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23/02/2017 | FRANCE | N°15NC02478

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 23 février 2017, 15NC02478


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B...et M. A...C...ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le centre hospitalier de Sarreguemines à leur verser la somme de 25 000 euros chacun, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 février 2012 et de la capitalisation des intérêts en raison du préjudice qu'ils ont subi à la suite de la naissance de leur fils.

Par un jugement n° 1202616 du 3 novembre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a limité à 2 500 euros chacun le

montant de l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B...et M. A...C...ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le centre hospitalier de Sarreguemines à leur verser la somme de 25 000 euros chacun, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 février 2012 et de la capitalisation des intérêts en raison du préjudice qu'ils ont subi à la suite de la naissance de leur fils.

Par un jugement n° 1202616 du 3 novembre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a limité à 2 500 euros chacun le montant de l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier de Sarreguemines en réparation des préjudices subis par Mme B...et M.C..., et a mis les dépens à la charge de l'établissement de santé.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 décembre 2015, Mme D... B...et M. A...C..., représentés par MeH..., demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 3 novembre 2015 en portant le montant de l'indemnité au versement de laquelle le centre hospitalier de Sarreguemines a été condamné à 25 000 euros pour chacun des requérants ;

2°) de mettre les dépens à la charge du centre hospitalier de Sarreguemines, ainsi qu'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les praticiens du centre hospitalier de Sarreguemines ont omis de les informer que l'infection présentée par Mme B...pendant sa grossesse pourrait avoir des conséquences sur l'enfant à naître ;

- cette faute est caractérisée au sens de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles ;

- la mauvaise tenue du dossier médical de Mme B...est à l'origine d'un retard dans la prise en charge pédiatrique de l'enfant ;

- ils ont subi un préjudice résultant de leur impréparation à l'éventualité que leur enfant souffre de séquelles imputables à l'infection contractée par sa mère ;

- Mme B...n'a pas été en mesure de reprendre une activité professionnelle à l'issue de son congé parental et a subi une rupture d'anévrisme en 2007 ;

- Mme B...et son époux ont divorcé ;

- leurs préjudices s'établissent à 50 000 euros, soit 25 000 euros pour chacun d'entre eux.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 avril 2016, le centre hospitalier de Sarreguemines, représenté par MeF..., conclut, à titre principal, à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande présentée par les requérants en première instance et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête.

Le centre hospitalier de Sarreguemines fait valoir que :

- aucune faute caractérisée ne lui est imputable dès lors que l'infection de Mme B...a été diagnostiquée sans retard, que les examens, notamment échographiques, qu'implique un tel diagnostic ont été effectués, que ces examens n'ont révélé aucune anomalie foetale, qu'une information des parents au cours de la grossesse n'aurait permis ni de décider une éventuelle interruption de grossesse, ni de mettre en oeuvre un traitement chez l'enfant à naître et que le diagnostic d'une infection chez ce dernier après sa naissance n'aurait pas permis de déterminer les séquelles dont il allait être atteint ;

- le préjudice d'impréparation n'est pas établi dès lors que les requérants ne justifient pas des mesures qu'ils auraient pu prendre s'ils avaient été informés ;

- les autres préjudices ne sont pas établis.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Moselle a été mise en demeure le 12 avril 2016 en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.

L'instruction a été close à la date du 22 novembre 2016 par une ordonnance du 4 novembre 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la santé publique ;

- le décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995, alors en vigueur ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de MeG..., pour les requérants.

