ne pouvaient percevoir la totalité de l'indemnité d'assurance dont ils avaient besoin afin de commencer la reconstruction du chalet et ne démontrent pas que l'opposition faite par la banque sur une partie de cette indemnité soit due au refus illégal de permis de construire ;

- la circonstance, à la supposer établie, que les requérants n'ont pas obtenu de prêt pour reconstruire le chalet, n'est pas imputable au délai de délivrance du permis de construire ou au refus illégal de permis de construire, le refus de prêt pouvant être dû à diverses causes, dont la situation financière des appelants ;

- le montant du préjudice n'est pas démontré, alors qu'il ressort des pièces produites par les appelants que l'assurance leur a versé une somme supérieure à celle que prévoyait le contrat en cas d'absence de reconstruction dans les deux ans et que les montants totaux perçus par M. et Mme A...ne sont pas établis ;

- si le préjudice tenant à l'augmentation des coûts de construction pendant le délai de délivrance du permis de construire pourrait être indemnisable, ce préjudice n'est qu'éventuel dès lors que le chalet n'a pas été reconstruit et que la preuve de l'augmentation du coût de la construction n'est pas apportée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Stefanski, président,

- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., pour la commune de Lembach.

Considérant ce qui suit :

1. Le 16 juillet 2008, M. et Mme A...ont acheté à Lembach pour 127 500 euros compte tenu des frais d'agence, d'acte de vente et d'acte de prêt, un ensemble d'une valeur de 110 000 euros composé d'un étang, d'un chalet en bois, d'un garage indépendant et d'un terrain d'assiette Ils ont financé cet achat par un emprunt bancaire de 126 500 euros. Le 5 septembre 2008, un incendie d'origine inconnue a totalement détruit le chalet. Le 4 mars 2009, les requérants ont déposé une demande de permis de construire afin de reconstruire le bâtiment, mais un refus leur a été opposé le 18 septembre 2009 par le maire agissant au nom de la commune. Ce refus a été annulé au fond par un jugement devenu définitif du tribunal administratif de Strasbourg du 5 février 2013 et le maire a délivré le permis de construire le 28 août 2013.

2. M. et Mme A...ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande mentionnée comme dirigée contre le maire mais qui doit être regardée comme tendant à la condamnation de la commune de Lembach à leur verser une indemnité de 200 000 euros au titre des dommages subis en raison du refus illégal de permis de construire du 18 septembre 2009. Ils interjettent appel du jugement du 17 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande. En appel également, ils doivent être regardés comme sollicitant la condamnation de la commune à les indemniser des préjudices subis.

3. M. et Mme A...font valoir que s'ils avaient pu reconstruire leur chalet dans un délai de deux ans après l'incendie, les indemnités que leur aurait versées leur compagnie d'assurance auraient été, en application du contrat qu'ils avaient conclu, supérieures à celles qui ont été versée en l'absence de reconstruction du chalet. A ce titre, il résulte de leurs écritures, qu'ils évaluent à 148 599 euros le préjudice en résultant, constitué d'un montant de 115 000 euros correspondant à la différence d'indemnisation entre la somme qui aurait été versée au titre du bâtiment en cas de reconstruction, soit 220 869 euros et celle qui a été versée, soit 115 896 euros, ainsi que d'une somme de 22 896 euros pour frais d'architecte exposés en vain et une somme de 9 807 euros pour frais de démolition.

4. D'autre part, M. et Mme A...soutiennent qu'ils ont dû exposer des frais de loyers de 48 000 euros pour se reloger durant le délai supplémentaire qui a couru avant que ne leur soit délivré le permis de construire après le jugement du tribunal administratif et ils demandent une somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral subi.

5. En premier lieu, s'il est constant que l'indemnité d'assurance qu'auraient perçue M. et Mme A...en cas de reconstruction de leur chalet aurait été supérieure à celle que leur compagnie d'assurance leur a versée, dont le montant n'est d'ailleurs pas précisément indiqué, les requérants n'apportent pas d'éléments de nature à établir que l'absence de reconstruction présente un lien direct avec la faute commise par la commune en leur refusant illégalement le permis de construire qu'ils avaient demandé en 2009.

6. Les appelants font notamment valoir qu'en raison du refus illégal de permis de construire du 18 septembre 2009, leur banque a procédé à une opposition sur l'indemnité de la compagnie d'assurance et qu'elle a perçu, à ce titre le 10 décembre 2009, un montant de 119 611,98 euros, la compagnie d'assurance ne leur ayant en conséquence versé au total que 18 623 euros. Cependant, les requérants n'établissent pas, par ces seules affirmations, le lien de causalité entre la faute de la commune et la décision de la banque, qui avait garanti le remboursement de l'emprunt qu'elle avait consenti aux requérants par une hypothèque sur leur bien et qui, ne pouvant plus mettre en oeuvre cette garantie à la suite de l'incendie, a pu demander le remboursement anticipé de l'emprunt.

