Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le département de la Moselle à lui verser la somme de 48 903,23 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2013 en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la décision du 13 octobre 2009 par laquelle le président du conseil général de la Moselle lui a retiré son agrément d'assistante maternelle.
Par un jugement n° 1401126 du 20 janvier 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le département de la Moselle à verser à Mme C... la somme de 6 716,80 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2013 et a rejeté le surplus de sa demande indemnitaire.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 février 2016, Mme D... C...représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 janvier 2016 en tant qu'il a limité à 6 716,80 euros la somme devant lui être versée par le département de la Moselle ;
2°) de condamner le département de la Moselle à lui verser la somme de 48 903,23 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2013, en réparation du préjudice subi du fait du retrait de son agrément d'assistante maternelle ;
3°) de mettre à la charge du département de la Moselle le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité du département de la Moselle doit être engagée du fait de l'illégalité fautive de la décision de retrait de son agrément d'assistante maternelle du 13 octobre 2009 ;
- elle subit un préjudice correspondant à la perte de ses rémunérations dès lors qu'elle a été licenciée par deux familles ;
- elle peut prétendre à l'indemnisation de son préjudice à compter du 10 juin 2009, date à laquelle son agrément a été suspendu.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2016, le département de la Moselle conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la responsabilité sans faute du département pourrait être engagée à raison de la rupture d'égalité devant les charges publiques.
Par un mémoire enregistré le 23 mai 2017, le département de la Moselle a présenté ses observations sur ce moyen relevé d'office.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision du 16 mars 2017 de la présidente de la cour désignant M. Olivier Di Candia pour exercer les fonctions de rapporteur public, en application des dispositions des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Kohler, premier conseiller,
- les conclusions de M. Di Candia, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant Mme C... et de MeB..., représentant le département de la Moselle.
1. Considérant que le département de la Moselle a, en 2001, délivré à Mme C...un agrément en qualité d'assistance maternelle, qui a été renouvelé en octobre 2005, pour la période du 9 janvier 2006 au 9 janvier 2011 ; qu'en juin 2009, l'un des enfants confiés à la garde de Mme C...s'est plaint d'avoir été victime d'abus sexuels de la part du fils de Mme C... ; que, le 10 juin 2009, le président du conseil général de la Moselle a décidé de suspendre l'agrément délivré à MmeC..., avant, le 13 octobre 2009, de procéder au retrait de cet agrément ; que, par un jugement du 18 décembre 2012 devenu définitif, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 13 octobre 2009 portant retrait de l'agrément ; que Mme C... relève appel du jugement en date du 20 janvier 2016 par lequel ce tribunal a limité à 6 716,80 euros, le montant de l'indemnisation mise à la charge du département de la Moselle ;
Sur la responsabilité du département de la Moselle :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'action sociale et des familles : " L'assistant maternel est la personne qui, moyennant rémunération, accueille habituellement et de façon non permanente des mineurs à son domicile " ; qu'aux termes de l'article L. 421-3 du même code : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou familial est délivré par le président du conseil général du département où le demandeur réside (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 421-6 de ce code : " (...) Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil général peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil général peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 423-24 du même code : " Le particulier employeur qui ne peut plus confier d'enfant à un assistant maternel qu'il employait depuis trois mois au moins, en raison de la suspension ou du retrait de l'agrément de celui-ci, tels qu'ils sont prévus par les dispositions de l'article L. 421-6, doit notifier à l'intéressé la rupture du contrat de travail par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Les charges liées à la rupture du contrat de travail consécutives à la suspension ou au retrait de l'agrément ne peuvent être supportées par le particulier employeur " ;
3. Considérant qu'en demandant à être indemnisée des préjudices subis entre le 11 juin 2009, date à laquelle le président du conseil général a décidé de suspendre son agrément et le 31 décembre 2013, Mme C...doit être regardée, et contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges, comme ayant sollicité l'indemnisation tant des conséquences de cette décision de suspension que de celles de la décision de retrait de son agrément ;
En ce qui concerne la décision de suspension de l'agrément :
4. Considérant qu'en application de l'article L. 421-6 du code de l'action sociale et des familles, le président du conseil général peut, en cas d'urgence, suspendre l'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial, en se fondant sur des éléments suffisamment précis et vraisemblables, permettant de suspecter que les conditions d'accueil garantissant la sécurité, la santé et l'épanouissement du ou des enfants accueillis ne sont plus remplies ; que l'illégalité d'une telle mesure de suspension constitue une faute pouvant engager la responsabilité du département ; que, dans le cas où, sans que cette suspension soit illégale, la suspicion qui l'avait motivée n'est pas confirmée, les griefs s'étant révélés par la suite infondés, l'intéressé, dont le contrat a nécessairement été rompu, sans indemnité, par le particulier qui l'employait, subit de ce fait un préjudice anormal et spécial, et est ainsi contraint de supporter, dans l'intérêt général, une charge qu'il ne doit pas normalement assumer et dont il est, par suite, fondé à demander réparation à la collectivité ;