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme B...a été admise le 23 mars 2000, au cours de sa deuxième grossesse, dans les services du centre hospitalier de Sarreguemines, en raison de céphalées fébriles et de malaises ; que les examens biologiques ont confirmé une infection de Mme B...par le cytomégalovirus (CMV) ; que l'intéressée a accouché le 13 août 2000 à la maternité du centre hospitalier d'un fils prénomméE... ; que les requérants, constatant que leur enfant, alors âgé de six mois, présentait un retard de développement, ont sollicité des avis médicaux auprès de plusieurs médecins spécialisés et ont fait procéder à des examens biologiques qui ont permis d'établir un lien entre ce retard et la contamination de Mme B...pendant la grossesse ; que cette dernière et son époux, M.C..., ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le centre hospitalier de Sarreguemines à leur verser la somme totale de 50 000 euros en réparation du préjudice moral résultant, selon eux, d'un défaut d'information sur l'infection contractée par Mme B...au cours de la grossesse et de l'absence d'examens, après la naissance de l'enfant, qui auraient permis de vérifier une éventuelle contamination de ce dernier par le cytomégalovirus ; que par un jugement du 3 novembre 2015, le tribunal administratif, après avoir retenu la responsabilité du centre hospitalier, a condamné celui-ci à verser la somme de 2 500 euros à chacun des requérants en réparation du préjudice résultant de leur impréparation à l'éventualité que leur fils souffre de séquelles imputables à l'infection contractée par Mme B...au cours de sa grossesse ; que Mme B... et M. C...relèvent appel de ce jugement en réitérant devant la cour leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Sarreguemines à leur verser la somme totale de 50 000 euros en réparation de leur préjudice ; que le centre hospitalier sollicite, par la voie d'un appel incident, l'annulation du jugement du 3 novembre 2015 au motif que sa responsabilité n'est pas engagée ;

Sur la responsabilité :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la codification, par la loi du 11 février 2005, de dispositions qui figuraient antérieurement aux trois premiers alinéas du I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. / La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale " ;

3. Considérant qu'il est constant que le jeune E...souffre d'un handicap non décelé pendant la grossesse de Mme B...; qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise déposé devant le tribunal administratif de Strasbourg, que ce handicap est imputable à une infection de la mère par le cytomégalovirus, transmise à l'enfant au cours de la grossesse ;

4. Considérant, d'une part, qu'il résulte encore de l'instruction, notamment du rapport précité, que les praticiens du centre hospitalier de Sarreguemines, après avoir diagnostiqué, le 23 mars 2000, l'infection de Mme B...par le cytomégalovirus, ont procédé à des examens échographiques réguliers, conformément aux recommandations médicales alors en vigueur, afin de surveiller le développement du foetus et la survenue d'éventuelles anomalies ; qu'aucun de ces examens réalisés les 23 mars, 6 avril, 18 mai, 20 juin et 20 juillet 2000 n'a permis de déceler une anomalie susceptible d'affecter l'enfant à venir, lequel est né sans présenter de symptômes d'une infection par le cytomégalovirus ; qu'ainsi, aucune faute n'est imputable au centre hospitalier dans l'organisation du suivi médical de la grossesse de MmeB..., après que son infection a été diagnostiquée, et dans l'interprétation des examens rendus nécessaires par ce suivi ;

5. Considérant, d'autre part, que si la transmission du germe infectieux de la mère au foetus présente un risque important, évalué à près de 50 % des cas, et que les enfants ainsi contaminés au cours de la grossesse présentent des séquelles dans une proportion d'environ 10 %, l'expert désigné par les premiers juges précise que l'absence d'éléments pathologiques foetaux objectifs sur les échographies réalisées pendant la grossesse de Mme B...excluait toute indication d'interruption médicale de grossesse ; qu'au demeurant, il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas soutenu par les requérants que ceux-ci auraient envisagé une telle interruption dans l'hypothèse où ils auraient été informés des possibles conséquences dommageables résultant, pour l'enfant à naître, de l'infection subie par Mme B...; que, par suite, il n'est pas établi que le défaut d'information des requérants sur l'infection subie par Mme B...au cours de sa grossesse et sur les séquelles pouvant résulter de cette infection pour l'enfant à naître aurait constitué, dans les circonstances de l'espèce, une faute caractérisée ayant fait obstacle à ce que le handicap du jeune E...soit décelé au cours de la grossesse ;

