Vu la procédure suivante :
Par un arrêt avant-dire droit du 19 mars 2015, la cour administrative d'appel de Nancy a ordonné, avant de statuer sur la requête de M. B...F...tendant à l'annulation du jugement n° 1101364 du 1er octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Saint-Quentin et du centre hospitalier régional universitaire de Reims à réparer les préjudices qu'il a subis à la suite de sa prise en charge en 2004, une expertise en vue de déterminer si les actes médicaux litigieux ont été réalisés conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science, si ces actes étaient ou non indiqués eu égard à l'état de santé de M.F..., et s'ils se trouvent ou non à l'origine de l'amputation subie par ce dernier ou d'une perte de chance d'éviter cette amputation.
L'expert a remis son rapport le 10 juin 2016.
Les honoraires de l'expert ont été liquidés et taxés à la somme de 1 455 euros par une ordonnance de la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy du 7 juillet 2016.
Par deux mémoires enregistrés les 20 juillet et 2 septembre 2016 après le dépôt du rapport d'expertise, M. B... F..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n° 1101364 du 1er octobre 2013 ;
2°) à titre principal, d'ordonner une expertise aux fins de se prononcer sur les causes de l'amputation de la jambe gauche qu'il a subie à la suite de sa prise en charge au cours du mois de mars 2004 par le centre hospitalier de Saint-Quentin et le centre hospitalier régional universitaire de Reims, ainsi que sur l'étendue des préjudices résultant de cette amputation ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement le centre hospitalier de Saint-Quentin et le centre hospitalier régional universitaire de Reims à lui verser une somme de 1 278 643,08 euros en réparation de ses préjudices ;
4°) de condamner les deux établissements de santé aux dépens, ainsi qu'au versement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il reprend les mêmes moyens que ceux qui sont soulevés dans ses écritures précédentes et soutient, en outre, que :
- le rapport d'expertise déposé devant la cour est incomplet et traduit le seul avis théorique personnel de l'expert ;
- les opérations d'expertise n'ont pas été contradictoires ;
- il appartient à la cour de désigner un nouvel expert ;
- les frais engagés pour l'adaptation de sa résidence et de son véhicule sont évalués, respectivement, à 7 902,90 euros et à 30 989,95 euros ;
- ses pertes de revenus, pour la période postérieure à sa consolidation, sont évaluées à 407 482,01 euros.
La clôture d'instruction a été fixée au 9 septembre 2016 par une ordonnance du 8 août 2016.
Par trois mémoires en défense enregistrés les 19 août, 31 août et 9 septembre 2016, le centre hospitalier régional universitaire de Reims, représenté par MeE..., conclut, par les mêmes moyens, aux mêmes fins que dans ses précédents mémoires.
Il fait valoir, en outre, qu'il ressort du rapport d'expertise déposé devant la cour qu'aucun manquement ne lui est imputable dans la prise en charge du requérant.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 septembre 2016, le centre hospitalier de Saint-Quentin, représenté par MeC..., conclut, par les mêmes moyens, aux mêmes fins que dans ses précédents mémoires.
Il fait valoir, en outre, qu'il ressort du rapport d'expertise déposé devant la cour qu'aucun manquement ne lui est imputable dans la prise en charge du requérant.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que le moyen tiré de ce que le rapport d'expertise déposé devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Picardie est irrégulier en l'absence de caractère contradictoire des opérations d'expertise, est irrecevable dès lors que ce moyen, dont le requérant aurait pu se prévaloir en première instance, ne peut être invoqué pour la première fois en appel.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., pour le centre hospitalier de Saint-Quentin.
