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02/02/2017 | FRANCE | N°16NC01775

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 02 février 2017, 16NC01775


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...A...et Mme C...B...épouse A...ont demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 30 novembre 2015 par lesquels le préfet du Doubs a refusé de délivrer à M. A...un titre de séjour, a fait obligation aux deux époux de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par deux jugements n°1502077 et n° 1502078 du 24 mars 2016, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la co

ur :

I.) Par une requête enregistrée sous le n° 16NC01775, le 10 août 2016, M.A..., représen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...A...et Mme C...B...épouse A...ont demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 30 novembre 2015 par lesquels le préfet du Doubs a refusé de délivrer à M. A...un titre de séjour, a fait obligation aux deux époux de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par deux jugements n°1502077 et n° 1502078 du 24 mars 2016, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I.) Par une requête enregistrée sous le n° 16NC01775, le 10 août 2016, M.A..., représenté par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 mars 2016 du tribunal administratif de Besançon ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 30 novembre 2015 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour.

Il soutient que :

- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; son épouse ne peut être considérée comme représentant une charge pour le système d'assistance sociale français, dès lors qu'il y a lieu de tenir compte de ses propres ressources issues de ses missions d'intérim, supérieures aux prestations sociales perçues par le couple ; l'entretien et l'éducation de ses trois enfants en bas âge ne permettent pas à son épouse d'occuper elle-même un emploi ;

- il méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le centre de ses intérêts privés et familiaux se situe désormais en France, où sont par ailleurs scolarisés ses enfants ; la mesure attaquée aura pour effet de séparer les membres de la famille, dans la mesure où il n'est pas légalement admissible aux Pays-Bas ;

- il méconnaît les dispositions de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 septembre 2016, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 22 juillet 2016.

II.) Par une requête enregistrée sous le n° 16NC01773, le 9 août 2016, Mme A..., représentée par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 mars 2016 du tribunal administratif de Besançon ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 30 novembre 2015 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour.

Elle soutient que :

- les dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ont été méconnues dès lors qu'elle n'a pas été invitée à présenter ses observations avant l'édiction de la mesure envisagée ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle ne peut être considérée comme représentant une charge pour le système d'assistance sociale français, dès lors qu'il y a lieu de tenir compte des ressources issues des missions d'intérim exercées par son mari, et qui sont supérieures aux prestations sociales perçues ; l'entretien et l'éducation de ses trois enfants en bas âge ne lui permettent pas d'occuper elle-même un emploi ;

- il méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le centre de ses intérêts privés et familiaux se situe désormais en France, où sont par ailleurs scolarisés ses enfants ; la mesure attaquée aura pour effet de séparer les membres de la famille, dans la mesure où son mari n'est pas légalement admissible aux Pays-Bas ;

- il méconnaît les dispositions de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 septembre 2016, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Mme A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 22 juillet 2016.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Didiot,

1. Considérant que les requêtes de M. et Mme A...visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la décision portant refus de séjour relative à M. A...:

2. Considérant, en premier lieu, que le requérant reprend en appel, sans apporter d'élément nouveau, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus, à bon droit, par le tribunal administratif de Besançon dans son jugement du 24 mars 2016 ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

4. Considérant que le séjour en France de M. A...est récent ; qu'il n'y justifie pas de la réalité et de l'intensité de ses attaches, alors qu'il ne démontre pas avoir rompu tout lien dans son pays d'origine ; que la seule circonstance que ses deux enfants soient scolarisés respectivement en petite section et très petite section de maternelle, et que son troisième enfant soit né en France, n'est pas de nature à conférer en soi un droit au séjour à l'intéressé, dès lors que la cellule familiale peut se reconstituer dans leur pays d'origine et qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que la scolarité des enfants ne pourrait s'y poursuivre ; que M. A... ne justifie pas qu'il ne serait pas admissible aux Pays-Bas, pays dont son épouse et ses deux enfants sont ressortissants ; qu'ainsi le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise ; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ; qu'il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté attaqué ait, dans les circonstances de l'espèce, méconnu les stipulations précitées, dès lors qu'il n'implique en lui-même aucune séparation des enfants des requérants d'avec leurs parents et que, compte tenu de leur jeune âge, la mesure d'éloignement litigieuse ne devrait pas avoir pour effet de compromettre leur équilibre, ni leur scolarité ; qu'il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant susvisée doit être écarté ;