6. Considérant, enfin, que les informations se rapportant à l'infection de Mme B...ont fait l'objet d'une transcription incomplète dans le dossier médical de l'intéressée, expliquant que l'équipe pédiatrique du centre hospitalier n'a pas été en mesure de déterminer, à bref délai après la naissance de l'enfant, l'origine des séquelles dont celui-ci est atteint ; que toutefois, il n'est pas établi que ce manquement serait à l'origine de l'absence de dépistage de ces mêmes séquelles pendant la grossesse de la requérante, alors que, ainsi qu'il a été dit au point 4, un suivi régulier de la grossesse a été réalisé après le diagnostic de l'infection ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Sarreguemines est fondé à soutenir qu'en l'absence de faute caractérisée, sa responsabilité ne saurait être engagée sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles ;

8. Considérant, en revanche, qu'aux termes de l'article 35 du décret du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale, alors en vigueur, dont les dispositions ont été reprises depuis à l'article R. 4127-35 du code de santé publique : " Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose " ; qu'il n'est pas sérieusement contesté que Mme B...n'a reçu aucune information sur l'infection dont elle a été victime au cours de sa grossesse, ni sur l'objet des examens dont elle a fait l'objet afin de surveiller le développement de son enfant en gestation, ni encore sur les conséquences éventuelles de cette infection sur le développement du foetus ; qu'il n'est pas établi, ni même allégué par l'établissement de santé, que l'intérêt de la parturiente, ou des raisons légitimes appréciées en conscience par le praticien du centre hospitalier, se seraient opposés à la délivrance de cette information à MmeB... ; qu'en outre, il résulte de l'instruction que les informations relatives à cette infection ont été retranscrites de façon incomplète dans le dossier médical de l'intéressée, faisant obstacle aux examens dont l'enfant aurait dû faire l'objet après sa naissance afin de vérifier une éventuelle contamination in utero ; que ce défaut d'information et la mauvaise tenue du dossier médical de Mme B...constituent des manquements fautifs susceptibles d'engager la responsabilité du centre hospitalier de Sarreguemines ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier de Sarreguemines n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a retenu sa responsabilité et l'a condamné à indemniser Mme B...et M. C...de leur préjudice ;

Sur l'évaluation du préjudice :

10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'absence d'informations données à Mme B... sur l'infection dont elle a été victime au cours de sa grossesse, empêchant l'intéressée d'envisager un lien avec le retard de développement constaté chez son enfant alors âgé de six mois, et la transcription incomplète des informations relatives à cette infection dans son dossier médical, qui a fait obstacle à la réalisation des examens pédiatriques dont l'enfant aurait dû faire l'objet après sa naissance, ont eu pour effet de retarder le diagnostic du handicap du jeuneE..., lequel n'a été confirmé qu'après des examens biologiques réalisés en juillet 2002 ; que s'il n'est pas établi que ce retard de diagnostic serait à l'origine d'un préjudice professionnel ou d'ennuis de santé pour Mme B... ou encore du divorce des requérants, il résulte de l'instruction que ces derniers ont subi, en raison d'une longue période d'incertitude sur l'état de leur enfant, un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en allouant la somme de 5 000 euros à chacun d'entre eux ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B...et M. C...sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a limité le montant total de leur indemnisation à 5 000 euros, soit 2 500 euros chacun ; qu'il y a lieu de porter ce montant à 10 000 euros, soit 5 000 euros pour chacun des appelants ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Sarreguemines une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B... et M. C...et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La somme que le centre hospitalier de Sarreguemines est condamné à verser à Mme B...et à M. C...est portée de 2 500 euros chacun à 5 000 (cinq mille) euros chacun.

Article 2 : Le jugement n° 1202616 du 3 novembre 2015 du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier de Sarreguemines versera à Mme B...et à M. C...une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et l'appel incident du centre hospitalier de Sarreguemines sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...B..., à M. A... C..., au centre hospitalier de Sarreguemines et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Moselle.

2

N° 15NC02478


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC02478
Date de la décision : 23/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme ROUSSELLE
Rapporteur ?: M. Jean-Marc GUERIN-LEBACQ
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : SCHRECKENBERG PARNIERE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 05/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-02-23;15nc02478 ?
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