1. Considérant que M.F..., né le 29 avril 1949, a été admis dans les services du centre hospitalier de Saint-Quentin le 19 mars 2004 pour une ischémie à la jambe gauche ; que l'intéressé, dont l'état de santé ne s'est pas amélioré malgré une thrombectomie réalisée le 25 mars 2004, a été transféré le 28 mars suivant au centre hospitalier régional universitaire de Reims où il a été opéré, à deux reprises, le 31 mars 2004 ; que ces interventions n'ont pas permis d'éviter une gangrène à la jambe gauche de M.F..., laquelle a été amputée le 6 avril 2004 à hauteur du mollet, puis, le 19 avril 2004, à hauteur de la cuisse ; que l'intéressé a présenté une demande d'indemnisation à la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Picardie, laquelle a émis un avis défavorable le 4 juin 2008, puis a recherché la responsabilité des deux établissements de santé devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ; qu'au vu du rapport d'expertise déposé devant la commission régionale, les premiers juges ont rejeté la demande d'indemnisation de M. F...par un jugement du 1er octobre 2013 ; qu'avant de statuer sur l'appel formé par ce dernier contre ledit jugement, la cour administrative d'appel de Nancy a ordonné une expertise en vue de se déterminer sur une faute éventuelle dans la réalisation des actes médicaux dont l'intéressé a fait l'objet et sur le lien de causalité entre une telle faute et les dommages dont la réparation est demandée ; que l'expert a remis son rapport le 10 juin 2016 ;
Sur la régularité du rapport d'expertise déposé devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux :
2. Considérant que M. F...soutient que les premiers juges ne pouvaient se fonder sur le rapport d'expertise déposé devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Picardie, au motif que les opérations d'expertise n'auraient pas respecté le principe du contradictoire ; que, toutefois, pour contester la régularité du jugement, une partie n'est pas recevable à invoquer pour la première fois en appel l'irrégularité des opérations d'expertise, dont elle aurait pu se prévaloir devant les premiers juges ; que le requérant n'a formulé, dans sa demande initiale et son mémoire déposés devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, aucune réserve sur la régularité du rapport d'expertise précité ; que, dès lors, il n'est pas recevable à invoquer en appel ce moyen d'irrégularité du jugement ;
Sur la régularité du rapport d'expertise déposé devant la cour :
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 621-7 du code de justice administrative : " Les parties sont averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise ; cet avis leur est adressé quatre jours au moins à l'avance, par lettre recommandée. / Les observations faites par les parties, dans le cours des opérations, sont consignées dans le rapport " ; qu'aux termes de l'article R. 621-9 du même code : " Le rapport est déposé au greffe en deux exemplaires. Des copies sont notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification peut s'opérer sous forme électronique. / Le greffe peut demander à l'expert de déposer son rapport sous forme numérique. La notification du rapport aux parties est alors assurée par le greffe. / Les parties sont invitées par le greffe de la juridiction à fournir leurs observations dans le délai d'un mois ; une prorogation de délai peut être accordée " ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les parties ont été convoquées par l'expert désigné par la présente cour à une réunion qui s'est tenue, en leur présence, le 23 mai 2016 ; que l'expert, qui n'était pas tenu d'organiser une nouvelle réunion, ni de communiquer un pré-rapport aux parties, a adressé son rapport à celles-ci par un courrier du 6 juin 2016, leur permettant ainsi d'en discuter les conclusions ; qu'il n'est pas établi, ni même sérieusement soutenu, que l'expert se serait fondé, pour établir ce document, sur des éléments dont M. F...n'aurait pas eu connaissance au cours des opérations d'expertise, ni même que l'expert n'aurait pas pris en compte l'ensemble des éléments produits par les parties avant de se prononcer ; que si le requérant reproche encore à l'expert, qui a répondu à la mission confiée par la cour, d'avoir remis un rapport ne traduisant qu'un avis théorique personnel de sa part, les critiques qu'il formule à l'égard des conclusions de ce rapport ne sont pas de nature à révéler une irrégularité dans la conduite des opérations d'expertise ; que, dans ces conditions, M. F...n'est pas fondé à soutenir que l'expertise ordonnée par la cour n'aurait pas revêtu un caractère contradictoire ;
Sur la responsabilité des établissements de santé :
En ce qui concerne le moyen tiré d'un retard fautif dans la prise en charge du requérant :
5. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise déposé devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, qu'à son arrivée au centre hospitalier de Saint-Quentin le 19 mars 2004, M. F...présentait une ischémie de faible intensité, dite " de stade 1 ", qui était bien tolérée et ne nécessitait pas une intervention en urgence ; que les praticiens du centre hospitalier ont prescrit, outre un traitement anticoagulant, un bilan biologique standard constitué d'examens par écho-doppler artériel, réalisés les 22 et 24 mars 2004, et d'une angiographie effectuée le 23 mars 2004 ; que si l'intéressé n'a été opéré que le 25 mars 2004, alors que l'ischémie avait évolué pour devenir sub-aigüe, il ressort des conclusions de l'expert désigné par la cour que le délai observé entre sa prise en charge et la première intervention chirurgicale était justifié par la surveillance médicale dont il faisait l'objet aux fins de vérifier une possible stabilisation, voire une régression, de sa pathologie, ainsi que les effets, sur son état général, des médicaments qui lui étaient administrés ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il n'est pas établi, eu égard aux conclusions de cet expert, que la décision de transférer M. F...le 28 mars 2004 au centre hospitalier régional universitaire de Reims serait intervenue tardivement, après que son état de santé s'est dégradé dans la nuit précédente, du 27 au 28 mars 2004 ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort encore du rapport d'expertise déposé devant la cour que les conditions de prise en charge de l'intéressé dans le cadre des interventions chirurgicales des 31 mars 2004 et 6 avril 2004, effectuées au centre hospitalier régional universitaire de Reims, sont conformes aux règles de l'art et, notamment, que les délais dans lesquels ces interventions ont été réalisées n'ont entrainé aucune perte de chance d'éviter l'amputation de la jambe gauche ;