7. De même si M. et Mme A...soutiennent qu'en cas de reconstruction, l'assureur aurait pris en charge une somme correspondant à 14 mensualités d'emprunt, il ressort des pièces jointes au dossier et notamment d'une lettre du 13 août 2013 de la compagnie d'assurance que celle-ci a compris dans l'indemnité qu'elle a versée dès l'origine un montant de 14 441 euros correspondant à 14 mensualités.

8. Ainsi, M. et Mme A...n'apportent aucun élément de nature à établir que si, en 2013, après la délivrance du permis de construire par la commune, ils n'étaient plus financièrement en mesure de reconstruire leur chalet, cette impossibilité résultait du temps écoulé entre le moment où le permis de construire aurait dû être délivré en septembre 2009 et celui auquel il a été accordé. Ils n'établissent pas non plus qu'ils auraient été en mesure de reconstruire leur chalet en 2009, alors que l'indemnité que leur a versée l'assureur était de 18 623 euros et que rien n'indique qu'ils avaient d'autres ressources ou qu'ils auraient disposé de la possibilité d'apporter des garanties suffisantes pour que leur soit accordé le nouvel emprunt nécessaire à la reconstruction.

9. En deuxième lieu, il résulte de leurs écritures que si M. et Mme A...demandent une indemnisation au titre de la perte d'usage de leur chalet, qui résulte uniquement de l'incendie, ils entendent en réalité demander la compensation des loyers qu'ils ont dû exposer entre le moment où le permis de construire leur a été illégalement refusé et celui où il a été délivré à la suite du jugement du tribunal administratif.

10. Cependant, il résulte de ce qui est dit ci-dessus, que les requérants n'établissent pas qu'ils auraient été en mesure de reconstruire leur chalet si le permis de construire leur avait été délivré, comme il l'aurait dû, en 2009. Dans ces conditions, le lien de causalité entre la faute commise par la commune et le préjudice invoqué n'étant pas établi, ces conclusions ne peuvent être accueillies.

11. En troisième lieu, M. et Mme A...demandent une somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral subi.

12. D'une part, la personne qui a demandé au tribunal administratif la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors qu'ils se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent.dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle (CE 31 mai 2007 n° 278905)

13. En appel, M. et Mme A...demandent pour la première fois la réparation du préjudice moral dû à la faute commise par la commune de Lembach. Si dans la motivation de leur appel, les requérants soutiennent que compte tenu de ce préjudice, ils peuvent prétendre à une indemnité totale de 226 599 euros, ils ne concluent qu'à la condamnation de la commune à leur verser une somme globale de 200 000 euros, comme ils l'avaient fait devant le tribunal administratif. Ainsi, la demande d'indemnisation de ce nouveau chef de préjudice qui ne résulte pas d'éléments apparus postérieurement au jugement, se rattache au même fait générateur et reste dans la limite du montant total de l'indemnité demandée en première instance. En conséquence, et contrairement à ce que soutient la commune, ces conclusions ne présentent pas le caractère de conclusions nouvelles en appel et sont recevables.

14. D'autre part, M. et Mme A...ne peuvent demander à la commune la réparation du préjudice moral tenant à l'incendie de leur chalet, ni aux nécessités de se reloger et de se remeubler, de suivre le dossier d'indemnisation, de présenter une demande de permis de construire, qui sont directement liés à l'incendie de leur habitation et non à la faute commise par la commune en leur refusant illégalement un permis de construire. Toutefois, le préjudice moral dû au refus illégal de permis de construire, à la nécessité pour M. et Mme A... de poursuivre des démarches pendant plusieurs années avant d'obtenir gain de cause, alors que les intéressés avaient déjà été affectés par l'incendie de leur bien, qui est directement lié à la faute de la commune, fera l'objet d'une juste appréciation en fixant le montant de l'indemnité due par la commune à ce titre, à 5 000 euros. Si M. et Mme A...demandent que cette somme soit assortie des intérêts à compter de l'arrêt à intervenir, leurs conclusions, qui sont relatives à l'application qui sera faite du présent arrêt, ne peuvent qu'être rejetées.

15. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A...sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande à concurrence de 5 000 euros.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Lembach, qui n'est pas pour l'essentiel la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. et Mme A...demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions de mettre à la charge de M. et Mme A...la somme que la commune de Lembach demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Par ces motifs,

DECIDE :

Article 1er : La commune de Lembach est condamnée à verser à M. et Mme A...une somme de 5 000 (cinq mille) euros.

Article 2 : Le jugement attaqué du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A...est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la commune de Lembach tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., à Mme E...-A... et à la commune de Lembach.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

2

N° 16NC00998


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16NC00998
Date de la décision : 20/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services de l'urbanisme - Permis de construire - Préjudice.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère direct du préjudice - Absence.


Composition du Tribunal
Président : M. MESLAY
Rapporteur ?: Mme Colette STEFANSKI
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS KNAEBEL MEDOVIC

Origine de la décision
Date de l'import : 01/08/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-07-20;16nc00998 ?
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