En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi :

6. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union " ; qu'aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) " ; qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union (...) " ;

7. Considérant que les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicables au présent litige, sont issues de dispositions de la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité qui ont procédé à la transposition, dans l'ordre juridique interne, des objectifs de la directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

8. Considérant, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, que les auteurs de la directive du 16 décembre 2008, s'ils ont encadré de manière détaillée les garanties accordées aux ressortissants des États tiers concernés par les décisions d'éloignement ou de rétention, n'ont pas précisé si et dans quelles conditions devait être assuré le respect du droit de ces ressortissants d'être entendus, qui relève des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne et consacrés par la Charte des droits fondamentaux ; que si l'obligation de respecter les droits de la défense pèse en principe sur les administrations des États membres lorsqu'elles prennent des mesures entrant dans le champ d'application du droit de l'Union, il appartient aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré, pour les ressortissants des États tiers en situation irrégulière, le respect du droit d'être entendu ;

9. Considérant que le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité de son séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour ; qu'il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement ;

10. Considérant qu'en l'espèce, Mme A...soutient qu'elle n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations avant l'édiction à son encontre d'une mesure d'éloignement ; qu'il ressort des pièces du dossier que le préfet, examinant la demande de délivrance de titre de séjour présentée par son mari, a apprécié le droit au séjour de ce dernier, comme l'y invitaient les dispositions combinées des articles L. 121-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au regard de la situation de son épouse ressortissante d'un pays membre de l'Union européenne ; qu'estimant que cette dernière ne justifiait pas de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, le préfet en a inféré l'absence de droit au maintien de son séjour en France au-delà d'une durée de trois mois, et par ricochet l'absence de droit au séjour de son époux ressortissant d'un État tiers ; qu'il a ensuite édicté des mesures d'éloignement à l'adresse tant de M. A...que de son épouse ; que toutefois, il est constant que Mme A..., qui n'a pas formé de demande de délivrance de titre de séjour, n'a pas été informée de ce qu'une mesure d'éloignement était susceptible d'être prise à son encontre, ni invitée à formuler ses observations sur l'irrégularité de son séjour ou la perspective de l'éloignement, sans que puisse être valablement invoquée la circonstance qu'elle était nécessairement informée de la demande de titre de séjour présentée par son époux ; que, par suite, la requérante est fondée à soutenir que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que du droit d'être entendu préalablement à toute décision qui affecte sensiblement et défavorablement les intérêts de son destinataire, qui constitue l'une des composantes du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne, a été méconnu, sans qu'il y ait lieu de rechercher si Mme A...avait ou non des éléments d'information pertinents à faire valoir ; qu'il s'ensuit que la décision obligeant Mme A...à quitter le territoire français est irrégulière ainsi que la décision subséquente fixant le pays de renvoi ;

11. Considérant que M. A...est, par voie de conséquence, fondé à soutenir que la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, en tant qu'elle porte atteinte à l'unité de la cellule familiale, méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elle est par suite irrégulière, de même que la décision subséquente fixant le pays de renvoi ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A...sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes, en tant qu'elles tendaient à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Considérant que le présent arrêt implique seulement que le préfet du Doubs procède au réexamen de la situation des intéressés dans un délai de deux mois à compter de sa notification ;

D É C I D E :

Article 1er : Les jugements n°1502077 et n° 1502078 du 24 mars 2016 du tribunal administratifs de Besançon sont annulés en tant qu'ils ont rejeté les demandes des intéressés tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi ainsi que leurs demandes d'injonction.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Doubs de réexaminer la situation des intéressés dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. et Mme A...est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...A..., à Mme C...A...et au ministre de l'intérieur.

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Doubs.

2

16NC01773,16NC01775


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16NC01775
Date de la décision : 02/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-02 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. Légalité interne.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Sandra DIDIOT
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : WOLDANSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/02/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-02-02;16nc01775 ?
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