8. Considérant, enfin, qu'il ne ressort pas des deux rapports d'expertise précités, eu égard en outre à ce qui va être dit au point 11, qu'un retard fautif serait imputable aux deux centres hospitaliers dans la mise en oeuvre des examens visant à déterminer une éventuelle allergie de M. F... à l'héparine ;
9. Considérant que, dans ces conditions, M. F...n'est pas fondé à se prévaloir d'un retard dans sa prise en charge par l'un ou l'autre des deux établissements de santé ;
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que le requérant aurait subi une affection iatrogène :
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au vu des thromboses répétées dont M. F... a été victime lors de l'intervention chirurgicale du 25 mars 2004 et au cours de sa prise en charge ultérieure, les praticiens du centre hospitalier de Saint-Quentin et du centre hospitalier régional universitaire de Reims ont suspecté, dès le 26 mars 2004, une thrombopénie induite par l'héparine qui était alors prescrite à l'intéressé ; que celui-ci reproche aux deux établissements de santé d'avoir maintenu ce traitement à base d'héparine jusqu'au 31 mars 2004 alors que, selon les recommandations médicales validées par une conférence d'experts en 2002, une suspicion d'allergie à cette substance imposait un arrêt du traitement ;
11. Considérant que si le test de recherche d'anticorps " facteur 4 plaquettaire - héparine ", pratiqué le 30 mars 2004, a présenté un résultat positif susceptible d'indiquer l'existence d'une allergie à l'héparine, le test d'agrégation plaquettaire, réalisé le même jour, lequel est un test spécifique permettant de confirmer ou d'infirmer l'allergie, s'est avéré négatif ; qu'il ressort du rapport d'expertise déposé devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux que les examens sanguins dont M. F... a fait l'objet du 19 au 31 mars 2004 ont toujours présenté un taux de plaquettes supérieur à ceux en deçà desquels le diagnostic d'une thrombopénie induite par l'héparine doit être évoqué ; qu'il n'est pas démontré que les tests et les examens dont l'intéressé a fait l'objet n'auraient pas présenté les garanties de fiabilité requises ; qu'il ressort tant des conclusions de l'expert désigné par la commission régionale, qui évoque une " thrombophilie non étiquetée " à l'origine de l'amputation subie par le requérant, que des conclusions de l'expert désigné par la cour, selon lequel c'est l'évolution défavorable de la pathologie thrombotique de l'intéressé qui a conduit à l'amputation, que l'allergie à l'héparine n'est pas établie ; que, pour justifier de l'existence de cette allergie, le requérant ne saurait se prévaloir du compte-rendu médical du 18 octobre 2005 qui se borne à évoquer une " allergie à l'héparine " parmi ses antécédents et a été rédigé, lors de sa prise en charge pour une colite ischémique, antérieurement aux deux rapports d'expertise précités ; qu'en outre, l'expert désigné par la cour précise que ni les signes cliniques, ni les examens biologiques ne justifiaient le soupçon porté par les praticiens des deux centres hospitaliers sur une éventuelle allergie à l'héparine ; que, dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le traitement à base d'héparine administré à M. F... aurait eu pour effet de provoquer des thromboses répétées ayant conduit à son amputation ou se trouverait à l'origine d'une perte de chance, pour l'intéressé, d'échapper à ce dommage ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. F...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ;
Sur les frais d'expertise :
13. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de la partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) " ;
14. Considérant que les frais de l'expertise ordonnée en appel ont été liquidés à la somme de 1 455 euros par une ordonnance de la présidente de la cour administrative d'appel du 7 juillet 2016 ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre cette somme à la charge des deux établissements de santé, pour un montant de 727,50 euros à la charge du centre hospitalier de Saint-Quentin et pour un même montant à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Reims ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Saint-Quentin et du centre hospitalier régional universitaire de Reims, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme dont M. F...demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que, par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. F...la somme dont le centre hospitalier de Saint-Quentin demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise exposés devant la cour pour un montant de 1 455 euros sont mis à la charge du centre hospitalier de Saint-Quentin pour un montant de 727,50 (sept cent vingt-sept euros et cinquante centimes) et à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Reims pour un même montant.
Article 3 : Les conclusions du centre hospitalier de Saint-Quentin présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... F..., au centre hospitalier de Saint-Quentin, au centre hospitalier régional universitaire de Reims, à la caisse du régime social des indépendants et à l'expert, M. le professeur Philippe Rouger.
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N° 13NC02245