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20/12/2016 | FRANCE | N°16NC01451

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 20 décembre 2016, 16NC01451


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...B...a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'État à lui verser une somme de 22 106 euros en réparation des préjudices liés à l'illégalité fautive d'une décision de refus de séjour portant obligation de quitter le territoire français et à la remise tardive d'un titre de séjour.

Par un jugement n° 1500144 du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Besançon a condamné l'État à verser à M. B...une somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts ain

si qu'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...B...a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'État à lui verser une somme de 22 106 euros en réparation des préjudices liés à l'illégalité fautive d'une décision de refus de séjour portant obligation de quitter le territoire français et à la remise tardive d'un titre de séjour.

Par un jugement n° 1500144 du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Besançon a condamné l'État à verser à M. B...une somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 juillet et 17 novembre 2016, M.B..., représenté par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il porte rejet du surplus de sa demande ;

2°) de porter le montant de la somme de 1 500 euros à la somme de 22 106 euros, cette somme portant intérêts à compter du 11 juillet 2014 ;

3°) de décider la capitalisation de ces intérêts à compter de cette date ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil d'une somme de 500 euros et le versement d'une somme de 1 000 euros au titre des frais qu'il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal n'a pas reconnu que l'État avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en exécutant tardivement le jugement du 3 novembre 2011 ;

- c'est également à tort que le tribunal a limité à 1 500 euros l'indemnisation à laquelle il a droit en réparation du préjudice économique subi du fait du refus de séjour du 30 juin 2011 ;

- c'est enfin aussi à tort que le tribunal a considéré qu'il n'avait subi aucun préjudice moral de ce chef.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2016, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

En ce qui concerne la demande d'indemnisation des préjudices subis du fait du refus de séjour du 30 juin 2011 et de l'obligation de quitter le territoire français :

- c'est à bon droit que le tribunal n'a indemnisé M. B...que du seul préjudice matériel à hauteur de 1 500 euros ;

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu une période d'indemnisation débutant le 30 juin 2011 ;

- M. B...n'est pas fondé à se prévaloir d'une activité professionnelle antérieure au refus de séjour ;

- M. B...ne justifie d'aucune privation d'emploi à la date du refus de séjour du 30 juin 2011 ;

- M. B...ne justifie pas qu'il a été privé du fait du refus de séjour du 30 juin 2011 d'une chance sérieuse de trouver un emploi par la production seulement de deux promesses d'embauche ;

- M. B...ne justifie pas de la réalité des troubles qu'il aurait subis dans ses conditions d'existence.

En ce qui concerne la demande d'indemnisation des préjudices subis du fait du délai mis par l'administration préfectorale à lui délivrer, en exécution du jugement du tribunal administratif du 3 novembre 2011, un certificat de résidence :

- il a correctement exécuté le jugement en délivrant à M. B...des récépissés de titre de séjour de trois mois à compter du 16 novembre 2011 puis un titre de séjour de six mois et n'a donc commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'État ;

- l'exigence d'un passeport valide réside à l'article L. 313-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le tribunal administratif de Besançon a d'ailleurs conclu au non-lieu à statuer dans le cadre de la demande de M. B...tendant à ce que soient prescrites les mesures propres à assurer l'exécution de ce jugement ;

- subsidiairement, les documents de séjour délivrés à M. B...ne l'ont pas empêché de chercher un emploi dès le 16 novembre 2011 ;

- M. B...ne justifie pas qu'il a été empêché, avec certitude, d'accéder à une formation professionnelle qualifiante ;

- M. B...ne justifie pas que la somme de 106 euros dont il demande l'indemnisation soit en lien avec le refus de séjour du 30 juin 2011 ou l'exécution du jugement du 3 novembre 2011 du tribunal administratif de Besançon ;

- à titre encore plus subsidiaire, M. B...ne justifie pas de la réalité du préjudice moral qu'il invoque.

M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par décision du bureau d'aide juridictionnelle de Nancy du 28 avril 2016.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Etienvre,

- et les conclusions de Mme Peton-Philippot, rapporteur public.