5. Considérant, d'une part, qu'en soutenant que la décision de suspension est une partie intégrante du processus de retrait de l'agrément et en rappelant que la décision de retrait de l'agrément a été annulée, Mme C...doit être regardée comme invoquant l'illégalité fautive de cette mesure de suspension ; que cette décision est intervenue, sur dénonciation au département, par le père de l'un des enfants dont la garde était confiée à la requérante, des faits d'agression sexuelle dont son fils, alors âgé de trois ans, a déclaré avoir été victime de la part du fils de Mme C... ; que, compte tenu de ces déclarations et de la plainte déposée, une telle décision était, à la date à laquelle elle a été prise, justifiée dans l'urgence par l'intérêt général qui s'attache à la protection de la santé, la sécurité et l'épanouissement des personnes accueillies ; qu'elle n'est, dès lors, entachée d'aucune illégalité fautive ;
6. Considérant, d'autre part, que le tribunal administratif de Strasbourg, dans son jugement du 18 décembre 2012, a annulé la décision ultérieure de retrait de l'agrément, au motif qu'aucun élément susceptible de venir conforter la crédibilité des propos de l'enfant n'avait été produit ; qu'il résulte de l'instruction que si M. et Mme M., parents de cet enfant ont, avant même la décision de suspension, licencié Mme C... pour faute grave en raison des déclarations de leur enfant, M. et Mme C. n'ont rompu le contrat qui les liait à Mme C...pour la garde de deux enfants, qu'en application de l'article L. 423-24 du code de l'action sociale et des familles, en raison de la décision de suspension du 10 juin 2009 ; que, dans ces conditions, la préoccupation de l'intérêt des enfants accueillis par Mme C... a conduit l'administration à faire peser sur celle-ci une charge anormale en lui faisant supporter les conséquences financières de la décision de suspension qui, si elle était légale lorsqu'elle est intervenue, s'appuyait sur des griefs qui se sont révélés par la suite infondés ; que cette mesure de suspension, en raison du préjudice anormal et spécial qu'elle a causé, est ainsi de nature à engager la responsabilité du département de la Moselle même en l'absence de faute ;
En ce qui concerne la décision de retrait de l'agrément :
7. Considérant qu'en principe, toute illégalité est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'administration pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain ;
8. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, la décision de retrait d'agrément du 13 octobre 2009 a été annulée par jugement, devenu définitif, du tribunal administratif de Strasbourg du 18 décembre 2012, au motif que les faits qui avaient déjà conduit le département à suspendre l'agrément n'avaient pas, entretemps, été établis ; que l'illégalité de cette décision de retrait est susceptible d'engager la responsabilité du département pour faute ;
Sur les préjudices :
En ce qui concerne le préjudice lié à la décision de suspension :
9. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, la famille M. a, de sa propre initiative, rompu le contrat la liant à Mme C... en raison des faits dénoncés par leur fils ; que cette rupture de contrat est donc sans lien avec la décision de suspension de l'agrément dont Mme C...a ensuite fait l'objet ; que cette décision n'a, en réalité, entraîné pour Mme C...la rupture que du seul contrat portant sur la garde des deux enfants de la famille C. ; que la perte de salaire consécutive à cette rupture constitue, pour la période de suspension allant du 10 juin au 10 octobre 2009, un préjudice anormal et spécial dont Mme C...est fondée à demander réparation, pour un montant qui, compte tenu de la moyenne des salaires perçus en exécution de ce contrat, doit être fixé à une somme de 3 496 euros ;
En ce qui concerne le préjudice lié à la décision de retrait :
10. Considérant que l'agrément initialement accordé à Mme C...lui donnait la possibilité de se voir confier un enfant âgé de 0 à 18 ans et deux enfants âgés de 3 à 18 ans ; que la décision de retrait de cet agrément a ainsi entraîné pour l'intéressée la perte de la chance de bénéficier des revenus correspondant à la garde de trois enfants ; qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'annulation de ce retrait par le jugement du 18 décembre 2012, le président du conseil général a, par décision du 26 février 2013, accordé à Mme C...un nouvel agrément valable du 9 janvier 2011 au 9 janvier 2016 et qu'il doit, de ce fait, être regardé comme ayant estimé que les garanties présentées par Mme C... lui auraient permis de bénéficier du renouvellement de son agrément à la date à laquelle il aurait dû normalement prendre fin s'il n'avait été illégalement retiré ; que, dans ces conditions, la perte de chance dont Mme C... est fondée à demander l'indemnisation correspond à la période comprise entre le 13 octobre 2009, date du retrait de l'agrément initial et le 26 février 2013, date de délivrance du nouvel agrément, l'intéressée ne justifiant pas, qu'elle aurait été, au délà de cette date, dans l'impossibilité de conclure de nouveaux contrats avec des particuliers pour la garde de leurs enfants ;
11. Considérant que, compte tenu de la moyenne des revenus perçus par Mme C...pour la garde de trois enfants, il sera fait une juste appréciation de son préjudice en le fixant à la somme de 55 000 euros dont il y a lieu de déduire la somme de 25 244,35 euros que Mme C... indique avoir perçue, durant la période concernée, au titre des indemnités pour perte d'emploi, d'une part, et des salaires de remplacement, d'autre part ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité globale à laquelle Mme C... peut prétendre en réparation des préjudices causés par la suspension et par le retrait de son agrément d'assistance maternelle s'élève à la somme de 33 251,65 euros ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a limité l'indemnisation mise à la charge du département de la Moselle à la somme de 6 716,80 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de MmeC..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le département de la Moselle demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge du département de la Moselle une somme de 1 500 euros à verser à Mme C... sur le fondement des mêmes dispositions ;
D É C I D E :
Article 1er : L'indemnité mise à la charge du département de la Moselle en réparation des préjudices subis par Mme C...est portée à la somme de 33 251,65 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 janvier 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le département de la Moselle versera à Mme C...une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C...et au département de la Moselle.
6
2
N° 16NC00342