1. Considérant que M.B..., ressortissant algérien, entré en France le 15 octobre 2006, sous couvert d'un visa de quatre-vint-dix jours, a obtenu, en raison de son mariage, le 20 février 2006, avec une ressortissante française, un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " valable jusqu'au 10 décembre 2007 ; que le 13 mars 2009, le préfet du Doubs a refusé de renouveler ce titre de séjour ; que le 10 octobre 2010, M. B...a demandé la régularisation de sa situation en qualité de parent d'un enfant français ; que le préfet du Doubs a pris, en réponse, le 30 juin 2011, un arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ; que par jugement du 3 novembre 2011, le tribunal administratif de Besançon a, sur demande de M.B..., annulé cet arrêté aux motifs que le préfet avait pris celui-ci en méconnaissance des stipulations du 5° de l'article 6 de l'accord franco algérien du 27 décembre 1968 et des stipulations de l'article 3 de la convention internationale sur les droits de l'enfant ; que le tribunal a également enjoint au préfet de délivrer un certificat de résident algérien portant la mention " vie privée et familiale " à M. B...dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement ; que, par courrier du 11 juillet 2014 reçu le 18 juillet 2014, M. B...a demandé à l'État le versement d'une somme de 22 300 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision préfectorale du 30 juin 2011 et de la carence de l'administration à exécuter le jugement du 3 novembre 2011 ; que, par jugement du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Besançon a condamné l'État à payer à M. B...une indemnité de 1 500 euros et a rejeté le surplus de la demande ; que M. B...relève appel de ce jugement dans cette dernière mesure ;

Sur les conclusions tendant à la réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision du 30 juin 2011 :

2. Considérant que M. B...conteste le montant de l'indemnisation qui lui a été accordée à ce titre par les premiers juges ; qu'il demande que la somme de 1 500 euros qui lui a été allouée soit portée à 15 000 euros ;

En ce qui concerne l'existence d'un préjudice économique :

3. Considérant que les premiers juges ont considéré que M. B...justifiait avec certitude avoir été privé d'une perte de chance sérieuse d'obtenir un emploi rémunéré entre le 30 juin 2011 et le 16 novembre 2011 ;

4. Considérant que M. B...ne demandant que la réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité du refus de séjour du 30 juin 2011 et de l'obligation de quitter le territoire français dont ce refus a été assorti, celui-ci n'est pas fondé à demander que la période d'indemnisation à prendre en compte débute le 11 février 2011 date à laquelle sa demande de certificat de résidence a été implicitement rejetée ;

5. Considérant, en revanche, que M. B...justifie par les différents documents qu'il produit avoir perçu, lorsqu'il a exercé une activité salariée, un revenu mensuel net d'au moins mille euros ; qu'il est dès lors fondé à soutenir que les premiers juges n'ont pas procédé à une juste réparation de la perte de chance d'accéder entre le 30 juin 2011 et le 16 novembre 2011 à un emploi lui permettant d'obtenir une rémunération de même montant ; qu'il y a lieu, dès lors, de porter le montant de l'indemnisation accordée par les premiers juges de 1 500 euros à 4 000 euros ;

En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles subis dans les conditions d'existence :

6. Considérant que s'il est vrai que M. B...ne peut justifier de la réalité du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis à raison du caractère illégal de l'obligation de quitter le territoire français qui lui a été faite le 30 juin 2011, l'intéressé s'est, en revanche, trouvé dépourvu illégalement de titre de séjour du 30 juin 2011 au 16 novembre 2011 ; qu'alors même que M. B...était en situation irrégulière depuis le 10 décembre 2007, celui-ci est fondé à demander à être indemnisé des troubles qu'il a subis de ce fait dans ses conditions d'existence ; qu'il sera fait une juste réparation de ce chef de préjudice en condamnant l'État à payer à M. B...une indemnité de 600 euros ;

Sur les conclusions tendant à la réparation des préjudices subis du fait de la carence de l'administration à exécuter le jugement du 3 novembre 2011 :

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le préfet devait, pour exécuter le jugement du 3 novembre 2011, délivrer à M. B...un certificat de résidence valable un an portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois qui a commencé à courir à compter de la notification au préfet dudit jugement soit le 11 novembre 2011 ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le préfet n'a délivré à M. B...à compter du 16 novembre 2011 que des récépissés de demande de carte de séjour d'une validité de trois mois ; que l'intéressé a été mis en possession, le 17 juin 2013, d'un certificat de résidence valable du 15 juin 2012 au 12 décembre 2012 ; que ce n'est que le 15 octobre 2013, que M.B..., qui avait entrepris les démarches légales en vue d'exécuter le jugement, s'est vu remettre un certificat de résidence valable du 15 juin 2013 au 15 juin 2014 ;

9. Considérant qu'en se bornant à se prévaloir, sans autres précisions, du délai nécessaire à la fabrication matérielle d'un titre de séjour définitif et faute d'établir les prétendus retards qu'il impute au requérant dans l'instruction de la demande d'exécution du jugement susmentionné, le préfet ne justifie pas qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de délivrer dans le délai d'un mois qui lui était imparti à compter du 16 novembre 2011 à M. B... le certificat de résidence auquel il avait droit ; que, contrairement à ce que le préfet soutient, la circonstance que la validité du passeport de M. B...arrivait à échéance le 12 décembre 2012 ne faisait aucunement obstacle à ce que le certificat de résidence qu'il devait délivrer à M. B...soit valable jusqu'au 11 décembre 2012 ; que, dès lors, dans les circonstances de l'espèce, la délivrance tardive de ce certificat de résidence constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'État ; que M. B...est, en conséquence, fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a refusé d'engager la responsabilité de l'État de ce chef ;

10. Considérant que M. B...ne justifie cependant aucunement que le fait de ne pas avoir pu suivre la formation professionnelle à laquelle il avait postulé ait été à l'origine d'un préjudice financier indemnisable ; qu'il n'établit pas davantage que les récépissés de demande de carte de séjour mis en sa possession à compter du 16 novembre 2011 l'aient empêché d'accéder à un emploi mieux rémunéré ; qu'il ne justifie pas non plus que cette situation ait été à l'origine d'une absence de rémunération durant deux jours ; qu'en réalité, la somme de 106 euros dont M. B...demande à être indemnisée correspond aux taxes dont il a dû s'acquitter lors de la délivrance du certificat de résidence valable du 15 juin 2012 au 12 décembre 2012 puis lors de sa demande de renouvellement de ce certificat ; que ces taxes sont sans lien avec la carence de l'État à exécuter le jugement du 3 novembre 2011 ; que M. B... n'est par suite pas fondé, sur ces points, à demander à être indemnisé ;

11. Considérant, en revanche, que durant la période pendant laquelle M. B...a été mis en possession de récépissés de demande de carte de séjour aux lieu et place du certificat de résidence auquel il avait droit, en exécution du jugement du 3 novembre 2011, l'intéressé a été soumis à des contraintes plus importantes à l'origine de troubles dans ses conditions d'existence ; qu'il sera fait une juste réparation de ce chef de préjudice en condamnant l'État à payer à M. B...une indemnité de 400 euros ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...est seulement fondé à demander que l'indemnité que le tribunal administratif a condamné l'État à lui verser soit portée à la somme de 5 000 euros ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

13. Considérant, d'une part, que M. B...a droit aux intérêts au taux légal sur la somme que l'État est condamné à lui verser à compter du 18 juillet 2014, date de réception sa demande d'indemnisation ;

14. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière " ;

15. Considérant que pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que M. B...a demandé la capitalisation des intérêts le 11 juillet 2016 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 11 juillet 2016, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

16. Considérant que M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 000 euros à M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la somme de 500 euros à MeA..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État ;

D É C I D E :

Article 1er : Le montant de l'indemnité auquel l'État a été condamné à payer à titre de dommages et intérêts à M. B...est porté de 1 500 à 5 000 euros (cinq mille euros). Cette somme sera assortie des intérêts à compter du 18 juillet 2014. Les intérêts échus le 16 juillet 2016 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Besançon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à M. B... la somme de 1 000 (mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à Me A... la somme de 500 (cinq cents) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B...et au ministre de l'intérieur.

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N° 16NC01451


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16NC01451
Date de la décision : 20/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-02 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Franck ETIENVRE
Rapporteur public ?: Mme PETON-PHILIPPOT
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 10/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2016-12-20;16nc01451 ?
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